Chroniques d'une guerre civile annoncée

par Jean Bernabé
Professeur des universités - Directeur du GEREC-F

Le détonateur du CAPES de créole | L’onde de choc | Tout lanng sé lanng, mé... | Les deux mamelles de nos sociétés | Négritude et créolité : deux réponses à l'aliénation coloniale | Continuités et ruptures | La Francophonie dans tous ses États | Rayi chien mé di dan'y blan | Le feu de paille de la linguistique dite native | Lignes de fracture | L’indispensable promotion du créole : problèmes et paradoxes | Touche pas à ma langue ! | À chacun ses responsabilités | Créole et responsabilisation culturelle | Solder le conflit créole-français ? | La langue comme fétiche | Quel français pour nos pays ? | Langues et cultures : réalités et fiction | Quel créole pour nos pays ? | Qui a peur du CAPES de créole ? |

I - le détonateur du CAPES de créole
 

«Sé dèyè piébwa ki chajé timanmay ka voyé woch». Oui, c'est sur les arbres chargés de fruits que les garnements lancent leurs pierres. Ce vieux dicton créole se vérifie depuis quelques temps avec une peu banale intensité. Il est vrai que depuis plusieurs années, on assistait à des tirs d'escarmouche sporadiques contre les tenants de la mouvance créolitaire.

Je souhaite accorder quelque attention aux opérations aéroportées de lynchage médiatique déclenchées par un responsable administratif qui, malgré son passé de militant trotskyste, donc éclairé par une idéologie respectable, s'adonne à un comportement qu'on peut considérer comme dévoyé, à condition, toutefois, de n'appliquer ce terme qu'à la sphère professionnelle, la seule qui puisse m'intéresser.

Ainsi donc, Gilbert Pago, le directeur de l'IUFM de la Martinique a-t-il décidé d'en découdre avec le GEREC-F. Téméraire mais pas courageux ! Sa dernière trouvaille: recourir aux services (fugitifs au plan pédagogique mais lourds, au plan de la communication tous azimuts) d'un homme venu du froid. Les agissements de l'homme sont brutaux, certes, mais ont, au moins, le mérite d'être francs du collier. Aussi francs, toutefois, que le permettent la complexité des stratégies guerrières, puisque le même Robert Chaudenson n'hésite pas à distordre cavalièrement les faits. En effet, au Club d'ATV, il affirme que le GEREC-F ne dispense pas de cours de CAPES de créole alors que cette équipe de recherches délivre sur le campus universitaire de Schoelcher, dans le cadre de l'année en cours, une formation complète à 12 étudiants, soit 6 fois plus que l'IUFM de la Martinique et un peu plus que les deux années précédentes.

Mieux encore, et c'est dans le caractère entier du personnage, Robert Chaudenson n'hésite pas à annoncer, plusieurs mois à l'avance, le «résultat des courses», je veux dire du concours, dont il sait déjà – à bon entendeur, salut ! – qu'il se soldera par 7 lauréats pour la Réunion et 1 seul pour les Antilles-Guyane. Mais c'est de bonne guerre. Si tant est, du moins, que la guerre soit une bonne chose.

Nous sommes, on l'aura compris, en pleine «guerre civile». De guerre propre, il n'y en a pas. Du moins peut-on toujours espérer celle-ci la moins ignoble possible (serai-je entendu ?). D'autant que, conformément aux pratiques des médias modernes, elle semble vouloir se faire aussi spectacle. Cela dit, tous les acteurs ne sont assurément pas encore en scène. Il en est certainement d'autres qui se tiennent encore prudemment apostés dans l'ombre. Ils en sortiront bien un jour. À moins qu'ils ne préfèrent rester à tirer les ficelles. Assurément, comme le dit si bien un autre dicton créole «la pli bel anba laba».

Nul doute que la détonation du CAPES de créole doive continuer à battre le rappel d'une armée de frustrés, ennemis instinctifs du mouvement multiforme de la Créolité. Gageons que ces malheureux sortiraient de leur frustration s'ils prenaient acte des mécanismes objectifs de notre histoire, à savoir que le mouvement de la Créolité était une nécessité historique. Pour simplifier, que ce dernier est le troisième temps d'un mouvement dialectique, comportant, selon l'approche du philosophe Hegel, une thèse, une antithèse et une synthèse. La thèse est constituée par le discours colonial béké simplificateur et d'une violence inouie, l'antithèse par le discours radical de la négritude et la synthèse par l'idéologie complexe de la Créolité.

Oubliant que l'histoire ne se termine pas avec la Créolité, tous ces gens-là exhibent une souffrance et un désespoir perceptibles à chaque syllabe. Ils ne peuvent pas supporter la part historique prise par des compatriotes (surtout des contemporains !) dans le déclenchement, l'illustration et la mise en œuvre d'un mouvement historique. Tout se passe comme s'ils en voulaient à ces intellectuels de leur notoriété internationale (au même titre qu'Aimé Césaire, qui, bien souvent, leur sert de paravent et de faire-valoir) alors qu'eux, ils sont de parfaits inconnus. En dehors le la Martinique, s'entend. La belle affaire ! On peut bien vivre heureux sans être célèbre, non ? Comme si, dans toutes les époques, il n'existait pas de grand écrivains, devenus célèbres après leur mort. En réalité, la situation de ces malheureux est bien plus dramatique encore: il faut, en effet, admettre que, dans le contexte de la globalisation, le marché de la parole et de la pensée excède les dimensions strictement localistes. Car le monde devient un grand village. Personne n'y peut rien. Inscrits dans une visée passéiste et dépassée, nos détracteurs, obsédés par la confusion entre l'Être et le Paraître, considèrent, bien à tort, cette notoriété comme le salaire d'une soumission au regard de l'autre. Rien n'est plus simpliste. Rien n'est plus faux !

Tout au long de leur développement, ces chroniques s'essayeront à sortir nos comportements individuels et collectifs de ce genre de fausses vérités stéréotypées et à montrer que, en fait, au-delà du choc des idéologies, nous avons plus de raisons collectives d'espérer que de désespérer. Si, du moins, nous nous donnons les moyens d'une réflexion organiquement reliée à l'élucidation de notre réel et d'une action propre à transformer positivement celui-ci. Autant que faire se peut.

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