Chroniques d'une guerre civile annoncée

par Jean Bernabé
Professeur des universités - Directeur du GEREC-F

Le détonateur du CAPES de créole | L’onde de choc | Tout lanng sé lanng, mé... | Les deux mamelles de nos sociétés | Négritude et créolité : deux réponses à l'aliénation coloniale | Continuités et ruptures | La Francophonie dans tous ses États | Rayi chien mé di dan'y blan | Le feu de paille de la linguistique dite native | Lignes de fracture | L’indispensable promotion du créole : problèmes et paradoxes | Touche pas à ma langue ! | À chacun ses responsabilités | Créole et responsabilisation culturelle | Solder le conflit créole-français ? | La langue comme fétiche | Quel français pour nos pays ? | Langues et cultures : réalités et fiction | Quel créole pour nos pays ? | Qui a peur du CAPES de créole ? |

V - Négritude et créolité : deux réponses à l’aliénation coloniale
 

Certains politiciens ont stigmatisé le mouvement de la Créolité comme ennemi juré de la Négritude. Assurément, sans la Négritude pas de Créolité, mais plutôt une "Mulâtritude", expression quelque peu méchante mais qui, pour le coup, se serait avérée fort juste, si, précisément, le discours césairien avait été court-circuité.

Le Nègre, invention du système colonial implique en vis-à-vis le Blanc. Nous voici projetés dans l'idéologie pure, fauteuse d'illusion. Ainsi donc, pour réintégrer sa pleine humanité, le fils d'Afrique devait se redresser, ramasser toutes les insultes déshumanisantes résumées dans le terme de «nègre», les lancer à la face ébaubie du colonisateur, en assumer les implications, toutes les implications, mais en positivant ces dernières. Le cri césairien recèle une charge symbolique considérable et une dimension véritablement épique.

Il faut le redire: la Négritude, même née sur le terreau d'une pensée raciologique est un humanisme. Comme le dit Césaire lui-même, tant qu'il y aura des Blancs, il y aura des Nègres. Et tant qu'il y aura des Nègres, la Négritude sera indispensable. À cet égard, on peut regretter que la grande majorité n'ait pas fait sienne cette révolution-là. Et si la Créolité avait fait obstacle à cette indispensable prise de conscience, elle aurait, assurément agi à contre-courant de l'immense effort de la Négritude. C'eût été un attentat contre le progrès et l'émancipation des peuples concernés.

On ne peut pas rendre la Créolité responsable de ce que le message de sa devancière n'a pas été entendu par tous. Et si ce message a encore une chance de l'être, c'est bien à travers la postulation créolitaire. Comment, en effet, accéder à une pensée de la diversité sans assumer toutes les composantes de cette diversité? On l'aura compris, la Créolité n'est pas un reniement de la Négritude. Loin de là. Cependant, si elle présuppose cette dernière et en constitue une manière d'accomplissement, ces deux mouvements, d'ores et déjà inscrits dans l'Histoire, ne sauraient être confondus en dépit de leur complémentarité. Ni dans la chronologie, ni dans la philosophie. La Créolité constitue, au sens hégélien du terme, la synthèse dialectique du discours colonial fondateur et de sa contestation négritudienne.

La Créolité, par sa vision «diverselle», prône la pluralité des appartenances (pas seulement africaine ou européenne). Pluralité reconnue, assumée, transcendée en permanence dans un vivre ensemble. Et cela, bien au-delà de la configuration antillaise, à l'échelle de l'unité-Monde. Car le Monde tel qu'il va se trouve lui-même emporté dans le malstrom de la créolisation. Il n'est certes pas question, pour autant, de nous adonner aux exigences du libéralisme à tout va. Car la mondialisation actuelle, qu'on me permette ce néologisme, est une véritable «immondialisation». Là est précisément l'enjeu de la Créolité comme nouvelle philosophie critique de la globalisation. Philosophie de la relation aussi. À cet égard, la pensée de Glissant reste incontournable.

Dans nos pays, la lutte pour la réhabilitation des langues et cultures créoles commence au début des années 1970. Cette lutte opère alors dans des circuits aussi bien politiques que syndicaux ou plus largement intellectuels. Mais le volet universitaire se trouve avoir joué un rôle décisif. Rétrospectivement, j'ai conscience que, à travers l'enseignement, la recherche, la vulgarisation de savoirs inédits sur la problématique des langues et cultures créoles, ce volet initié par moi-même, dès 1973, non sans de violentes résistances, aura engendré des conséquences incalculables au plan des représentations sociales. Une vraie révolution culturelle !

L'enjeu était crucial: le créole, langue minorée, stigmatisée, accédant à l'université, c'était une dignité inédite qui lui était conférée. Nul doute que, paradoxalement, mon statut d'agrégé puis de docteur ès lettres, ait été un facteur essentiel dans les avancées de la lutte pour notre identité culturelle. Mon parcours d'enfant issu d'une famille d'enseignants donc de francophone natif mais inscrit dès son plus jeune âge dans la créolité la plus rurale n'est pas sans signification. Mais si en moi créolophonie et francophonie (foin d'une immodestie hypocrite !) ont été porté à un degré élevé, il n'en est pas de même pour la grande majorité. Au delà de mon itinéraire personnel, compte tenu du rapport des forces, le combat pour le créole se devait de rencontrer une Francophonie non plus repliée sur elle-même mais ouverte aux autres cultures. L'enjeu était capital !

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