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De quoi Sarkozy est-il le symptome?
Brève réflexion sur un système

André Lucrèce

Le sarkozysme est souvent présenté comme une idéologie banale, sans cohérence, sans racine historique. Il serait au fond  un «machin» politique désordonné, un peu à l’image de son concepteur, marqué par une agitation frénétique et une surexcitation dont on peut mesurer les tics nerveux et les convulsions au quotidien en regardant dire et faire son auteur.

Une telle lecture, dont on peut comprendre qu’elle soit journalistique, me paraît notoirement insuffisante, d’autant que le moment présidentiel en France produit dans la cristallisation à la fois des paroles et des actes très révélateurs des idéologies qui s’affrontent. Ce serait une erreur que de sous-estimer le sarkozysme, qui n’est pas seulement le fait de celui qui lui donne nom, mais également d’idéologues qui ne sont pas n’importe qui. Je veux parler d’Henri Guaino, la plume de Sarkozy - et à  ce titre co-auteur des discours de Grenoble, (même si son chef de cabinet, Cédric Goubet, et Maxime Tandonnet son conseiller sur les questions d'immigration y ont contribué) et de Dakar – et d’autre part du principal conseiller, symboliquement installé à l’Elysée, le dénommé Patrick Buisson, historien de l’OAS, ancien directeur d’un vieux journal d’extrême droite, la tristement célèbre publication, connue pour sa désinformation et sa haine de l’étranger, dénommée «Minute».

De quoi donc le sarkozysme, comme système, est-il le symptôme?

Le sarkozysme est antihumanisme

Depuis mon plus jeune âge, j’ai été nourri par l’humanisme de mes deux grands-pères, tous deux directeurs d’école, puis, à l’âge de la réflexion philosophique, j’ai lu Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, un classique qui nous était recommandé comme livre de chevet. Et en même temps Césaire qui nous disait dans Le Cahier…, cette chose simple et énorme à la fois: «…je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas» Et cette chose simple m’est restée et me permet de distinguer aujourd’hui le premier qui vient remettre en cause cette chose simple que l’Europe, elle-même, a appelé «humanisme» et qu’elle n’a pas toujours respectée.

Et voilà qu’un homme aujourd’hui, dans son discours de Grenoble, un homme et son système, le sarkozysme, vient jeter en pâture au peuple français les Roms, au point d’être rappelé à l’ordre par le pape Benoît XVI soi-même qui  indique, au cas où le président français l’aurait oublié, que le catholicisme est un humanisme, qu’aucune population, aucun peuple ne saurait être stigmatisé et que le principe de «l'accueil des hommes de toutes origines» est sacré. La Communauté européenne s’émeut également d’un tel discours. Et le 8 avril dernier, j’entends avec émotion les paroles de souffrance d’Alexandre et Délia Romanès, des artistes roms: «Nicolas Sarkozy a délibérément jeté les Tsiganes à la vindicte populaire, alors que nous n’en avions pas besoin. Notre peuple subit déjà assez le racisme. Le Président s’inscrit malheureusement dans la longue liste de ceux qui l’ont institutionnalisé.»

Et ce président ne s’arrête pas là, il désigne comme infâmes tous ceux qui souffrent de leur condition de chômeurs (qui gagnent de l’argent sans travailler), des sans-papiers qui doivent être reconduits aux frontières, des sans-logis, des étrangers qui ne respectent pas « nos » coutumes, des musulmans qui veulent «nous» imposer leur viande halal, la «racaill » des banlieues, zone abandonnée par la république, et infâmes aussi tous ceux que Césaire nous citait encore: «l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture».

Alors des gens posent la question essentielle en forme de bilan du sarkozysme. «Peut-on se résigner au fait qu’un habitant sur dix soit durablement privé des biens essentiels: logement, travail, alimentation, soins, hospitalité.» Oui, hospitalité, ce mot que Sarkozy ne connaît que lorsqu’il accueille les riches, ses amis.

Le sarkozysme est une pratique décomplexée et cynique du mensonge

Je ne m’attarderai pas sur le premier mensonge idéologique qui nous concerne: «les bienfaits de la colonisation». Césaire y a répondu en son temps, refusant de recevoir l’auteur de cette abomination. Et les intellectuels africains, que l’on invitait dans le discours de Dakar à entrer dans l’histoire, ont écrit sous la direction d’Adame Ba Konare un livre au titre éloquent: Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy. Je m’en tiens là, et pourtant il y aurait tant de choses à dire.

Prenons alors quelques exemples récents apparus pendant la campagne. Pour commencer, trois ou quatre mensonges de Sarkozy soi-même: «La France est le seul pays d’Europe, vous m’entendez? le seul, y’en a pas d’autres où le pouvoir d’achat a progressé chaque année durant la crise.» Cette assertion est fausse sur toute la ligne et démentie par divers  observatoires qui montrent que nombre de pays de l’OCDE, dont beaucoup sont en Europe, ont vu leur pouvoir d’achat progresser, et cela chaque année. De plus, selon l’Insee, le pouvoir d’achat par unité de consommation stagne en France depuis 2008.

La même chose vaut pour la croissance: Sarkozy prétend «qu’il y a un seul pays occidental, un seul, qui n’a pas connu la récession, un seul, c’est la France». Cela est faux! Il y a plus de dix pays occidentaux qui sont dans ce cas! Autre mensonge: «il n’a jamais été question de vendre une centrale à monsieur Kadhafi», affirmait Sarkozy, avant de capituler devant le journaliste J-J Bourdin et de reconnaître qu’un «moteur nucléaire» avait été promis à Kadhafi. Il est à noter que Guéant lui-même avait affirmé en 2008 que rien ne s’y opposait, car «la Libye respecte tous les traités internationaux sur la sureté nucléaire.» Nouveau mensonge: «Avec Nathalie Kosciusko-Morizet, nous sommes allés à Fukushima, apparemment François Hollande non…», avant de reconnaître, une fois de plus sous la pression, qu’il n’était jamais allé à Fukushima.

Nous pourrions multiplier les exemples de ce type, non seulement venant de Sarkozy, mais également de Baroin sur le pouvoir d’achat ou de Copé sur la réalité de la gestion de Hollande du conseil général de Corrèze qu’il accuse de 50% d’augmentation d’embauches, alors que ces embauches - selon la Cour des comptes - ont été effectuées sous domination UMP, avant la présidence socialiste. L’usage cynique et conscient du mensonge est une technique du sarkozysme utilisée dans cette campagne afin de pallier une pathétique impuissance créatrice.

Le sarkozysme prône la saturation de l’espace médiatique

Afin de faire passer tous ces mensonges, le sarkozysme a élaboré une stratégie de saturation de l’espace médiatique liée d’une part à l’hyperactivité de son chef, mais également à une adaptation circonstanciée aux nouveaux media.

«Une idée par jour» est le concept que le candidat a tenté de promouvoir afin de masquer son bilan catastrophique. Mais ce que le sarkozysme entend par «idée» est une assertion qui va des attaques violentes souvent ad hominem à des contrevérités concernant les  propositions de l’adversaire. A cela s’ajoutent des enchères – dont on se demande ce qu’elles viennent faire dans un débat présidentiel - qui consistent à verser les retraites le 1er du mois au lieu du 8 ou d’enseigner le code à l’école s’agissant du permis de conduire.

Cela passe également, lorsqu’une information est au désavantage du sortant, par la manipulation de l'opinion. C’est ainsi qu’après «la baisse tendancielle de la hausse du chômage» qui cachait la hausse continue du nombre de chômeurs vers les 10%, on a eu droit à une dette «qui augmente moins vite», quand en réalité la dette publique a continué d'augmenter sous Sarkozy pour atteindre 85,8 % du PIB en 2011 contre 82,3 % en 2010!

L’adaptation aux nouvelles pratiques médiatiques repose sur des modes journalistiques définis comme breaking news, ces fragments d’information qui défilent sous forme de bandeaux sur les chaines spécialisées d’information. Ainsi, le mensonge de Sarkozy, indiquant que Tarik Ramadan soutenait François Hollande, a défilé sur les écrans de télévision pendant toute une matinée avant que Ramadan lui-même ne démentent l’information ainsi que le parti socialiste. La manipulation de l'opinion consiste alors à lancer une information que les media reprennent avant même de l’avoir vérifiée, puisque la forme est en apparence respectée: «N. Sarkozy dénonce le soutien de T. Ramadan à F. Hollande». Le mal est fait, même si le bandeau défilant apporte plus tard un démenti qui n’a bien sûr pas la même valeur.

Le sarkozysme a introduit la vulgarité au sommet de l’Etat

La vulgarité n'est pas seulement une question de langage. C'est tout ce qui, par le langage et par les actes, par le manque de distinction, par l’absence de délicatesse et par le défaut de bienséance, choque. Un tel abaissement va à l’encontre de la république exemplaire.

La vulgarité n’est pas seulement le fait de s'exprimer ainsi en public: «Casse-toi, pauvre con». C’est aussi l’ignorance du sens de la mesure, telle qu’au Fouquet's, c’est le culte indécent de l’argent, c’est l'obstination à placer son fils – un étudiant médiocre - envers et contre tout à la tête d’un établissement public, c’est le fait d’étaler sa montre à 55.000 euros et ses problèmes sentimentaux, toujours en public, au moment où les Français sont en souffrance, c’est le fait d’attribuer des postes pour services rendus ou de l’argent pour un soutien politique, comme cela a été le cas pour Bernard Tapie.

Mais ce sont pareillement tous ces propos médiocres, discourtois, diffusés sans gêne, qui sont du niveau d'une cour de récréation et surtout indignes d’un président de la république. Et ils permettent des allégations d’une veulerie et d’une goujaterie rares en politique, tels que ceux tenus le 26 avril, lors d’un meeting de soutien à Sarkozy dans le Var, par le député UMP Lionnel Luca à l’égard de la compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler: «Hollande qui a retrouvé une femme, Valérie Rottweiler. Et c'est pas sympa pour le chien, ça!». (Le député Luca, interrogé par l'AFP, malgré la vague d’indignation provoquée par sa sortie, n'a rien retiré de ses propos). Ces propos indignes participent de la vulgarité jubilatoire et blasphématoire que le sarkozysme a introduite et développée dans la sphère politique et à laquelle participent les Copé, Morano, et autres…

En réalité et en conclusion, l’extrême droitisation de Sarkozy n’est que la reconnaissance tardive de sa véritable place, et sa consanguinité avec son conseiller Buisson la chose la plus naturelle qui soit pour un avatar d’extrême-droite. N’oublions jamais la volonté populiste du sarkozysme de s’adresser directement au peuple, ne banalisons pas cette très inquiétante obsession d’éliminer les corps intermédiaires qui font vivre une société civile, essentielle à la vie d’un peuple, et apprêtons-nous, si telle est la volonté populaire, à vivre le 6 mai la délicieuse après-midi d’un foehn, renforcé par les alizés, chassant l’indignité…

André LUCRECE,
Ecrivain, Docteur en sociologie

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