Sirandanes

Quand Tikouti fait revivre les sirandanes…

WEEK-END
dimanche 19 mars 2006


 

Sirandane

 

Peut-on arriver à restituer, à l'écrit, le vécu si particulier du jeu de sirandanes? Recréer, intact, le caractère ludique et l'excitation qui président à cet échange entre celui qui pose la devinette et celui qui cherche à la résoudre? C'est le pari que vient de réussir, avec brio, l'association réunionnaise Tikouti. Qui propose de découvrir deux albums de sirandanes dans une présentation qui séduit d'emblée par sa grande originalité et ses qualités esthétiques, mises au service d'un objectif pédagogique visant à contribuer à la promotion de l'enseignement de la langue et cultures réunionnaises. Une réalisation susceptible d'intéresser un public très large de par son caractère multilingue, et que nous vous proposons de découvrir ici en compagnie de celui qui a aidé à réaliser ces albums, l'écrivain Axel Gauvin.

Sirandane? Sanpek! Anba mo kolonn vertébral, mo kasiet enn zoli trézor dan mo lézel. Réponse: les deux albums de sirandanes créés par l'association réunionnaise Tikouti. Deux albums qui frappent d'emblée par l'originalité de leur réalisation. Car si plusieurs livres - et non des moindres - ont déjà été consacrés aux sirandanes, ceux-là ont définitivement quelque chose de spécial et d'inédit. Une trouvaille au niveau de la présentation qui leur permet de restituer comme jamais auparavant le plaisir que procure, oralement, le fait de chercher et de trouver la réponse à l'énigme imagée que posent ces devinettes-jeux de mots.

L'idée de ces albums est née au sein de Tikouti. Une association réunionnaise (voir plus loin), qui, selon l'article 2 de ses statuts, a pour objectif de "contribuer à la promotion de l'enseignement de la langue et culture réunionnaises (LCR) par la création, la publication et la diffusion de tout matériel pédagogique adéquat".

"Comme nous manquons de matériel pédagogique pour enseigner le créole et la culture réunionnaise, ces albums ont pour but de combler, très partiellement, ce manque", explique l'écrivain Axel Gauvin. Et fraîchement nommé président de Lofis lalang kréol, récemment créé à la Réunion. "Il faut aussi souligner que l'enseignement du créole n'est pas généralisé à La Réunion. Il débute. Nous souhaitons qu'il s'étende. En réalisant ces albums, nous avons aussi pensé au grand public. Faire tout ce travail pour ne pas en faire profiter le plus grand nombre, c'était pour nous impensable."

Une exploitation pédagogique riche et variée

Mais pourquoi s'être intéressé, en particulier, aux sirandanes? Les arguments ne manquent pas. "Parce que ce sont de magnifiques petits poèmes. Parce qu'ils font partie intégrante de notre culture. Parce qu'ils imprègnent très profondément l'imaginaire réunionnais. Parce qu'ils recueillent un large consensus: dans les écoles, même ceux qui sont contre le créole vibrent aux sirandanes. Parce que l'exploitation pédagogique que l'on peut en faire est extrêmement riche et variée: cela va de la leçon de langage en maternelle à l'étude de la versification en première ou terminale", fait ressortir Axel Gauvin.

La première étape de cette réalisation a consisté en un travail de recherche et de collectage de ces sirandanes. "Cela a été extrêmement facile", explique Axel Gauvin. Mettant en avant l'existence, déjà, de recueils de sirandanes réunionnaises, comme les Devinettes créoles, Zédmo iér èk zordi de Daniel Honoré, ou encore les Devinettes de l'Océan Indien de Claudine Bavoux. Boris Gamaleya en a aussi recueilli beaucoup, dont une partie a été publiée dans diverses revues. "Nous avons été obligés de choisir, et ce choix s'est fait collectivement au sein de Tikouti. De nombreuses sirandanes existent en plusieurs versions, très proches l'une de l'autre. Nous avons pris celles dont le rythme nous semblait le plus beau, nous avons écarté celles dont le registre ne convenait pas pour la classe et le public enfant. Nous avons mis de côté celles qui ne sont faites que pour les adultes. Un jour, elles seront sûrement publiées, mais dans un autre cadre".

En ce qui concerne la classification de ces sirandanes par thèmes, Axel Gauvin souligne que celle-ci s'est imposée, la classification alphabétique leur ayant semblé trop artificielle. "On aurait pu aussi envisager des regroupements plus "transversaux": les sirandanes du bord de mer, par exemple. Un jour, peut-être le ferons-nous".

Une fois le choix et la classification effectués, s'est posée la question de la conception et de la réalisation des albums. Sous quelle forme allaient-ils se présenter? Et c'est là qu'apparaît toute l'originalité de cette publication. Qui se découvre sous la forme d'une sorte de cahier à spirale, s'ouvrant sur un ensemble de pages à rabats. La devinette s'y livre ainsi en deux volets ou étapes. La première présente, sur la page de droite, le texte de la devinette. Celle-ci s'accompagne, sur la page de gauche, de l'illustration au premier degré de la devinette. Ainsi, "li porte son karosse dessï son do" sur la page de droite, s'accompagne, sur la page de gauche, d'un dessin montrant un être proche de l'humain qui porte un carrosse. Le lecteur peut ensuite ouvrir la page de droite. Qui révèle à son tour, sur deux pages juxtaposées, la réponse écrite à la devinette d'un côté, et son illustration plus explicite. Ce qui donne ici "léskargo", et un dessin montrant deux escargots sous la pluie.

Une ingénieuse réalisation

Un système très ingénieux, qui permet que la réponse ne soit pas visible au moment où la devinette est posée, et qui recrée, d'une certaine façon, l'aspect ludique de la découverte qu'offre l'oralité première de la sirandane. "C'est Florans Féliks, la dessinatrice pour le premier album, qui a proposé qu'une feuille se replie et cache la réponse. Nous avons trouvé cela génial. Techniquement toutefois, cela posait un problème que deux imprimeries réunionnaises n'ont pu régler. C'est un maquettiste de Saint-Denis, Emmanuel Kamboo, qui a trouvé la solution avec des feuillets réunis grâce à une spirale", raconte Axel Gauvin.

Le premier album a donc été illustré par Florans Féliks, avec tout un travail de collage: coton, petite cuiller, filtre à café, spirale à moustique ("avant que le chikungunya n'ait rendu La Réunion célèbre", ironise Axel Gauvin). "Elle a fait de véritables tableaux qu'il est question d'exposer bientôt. Mais l'épaisseur de ces tableaux a posé un problème de plus: comment scanner cette épaisseur ? Ce problème a été résolu par l'imprimerie Graphica à Saint-André. Et l'impression des recueils a finalement été faite à Maurice par un des meilleurs imprimeurs mauriciens", dit Axel Gauvin, en se référant à Precigraph.

Lui-même et Laurence Daleau, cheville ouvrière de Tikouti, qui assure également la réalisation du deuxième album, vont suivre personnellement chaque étape de leur production en essayant à chaque fois de trouver les meilleures options en termes de qualité et de coût. Et le résultat est on ne peut plus séduisant. Le n°1, placé sous l'item Légime, Zépisse, a pour titre Pomedetér mon granpér. Le deuxième, sous le titre générique de Zinsèk, s'intitule Mi amène mon kaz, et est illustré par Patrick Booz.

Autre particularité de ces recueils: leur caractère multilingue. Chaque question et réponse sont en effet inscrites en créole réunionnais, dans la graphie Tangol choisie par l'association, mais également dans deux autres graphies. Puis, en bas de page, en français, anglais, allemand et espagnol.

Disponibles à La Réunion depuis le mois de décembre dernier, ces deux albums devaient trouver leur place chez les libraires mauriciens dès la semaine prochaine.

Préparez-vous à en faire collection: Tikouti a en effet prévu d'en faire une série couvrant au total dix albums, que l'association essaiera de sortir au rythme de 2 à 3 par an. Les deux premiers donnent en tout cas plus qu'envie de découvrir la suite…

Kosa in Shoz…

Selon le Dictionnaire étymologique des créoles de l'Océan Indien (Annegret Bollee), Sirãdan est un mot d'origine makwa: Cirandani. "The riddle-maker begins by saying "cirandani" (L. Harries). Sãpèk vient aussi du makwa "tcampeteke".

Si, à la Réunion, on dit aujourd'hui "sirandane", naguère, on disait: devinay, zédmo, kosa in soz ? D'où le choix de Tikouti de privilégier, pour ses recueils, l'appellation Kosa in Shoz.

À propos de Tikouti

L'association Tikouti est née à La Réunion en juillet 2003. Les membres fondateurs sont pour l'essentiel les reçus de la première promotion de la licence de Langue et Culture Réunionnaises. Tikouti a organisé en 2005 un séminaire sur le thème des mécanismes de l'écriture. L'association prévoit de publier bientôt deux ouvrages: Oui à la langue créole et Réflexion autour d'une classe bilingue.

 

22 mars 2006

Cher Emmanuel Richon,

Merci à vous.

À l'association Tikouti, nous comptons sortir 10 (en 5 ans) de ces albums illustrés, ce qui fera 160 sirandanes : une petite partie de ce qui a déjà été recueilli à La Réunion.

Je suis allé sur le site. Ce qui y est dit des sirandanes est passionnant. Il faudrait plusieurs heures pour vraiment l'étudier.

Bien amicalement à vous
Axel Gauvin