Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

À Maurice, une femme présidente:
bonne chance Présidente Gurib-Fakim…

Khal Torabully

 

Un événement historique a eu lieu ce vendredi 5 juin 2015 dans notre île qui vogue résolument vers son destin au lendemain des élections législatives de novembre, avec ses événements qui ont laissé pantois un pays pourtant habitué aux rebondissements et scandales politiques. C’est la nomination de la botaniste Madame Ameenah Gurib-Fakim au poste honorifique de Présidente de la République de Maurice. Je salue l’avènement d’une femme à ce poste, preuve que ce petit pays continue bel et bien son parcours démocratique, et ce dans un monde de plus en plus trouble.

Au Comité al-Idrissi, lors du Bicentenaire de la Bataille de Grand Port

En ces quelques lignes, je tiens à témoigner des échanges que j’ai eus avec Madame Gurib-Fakim lors du Bicentenaire de la Bataille de Grand Port, quand nous étions membres du Comité Al Idrissi. C’est Assad Bughlah, Directuer du Commerce International, qui m’avait invité à y faire part. Il s’agissait de donner une autre vision de l’Histoire maritime de l’océan Indien alors que le pays célébrait la seule bataille navale gagnée par Napoléon et inscrite sur le fronton de l’Arc de Triomphe à Paris. Comme on le sait, malgré cette «victoire» française sur la flotte britannique, le destin de Maurice bascula et l’île devint anglaise: son sort en fut scellé par le Traité de Paris en 1810.

Une dame éprise de plantes, de géographie et de défis

J’ai rencontré Ameenah Gurib-Fakim, la toute première fois, lors d’une réunion inaugurale du Comité Al Idrissi, mis sur pied pour explorer une vision indiaocéanique de notre histoire maritime, une vision autre de cet océan traversé par deux routes majeures de l’humanité, celle de la Soie et celle des épices. Cette-rencontre était présidée par Giandev Moteea et c'était au bâtiment nouveau de la Poste, pas loin de Victoria Square. Parmi les autres membres présents étaient Marcel Noé et Assad Bughlah. Notre comité devait se pencher sur des activités et actes à poser lors des activités commémorant le bicentenaire de la bataille de Grand Port en août 2010. Et le temps pressait car nous n’avions que quelques mois pour nous décider et acter. Nous avions choisi de nommer notre comité al-Idrissi en raison de l’importance de l’œuvre cartographique du savant andalou né à Ceuta en 1099, et qui travailla avec Roger II de Sicile.

Al Idrissi réalisa le premier planisphère de la Terre en argent repoussé. Son œuvre devint la référence en la matière. En effet, il représenta la Terre sous forme d’un disque, sachant «qu’elle est ronde comme une sphère..» (1) Et, coïncidence (?), ce géographe était aussi un botaniste de renom, améliorant la connaissance humaine en plantes médicinales, comme notre ambassadrice en plantes rares…

Notre botaniste, pionnière reconnue fut très dynamique, et nous nous revîmes pendant des séances de brainstorming. Et d’autres projets nous vinrent, parfois âprement débattues en raison des restrictions budgétaires. L’idée d’une anthologie, THE MARITIME HISTORY OF THE INDIAN OCEAN, réunissant une vision non européanocentrique de l’océan Indien fut lancée, et bien qu'elle fût séduisante, le peu de temps qui nous restait nous donnait des frayeurs.

Le Comité nous nomma, Ameenah et moi, comme co-éditeurs et coordinateurs de l’ouvrage bilingue. Ameenah et moi élaborâmes les lignes éditoriales de l’ouvrage. Madame Gurib-Fakim fut remarquable de zèle et de rigueur, travaillant d’arrache-pied pour finaliser le document de ce livre qui allait être novateur et dont le financement devait être trouvé. Cela ne nous découragea pas… Le Qatar, intéressé, nous demanda un résumé du projet. L’idée plut à l’Emirat et l’appel à articles fut lancé. Des contributions (A. Bughlah, M. Emrith, A. Janoo, M. Noé) nous parvinrent de Maurice, mais aussi de l’étranger, dont celles de Sullivan Hall, d’Henri Liszkowski et de Marina Carter. Le capitaine Reza Ali ISIPEK, directeur du Musée de la Marine d’Istanbul, que je connaissais depuis quelques années, accepta de contribuer un article sur la typologie des bateaux ottomans opérant dans l’océan Indien, suite à l’appel à l’aide lancé par les Vénitiens et les mamelouks d’Egypte, qui perdaient des revenus conséquents après l'installation du monopole de la Route des Épices par les lusitaniens au début du 15ème siècle.

Une femme engagée et une camarade dynamique

Étant donné la course engagée pour éditer ce livre à temps, en l’occurrence en quelque 5 mois, Madame Gurib-Fakim se montra une travailleuse acharnée, abattant une tâche conséquente, et ce, malgré un emploi de temps très chargé. Quand je lui demandai d’écrire un article sur les plantes qui ont voyagé dans l’océan Indien, et elle s’y attela avec un plaisir non dissimulé. J’avais l’impression qu’al Idrissi aurait était heureux de voir une héritière en elle, dans ces îles lointaines décrites par les marchands et voyageurs qui auraient pu croiser Sinbad le marin en route…

En attendant les contributions, nous fûmes conviés à trouver d’autres idées. Vinrent le projet d’un First Day Cover par la Mauritius Post, mené par notre président Giandev Moteea, et l’idée de la réalisation d’un planisphère, qui, sans être l’exacte réplique du planisphère en argent repoussé du grand al Idrissi, fut une reproduction librement inspirée par le sculpteur Bunghsee. Ce sculpteur avait réalisé la statue de Pierre Poivre au Jardin des Pamplemousses (2). Une préoccupation fut cependant soulignée par tous : on n’arrivait pas à bien lire la carte d’al Idrissi. Ayant réalisé un film sur la cartographie arabe, il fut facile de comprendre que les conventions nord-sud étaient inversées et le sculpteur réalisa cette inversion des pôles avec quelques circonvolutions et arrangements avec son art…

Madame Gurib-Fakim dévorait toutes ces données avec avidité et une réelle curiosité scientifique. J’ai vu en elle une passionnée et une femme d’entreprise. Sa présence était tonique, et cela ne nous déplut point… Puis, la date fatidique approcha, ce qui nous valut de travailler aux corrections et modifications jusqu’à fort tard. Je remarquai que ma co-éditrice ne laissait rien au hasard, ne cédant jamais au découragement, même quand le pdf fut envoyé au Ministère de la Culture du Qatar, où une incompatibilité de formats nous donna des sueurs froides. Mais Ameenah géra la situation avec cran et détermination. Il fallait faire honneur au pays… Et nos efforts furent récompensés. En effet, nous fûmes surpris de la qualité du mécénat qatari, car impressionnés par la qualité de l’ouvrage, les qataris optèrent pour un hard cover avec luxe d’iconographies. L’ouvrage leur plut tellement qu’il fut intégralement traduit en arabe, et distribué aux hôtes de marque du Qatar, qui fut la capitale de la culture arabe en 2010. Al Idrissi y fut mentionné dans plusieurs articles (3).

Pour clore ces activités, l’on projeta «La Mémoire Maritime des Arabes» en présence de Sir Aneerood Jugnauth, alors Président de la République, en présence de l’envoyé spécial d’Oman, Abdullah al Suheili et de Roland Maurel, Consul d’Oman à Maurice. Le Premier Ministre Ramgoolam lança l’ouvrage au Jardin de la Compagnie, à Port-Louis.

Ce fut l’occasion pour moi de répondre à une demande de ma ville natale de redéfinir une partie de ce Jardin et de l’ouvrir à l’histoire plurielle. Je conçus l’Allée des Voyageurs, où je proposai à lire des citations de voyageurs non européens, pour la plupart, livrant leur vision de «notre mer» et de la géographie suivant leur propre ressenti. Cet espace rénové fut l’écrin tout trouvé pour nicher le planisphère d’al Idrissi. Bungshee ajouta des dauphins dans la fontaine adjacente, pour souligner l’aspect marin caractérisant la mémoire de cet espace. Cette allée, désormais, attire des milliers de visiteurs chaque mois.

Pour moi, ces réalisations, nées d’une collaboration avec le Comité al-Idrissi demeurent. La rencontre avec celle qui est aujourd’hui la Présidente de notre République, marquée par le travail et l’efficacité, en sus d’une belle entente humaine, est aussi un souvenir précieux de cette collaboration. Cette dame remarquable, brillante et concentrée dans ses objectifs, je le gage, saura inspirer à nos jeunes le sens de l’effort, de l’entreprise et du partage.

Je salue donc l’accession de Madame Gurib-Fakim à cette fonction honorifique pour notre pays.

Bonne chance madame la Présidente !

© Khal Torabully, 3 juin 2015

boule

 Viré monté