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Entretien avec Khal Torabully
écrivain et cinéaste mauricien

 

«Il est nécessaire de mettre en relation
les mémoires pour construire
l’identité nationale»

 

 

8 mai 2014
Propos recueillis par Ouafaâ Bennani
LE MATIN

Nador

Le Matin: D’abord, que pouvez-vous nous dire sur l’hommage qu’on vous a rendu en ouverture du Festival?

Khal Torabully: C’était un moment très émouvant de toute ma carrière. Cela fait une trentaine d’années que j’écris et je dirai que cette escale que j’ai faite à Nador est bien spéciale. J’y sens cet ancrage dans une région forte où les pays, les cultures et les imaginaires sont très diversifiés.

Que pensez-vous du sujet de «la Mémoire commune» comme thématique du festival?

C’est un sujet très intéressant et aussi porteur, d’autant plus qu’il y a, me semble-t-il, une part de l’histoire marocaine qui ne s’est pas exprimée. Toute une richesse culturelle, une langue, un imaginaire où la diversité a été portée au-devant des démarches. Il y a une nécessité de mettre en relation ces mémoires pour une construction d’identité nationale consensuelle ou même conflictuelle.

Cela fait vingt ans que je travaille sur comment faire pour que les mémoires ne s’opposent pas d’une façon brutale, parce qu’il y a des histoires communes, des traumatismes. Donc, comment faire pour promouvoir l’entente et la paix? C’est un processus continu et lent pour pouvoir arriver au bout du tunnel. Cependant, la mémoire peut être à double tranchant. C'est pour ce qu'il ne faut pas s’enfermer dans le deuil de la mémoire. Il faut arriver à faire ressortir les traumatismes, les blocages… trouver des espaces de mises en parole, de justification pour qu’on puisse dire, là j’ai eu mal. Donc, il faut accompagner cette démarche. Car l’effort de compréhension est toujours difficile, surtout quand on est dans le blocage, dans l’incertitude. Il ne faut pas s'abstenir de nommer là où il y a conflit, là où ça fait mal. Il faut le dire dans un cadre raisonné.

Que peut apporter le cinéma dans ce processus de démocratisation?

Comme vous le savez, nous vivons dans une époque de l’image. Je pense que l’audiovisuel, en général, permet de mettre en forme les questionnements forts comme l’émigration, les fractures sociales, la pauvreté, la paupérisation, le choc de la mondialisation, etc. Ce sont des dynamiques très sensibles que l’audiovisuel peut traiter d’une manière plus lucide. Une manière forte de passer les frontières, pour approcher les proximités thématiques et humaines. Avec une culture cinématographique, comme ce qui se fait à Nador à travers les ateliers et les masters class, les gens peuvent décoder les messages et lire entre les lignes.

Où en est le Maroc dans tout cela?

Le Maroc est un pays qui négocie. Il faut parler d’une identité de négociation et je crois que les Marocains sont de sacrés négociateurs. C’est aussi un pays où il y a beaucoup de migration. Ce qui est très important. Cette thématique choisie par le festival s'ouvre à d’autres pays proches des rives méditerranéennes. Il n’y a pas de souci pour le Maroc. Il faut seulement consacrer une attention particulière aux jeunes, les sensibiliser dans les écoles au respect de la parole, à l’écoute de l’autre. La mobilisation de toute la société compte beaucoup.

Quel est dans ce cas le rôle de la religion?

La religion est un facteur très intéressant. Je ne suis pas dans la laïcité extrémiste. Car la laïcité n’est pas l’exclusion de la religion, mais la façon d'utiliser la composante religion dans un espace public. Cette dernière peut être un facteur civilisationnel et cela fait partie de l’identité. Il y a des pays où elle joue un rôle important. Tout est dans l’interprétation et dans la définition. Comment retrouver les beautés de la religion? C’est la paix, le partage… Elle donne une attitude de vie, de patience, le respect de l’autre. Actuellement, on fait tout un procès contre l’Islam qui est démoli à tout bout de champ. Alors qu’il y a dans toutes les religions des extrémistes. Mais, ce n’est pas la religion qui commet des actes horribles; ce sont des individus. C’est un autre combat à mener au nom de la démocratie.

Qu’en est-il de la mondialisation?

Il faut civiliser la mondialisation. Elle a été créée dans une visée stratégique commerciale. Donc, c’est le business qui prime. Chaque peuple doit reconnaitre sa spécificité culturelle, linguistique, religieuse, tout en acceptant l’autre et le respectant dans sa différence. C’est de cette manière qu’on peut s’enrichir mutuellement. Ce qui est formidable au Maroc, c’est cette richesse humaine diversifiée, une histoire différenciée. C’est un trésor culturel. Car il est très important de bien vivre ensemble d’une façon interactive. Dans une bonne coexistence et cohabitation. 

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