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Le premier dictionnaire du créole martiniquais

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INDEX : FRANCAIS - CREOLE

DISCUSSION AVEC LES INTERNAUTESAVANT-PROPOS | ORIENTATION | QUESTIONS ANNEXES | OUVRAGES ENTIEREMENT OU PARTIELLEMENT EN CREOLE | OUVRAGES ET ARTICLES DE REFERENCE | ABREVIATIONS

boule   boule   boule

AVANT-PROPOS

Le présent ouvrage est le premier dictionnaire du créole martiniquais jamais publié à ce jour. En effet, aussi étrange que cela puisse sembler, le lexique de la langue populaire de la Martinique n'a jamais été inventorié de façon systématique bien que cette île soit, avec Haïti, le pays créolophone où les chercheurs et créolistes sont les plus nombreux et les mieux formés, où le nombre d'auteurs créolophones est le plus élevé et où les tentatives d'introduction du créole dans la presse, à l'école et à l'Université sont les plus conséquentes. Il n'y a aucune explication logique à un tel paradoxe.

Ce dictionnaire sera publié en deux tomes selon le dispositif suivant :

  • Tome 1 : lettres A à K
  • Tome 2 : lettres L à Z

Depuis plus de vingt ans, nous recensons de manière régulière mots et expressions de notre parler, attiré d'abord par leur rareté, leur beauté et surtout leur basilectalité. En effet, pour l'écrivain créolophone que nous sommes avant tout, la quête du mot authentique est une sorte de Graal depuis qu'à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, un processus terrifiant de décréolisation d'abord lexical, puis morphologique, ensuite syntaxique, enfin rhétorique s'est mis en branle. Notre langue est menacée de toutes parts, attaquée de tous côtés et ressemble, certains jours, à un vieux galion faisant eau sous les coups de boutoir d'un ouragan. Parviendrons-nous à en colmater les brèches à temps, c'est-à-dire avant qu'elle ne coule dans l'abîme ? Tel est le défi posé à notre génération, celle qui est née dans les années 50 du XXe, défi, il faut bien le constater, que fort peu d'entre nous se sont attelés à relever.

Certes, des victoires significatives ont été remportées depuis lors :

  • Plus personne ne qualifie le créole de "patois".
  • Il y a unanimité sur la graphie créée par le professeur Jean Bernabé de l'université Antilles-Guyane et son groupe de recherches, le GEREC-F (fondé en 1976 et rénovée en 2001).
  • La littérature martiniquaise en langue créole, la poésie surtout, fait désormais jeu égal, tant en quantité de publications qu'en qualité des textes, avec son homologue en langue française.
  • Le créole connait un succès sans précédent dans les chansons, la publicité écrite et radio-télévisée, dans le discours politique et religieux.
  • Une licence, une maîtrise, un DEA et un doctorat de «Langues et cultures régionales- Option créole» ont été crées à l'Université des Antilles et de la Guyane en 1994.
  • Un C.A.P.E.S (Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement Secondaire) de créole à été créé en février 2001.

Mais rien n'est définitivement gagné car cette avancée se fait sans planification linguistique réelle et là, il convient de mettre à l'index nos élus et nos collectivités territoriales, nos partis politiques et nos organismes culturels qui n'ont jamais jugé utile d'élaborer une politique de la langue / (des langues) à la Martinique, une glottopolitique comme on dit en termes savants. Même les nationalistes martiniquais n'y ont jamais fait allusion dans leurs programmes, se contentant d'affirmer verbalement leur attachement à "lang zanset-nou" et au bilinguisme dès qu'on les accuse de vouloir éliminer le français. C'est peu, très peu et bien entendu insuffisant pour endiguer le flot de la francisation qui assaille le créole et cette absence de politique ne contribue pas du tout à dé-conflictualiser les rapports entre le français et le créole. Tout au contraire, certains défenseurs du créole, dont nous faisons partie, ayant, à tort ou à raison, le sentiment de se battre le dos au mur, ont eu tendance à se crisper sur leur territoire créole et à mener une sorte de guérilla idéologique contre le français, une sorte de guerre des langues dont les conséquences négatives (pour le créole en particulier) peuvent se lire dans les échecs successifs des organes de presse entièrement en créole1 ou dans les textes littéraires en créole hyper-basilectal ("en créole-dragon" dit le grand public).

Dans l'attente d'un vrai débat glottopolitique et de décisions sérieuses lesquelles ne peuvent être prises que par la collectivité martiniquaise, ou en tout cas ses représentants qualifiés, il est urgent de proposer des ouvrages pratiques au grand public, en particulier à la population scolaire et estudiantine. Si la créolistique est, depuis trois décennies, une branche très active et très brillante de la linguistique, la redistribution de ce savoir est loin d'être réalisée. Thèses de doctorat, articles scientifiques et autres travaux de grand intérêt dorment, inexploités, dans les caves des bibliothèques universitaires des Antilles-Guyane, de la Réunion, d'Europe et d'Amérique du Nord. Or, il y a un besoin pressant en manuels de lecture, grammaires scolaires et bien entendu dictionnaires. C'est cette carence qui nous empêche de profiter pleinement des différents décrets favorisant l'enseignement des langues régionales au niveau de l'école primaire et secondaire. Hormis les exemples courageux des collèges de Basse-Pointe, de Rivière-Pilote et de Saint Joseph ainsi que du Lycée Acajou II (Lamentin), la plupart des expériences tentées ici et là se sont vite essoufflées, faute, en grande partie, du matériel pédagogique adéquat.

ORIENTATION

Le présent ouvrage, qui est la préfiguration du Dictionnaire général des créoles à base lexicale française de la Caraïbe, sur lequel le GEREC-F travaille depuis bientôt quinze ans, se veut d'abord et avant tout un outil au service des étudiants, des enseignants et des pédagogues, des journalistes créolophones, des publicitaires, des gens de théâtre, des paroliers et chansonniers, en un mot de tous ceux qui, dans l'exercice quotidien de leur profession, sont confrontés à l'utilisation de la langue créole. Il a pu être constitué grâce à un certain nombre d'informateurs privilégiés, tous créolophones unilingues et septuagénaires ou octogénaires au moment où ils ont été interrogés (années 1970-85). Un hommage tout particulier doit ête rendu à deux d'entre eux : d'abord à Florentin Defrel du quartier Morne-des-Esses (Sainte-Marie), conteur émerite exerçant jusqu'à aujourd'hui la profession de petit cultivateur et feu Arius Pinel-Ferreol qui fut sa vie durant commandeur sur l'habitation Paquemar (Vauclin). Nous n'avons pas procédé à des enquêtes lexicologiques au sens strict2 du terme mais avons profité d'un travail  ethnographique sur l'univers de l'habitation (plantation de canne à sucre) – travail matérialisé à travers mes récits «Commandeur du sucre», «Régisseur du rhum» et «Dissidence» – pour recueillir le maximum de termes techniques qui y étaient en usage. Chacun sait, en effet, que l'habitation fut la matrice même de la langue et de la culture créoles.

Toutefois, la littérature étant, à notre sens, le laboratoire dans lequel se forgera un jour la vraie langue écrite créole c'est-à-dire celle qui sera capable d'assumer notre quotidien scriptural (lettres privées, rapports administratifs, affiches publiques, ouvrages techniques de vulgarisation en agriculture par exemple etc...), nous avons également choisi de dépouiller systématiquement tous les textes, littéraires ou non, publiés en créole depuis l'apparition du créole martiniquais écrit c'est-à-dire depuis le milieu du XIXe siècle. Cela nous a permis d'exemplifier un grand nombre d'entrées à l'aide de citations de scripteurs/auteurs créolophones. Nous espérons convaincre par ce procédé les éventuels utilisateurs du présent dictionnaire de la diversité et de la richesse de nos textes littéraires créoles. Car il est très évident pour nous qu'un Monchoachi, par exemple, est l'un des plus grands poètes martiniquais et antillais du XXe siècle, aucunement inférieur à un Aimé Césaire ou un Saint John-Perse. Nos auteurs créolophones sont des créateurs de langage, ils forgent notre langue au jour le jour et inventent des mots que le chercheur qui se contente du terrain (et donc de la seule langue orale) ne se sera pas en mesure de trouver. A notre sens, ces néologismes font partie intégrante de la langue créole vivante d'aujourd'hui d'autant qu'une fois créés, ils sont souvent repris qui par d'autres auteurs qui par les journalistes créolophones ou encore les hommes politiques avant, pour certains, de s'intégrer au parler quotidien. Ainsi, les mots met-a-maniok pour «dirigeant», grangrek pour «intellectuel», matjoukann pour «patrimoine» ou fondas pour «fondement» font-ils désormais partie du vocabulaire d'un nombre grandissant de locuteurs créolophones.

D'autre part, grâce à la radio, à la télévision, au CD et à l'internet et bien sûr à l'immigration, une intense circulation interdialectale est à l'œuvre depuis trois decennies à travers l'archipel caribéen. Ce qui signifie qu'il n'est plus guère possible d'établir les frontières de chacun de nos dialectes. Ainsi, un certain nombre de mots guadeloupéens, guyanais, haïtiens, saint-luciens et dominiquais font désormais partie intégrante du dialecte martiniquais et ont donc été retenus dans le présent dictionnaire. Exemple:

  • guadeloupéen : lenbé (chagrin d'amour) ; awa (non).
  • guyanais : chuit (doux) ; djal ( jeune fille).
  • sainte-lucien : kouchal (détestable).
  • dominiquais :
  • haïtien : kolokent (prostituée).

Le recours aux exemples tirés d'œuvres littéraires est aussi un moyen pour nous de contourner la question du «mot» ou plus exactement de l'unité lexicographique, question qui suscite de multiples controverses même dans les langues de vieille tradition écrite comme le français. Comment procéder au découpage de la chaîne parlée lorsqu'on a affaire à une langue comme le créole qui, s'il dispose d'un nombre conséquents de textes écrits depuis deux siècles et demi, n'en a pas moins jamais réussi à constituer une tradition littéraire? Nous avons résolu la question en adoptant le NSG (Nouveau Standard GEREC)3, graphie remodelée récemment par le professeur Jean Bernabé à partir de trois décennies d'utilisation de la graphie GEREC-F.

Enfin, nous ne pouvons terminer sans dire quelques mots sur ce paradoxe qui pèse sur l'élaboration de tout dictionnaire créole à savoir que le lexique de notre langue est par nature inclôturable. N'importe quel mot français (ou anglais) peut, d'une minute à l'autre, être employé en créole, devenir tout naturellement créole. Jean Bernabé a illustré ce paradoxe de manière à la fois humoristique et sérieuse en écrivant, pour contrer surtout ceux qui prétendent que «le créole est très pauvre en vocabulaire», qu'à bien regarder le stock lexical de notre langue est plus important que celui du français puisqu'il comprend à la fois le lexique propre au créole, aussi limité soit-il, et l'entièreté du lexique du français. Nous avons tenté, à notre niveau, de résoudre cette question en ne notant que les mots français très usuels et ayant pénétré dans le créole depuis un certain temps. Ainsi, on trouvera dans notre dictionnaire, les entrées télévizion ou maniétofòn mais nous n'avons pas jugé utile de retenir maniétoskop trop récent ou matérializm usité exclusivement par les philosophes et les militants politiques. Le choix, il faut bien l'avouer, n'est pas toujours facile ni évident et à la prochaine édition du présent dictionnaire, il est probable que nous serons amenés à éliminer certaines entrées qui figurent ici au profit d'autres que nous avons, sans doute à tort, négligées aujourd'hui.

QUESTIONS ANNEXES

  • Celle, d'abord, des variantes phonétiques, extrêmement nombreuses en créole comme dans toutes les langues qui vivent principalement dans l'oralité et qui ne disposent pas d'une autorité linguistique (académie par exemple) pouvant légiférer en la matière. Nous avons tenu à noter scrupuleusement toutes les variantes, résistant à l'envie d'indiquer laquelle, pour chaque entrée, nous semblait la plus fréquente, faute d'enquêtes de terrain sur le sujet. On trouvera ainsi :
    • pwéson - pwason - prason
    • chaché - chèché
    • chival - chouval - chwal
      Toutefois, dans l'optique basilectalisante qui est la nôtre, seules les variantes les plus déviantes par rapport à leur étymon français seront exemplifiées (tel est le cas de pwéson dans notre premier exemple);
       
  • Celle de la graphie : l'unanimité s'étant faite autour de la graphie créée par Jean Bernabé, comme nous l'avons déjà souligné, nous avons normalisé celles des exemples que nous avons emprunté à des textes qui utilisent l'ancienne graphie étymologique, éliminant au passage, option basilectalisante oblige, les voyelles arrondies du français relevant de ce que Guy Hazaël-Massieux (1985) appelle le «système maximaliste» de la phonétique/phonologie créole;
     
  • Celle encore de ce que nous avons appellé les mots « rares » par opposition aux mots archaïques. Les premiers (notés r. ) font partie du créole actuel mais sont d'un emploi rare à cause du fait qu'ils ne sont pas connus par l'ensemble des locuteurs. J. Bernabé (1983) a bien noté que les locuteurs créolophones ont une « compétence lexicale à trous », certains mots étant connus de telle personne et inconnus de telle autre, sans que cela ait rien à voir ni avec l'existence de géolectes ni de sociolectes. En effet, au sein d'une même famille, par exemple, garçons et filles ne possèdent pas toujours le même stock lexical. Les seconds, par contre (notés arch.), sont de vrais archaïsmes et ne font plus du tout partie de la langue courante soit parce qu'ils sont tombés naturellement en désuétude (ex. mal-mouton: oreillons) soit que les realia qu'ils désignaient n'existent plus (ex. chaspann: sorte de puisette rudimentaire faite avec une moitié de noix de coco qui servait à se désaltérer). Dans le même ordre d'idées, nous avons tenu à indiquer les termes à coloration ironique (notés iron.) afin que l'utilisateur non-créolophone ou le créolophone appartenant aux jeunes générations fortement décréolisées4 puissent les distinguer des termes neutres: djel (gueule de cochon salé) est neutre par rapport à djel-poliyis qui est ironique; de même zaboka (avocat) par rapport à zabelbok;
     
  • Celle enfin de ce que nous avons décidé d'appeler le «Français régional antillais» (F. R. A.). Il ne fait plus de doute que le processus de vernacularisation du français, qui a commencé à se produire aux Antilles vers la fin des années 60, a entraîné depuis lors l'apparition d'une norme endogène du français. Cette variété de français insulaire n'a rien à voir avec le français fautif (ou «français-banane») des non-alphabétisés qui avait cours avant la seconde guerre mondiale à cause de la faible scolarisation des classes populaires. Aujourd'hui, même ceux dont la compétence en français semble restreinte, ne disent plus «le pour la», selon une expression de l'époque, c'est-à-dire ne confondent plus le masculin et le féminin. Désormais, grâce à l'élévation du niveau de vie, la scolarisation quasi-totale, l'omniprésence de la radio et de la télévision, l'interaction constante entre l'émigration antillaise en France et la population martiniquaise ainsi que la présence d'une population métropolitaine en augmentation croissante, le français est devenu une langue «naturelle» à la Martinique tout en prenant, au cours de ce processus de naturalisation (ou de nativisation, si l'on préfère) une coloration autochtone relativement marquée. Au niveau lexical qui nous occupe, il s'est forgé son propre territoire, souvent en calquant ou en traduisant le créole, territoire inaccessible au francophone non-martiniquais (/non antillo-guyanais). Deux exemples:
    • exemple lexical :
      • une dormeuse (du créole « dowmez ») en français académique signifie une femme qui aime beaucoup dormir.
      • une dormeuse en français régional antillais signifie d'abord et principalement une voyante qui exerce en s'endormant face à son client; ensuite et accesoirement une femme qui aime beaucoup dormir.
    • exemple syntaxique :
      • fais ça pour moi en français standard est une demande pressante.
      • fais ça pour moi en français régional antillais est l'équivalent du standard fais moi ça.

Le français régional antillais (F. R. A.), encore peu étudié à ce jour, est en voie d'acquérir donc sa propre légitimité (phonologique, lexicale, syntaxique et rhétorique), à côté du créole et du français standard, ce qui justifie le fait que nous ayons indiqué, chaque fois que cela s'avérait nécessaire, la signification des item créoles à la fois en français standard et en F. R. A.

Ce dictionnaire, à visée surtout pratique, n'est donc que la première pierre d'un édifice qu'il faut souhaiter le plus imposant et le plus résistant possible. Il y va de la survie même de notre identité martiniquaise.

Raphaël CONFIANT.

Fort-de-France 1977/ Vauclin, 2003.

  1. «Grif an tè» (1979-82, 52 numéros publiés); «Antilla-Kréyol» ( 1985-86, 12 numéros publiés)
  2. Sauf en 1978 et 1979 où nous avons accompagné à Morne-des-Esses (Sainte-Marie) le lexicographe guadeloupéen Serge Joséphau.
  3. cf. La graphie créole, Jean Bernabé, Editions Ibis Rouge, 2001.
  4. C'est à elles que nous avons aussi pensé en accompagnant les définitions d'extraits d'ouvrages (cf. «ouvrages de référence») traitant de la réalité martiniquaise. Se contenter de traduire par exemple le mot «da» par «gouvernante» nous a semblé insuffisant car il a recouvert, dans un passé pas si lointain, une réalité insoupconnable pour les jeunes générations.
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