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Sur le vif - Elections mauriciennes 2014, quelques leçons à retenir

Il y a 4 ans, prémisses d'une perception électorale en évolution

Khal Torabully

Photo Khal Torabully.


Le jour même des dernières élections à Maurice en 2010, j’écrivais ceci dans une réflexion intitulée «Les élections législatives de l’île Maurice 2010»: «Les résultats de ces élections (…) indiqueraient aussi une nouvelle façon de voir la politique à Maurice, due essentiellement au rajeunissement de l’électorat. Les jeunes pourraient voir la politique davantage sous l’aune des enjeux réels, connaissant la globalisation et les nouveaux moyens de communications. Donc, ils s’éloigneraient d’une façon traditionnelle de faire de la politique au pays. (…)

Le peuple mauricien a démontré une maturité tant dans son comportement devant la chose démocratique que dans ses choix, n’hésitant pas à panacher ses voix, afin que des prises de conscience soient effectuées dans les états-majors des partis politiques. (…) Maurice, à n’en point douter, vient de donner, lors de ces élections, une grande preuve de sa culture démocratique au monde, de sa maturité politique, et les mauriciens et les mauriciennes peuvent légitimement s’en réjouir».   J’écrivais ces mots le 6 mai 2010.

Que dire de ces résultats de ces élections d’hier données «serrées» par les observateurs? Premièrement, que la coalition du Parti Travailliste (PTR) de Navin Ramgoolam et du MMM de Paul Bérenger vient de subir une défaite électorale de grande ampleur, déjouant les pronostics en vogue, avec une victoire massive de l’Alliance Lépep d’Aneerood Jugnauth. Les causes de cet échec cuisant de l’alliance travailliste-MMM sont encore à analyser, du moins dans son ampleur. Cependant, le peuple mauricien qui vient d’accomplir son devoir civique, a signifié sans détour que la coalition PTR-MMM a été sanctionnée de façon implacable. Et ce, pour des raisons objectives et des choix d’alliance du PM sortant.

L’usure du pouvoir et rejet

Cette défaite, tout d’abord, met en relief l’usure du pouvoir ramgoolamien. Deux mandats finissent toujours par user le capital crédit d’un gouvernement. Cependant, le PM n’était pas descendu au plus bas dans l’estime des mauriciens. Le réel facteur qui a surpris plus d’un est la coalition électorale entre le PTR et le MMM. En effet, les deux ennemis d’hier, qui s’invectivaient la veille, pour devenir les meilleurs alliés le lendemain, n’ont pas convaincu.

Ce revirement de circonstance (électorale) a estomaqué la population, qui y a vu une basse manœuvre pour prendre le pouvoir sans le respect de leurs idéologies respectives et leur passé d’affrontements continus. De nombreux militants de chaque parti y ont vu une trahison. J’ai entendu cette désillusion quand j’étais au pays, et je l’ai constaté de visu lors du meeting de l’Alliance Lépep de Jugnauth dans le fief travailliste, Triolet, où des purs et durs travaillistes avaient changé de bord politique, se sentant trahis par cette alliance contre-nature entre Ramgoolam et Bérenger. Jugnauth arborait clairement le "winning mood" nécessaire lors d'une campagne et avait surpris plus d'un par son énergie de vieux leader revigoré. Aujourd'hui, il est hautement significatif de constater que le Premier Ministre actuel, Navin Ramgoolam, vient d’être battu à Triolet, chose impensable il y a deux mois. C’est dire combien la stratégie ramgoolamienne et bérengiste a surpris et révulsé le peuple mauricien. L’on peut sonder à l’envi ce désaveu qui prend l’allure d’une sanction sans ambiguïté.

La stratégie d’alliance de Navin Ramgoolam, on le sait, a été motivée par son projet de la 2ème République. Celle-ci aurait donné le poste de PM à Bérenger et celui du président à Ramgoolam, dans une configuration bicéphale de l’exécutif rappelant celle de la France. Ceci nécessitait un quorum des trois quarts de votes des députés au parlement, pour modifier la constitution et la nature du pouvoir. Cette République a effrayé nombre de mauriciens, car elle a souffert de l'absence d’une vraie pédagogie. Elle est entachée d’une précipitation attifée d’opportunisme politique. Dans cette consultation, le passé de Bérenger comme Premier Ministre lors du partage de pouvoir avec les Jugnauth a resurgi. De nombreux mauriciens l’ont perçu comme un politicien loin de la population, et trop enclin à favoriser le capital, alors qu’il a débuté dans la politique comme marxiste et révolutionnaire issu de mai 1968. La trahison de son idéologie n'a pas plu. Cette deuxième République sous les auspices des deux ennemis qui s’entredéchiraient la veille pour devenir les meilleurs alliés le lendemain, explique en grande partie cette défaite du PTR et du MMM.

L'effet dévastateur d'un clip

J’attirais déjà l’attention sur l’utilisation des réseaux sociaux lors des dernières élections mauriciennes. Lors de la campagne passée, un clip intitulé Viré Mam (Retourne ta veste camarade) a opéré un revirement électoral majeur à Maurice. Il a été visionné presque 100,000 fois; les images montées en alternance et de façon emphatique, mêlant le comique et le dérisoire, les attaques virulentes de Bérenger contre Ramgoolam, et vice-versa, ont été reprises en boucles et changé la physionomie de ces élections-référendum. Ses effets dévastateurs sur la coalition Bérenger-Ramgoolam sont, à mon avis, de taille, poussant les indécis vers l’Alliance Lépep de Jugnauth et de Duval. Avec Viré Mam, l’Alliance Lépep a inscrit une campagne sur le net qui a laissé pantois les soutiens de base de l’alliance travailliste-MMM. Celle-ci a misé sur une logique mathématique selon laquelle, les votes de ces deux partis majeurs s’additionnant, la majorité des trois quarts requis pour la 2ème République allait tomber dans l’escarcelle. Comme me l’a fait remarquer un électeur il y a deux semaines: «Ils ont calculé sur leur papier, mais pas sur celui que l’électeur met dans les urnes…». Cette remarque prend un relief implacable aujourd’hui, au vu des résultats qui ne sont pas encore définitifs. Mais, alea jacta est

Le deuxième élément à considérer est qu’au vu des difficultés économiques et des problèmes d’approvisionnement de l’eau, devenu un enjeu national, les mauriciens ont été captés par les promesses d’Aneerood Jugnauth, père de la prospérité économique mauricienne, qui leur a promis un «deuxième miracle économique», assorti d’une pension vieillesse de Rs 5,000, promesse qui a fait florès chez la population senior importante de cette île vieillissante.

En clair, et avant les résultats définitifs, le vote du 10 décembre reflète clairement que le peuple mauricien a voulu un changement de politique au sommet de l’état. Il espère que la nouvelle équipe pourra être proche des difficultés des mauriciens, en butte au chômage et à la vie chère. Il exprime aussi le fait que les mauriciens n’aiment pas être pris de façon abstraite ou "dépôt fixe" dans des calculs et logiques des états-majors, sans compter sur leur sens critique et leur jugement propres.

Je clos ici ces quelques observations sur le vif, avant les chiffres officiels de cette défaite du PTR-MMM. Maurice vient, me semble-t-il d’envoyer un message fort lors de ces élections qualifiées de plus importantes depuis son indépendance en 1968. Est-ce le prélude à une nouvelle culture politique à Maurice?

© Khal Torabully
11 décembre 2014

 

Viré monté