Potomitan

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Partie 3

Igor et les
quatre chèvres blanches

Partie 1: Le rêve d’Igor

 

Écrit exclusivement pour Potomitan
par
Dominique Lancastre

 

Photos F.Palli

Chèvres

«Des chèvres à longs poils n’importe quoi» dit Igor en sortant de l’endroit mystérieux.

Ruisseau Il ne pouvait plus contenir sa colère. Il bougonnait en secouant la tête. Il était très déçu. Les grands arbres feuillus rendaient la clairière sombre et austère, mais le soleil était encore haut dans le ciel lorsqu’il sortit de la clairière aux roches marquées.

Tout ce bavardage dans l’endroit mystérieux lui donna soif. Pourtant, il avait l’habitude  de passer des heures aux soleils à brouter de l’herbe fraîche sans se soucier de sa ration d’eau.

Il décida donc de faire un tour à la rivière aux trois cascades. La première cascade était éloignée et difficile d’accès. Mais, il avait envie de se changer les idées. Il n’arrivait plus à oublier ce rêve bizarre.

«Longue vie à Boucanane, longue vie à Boucanane» il se dit encore.

Mais, qui était ce Boucanane que tout le monde semblait aduler dans son rêve et que même les esprits de la clairière avaient le nom dans la gueule.

Igor était plongé dans ses pensées et marchait d’un pas rassuré lorsque tout à coup sur une roche un bêlement parvint jusqu’à lui.

«Bêh, bêh, bêh.»

 

Il s’arrêta net et leva la tête. Sur une grosse chose noire volcanique se tenait majestueusement une chèvre blanche à longs poils, d’une blancheur incroyable.

«Bêh, bêh, bêh» fit la chèvre blanche.

Depuis quand les chèvres bêlent de la sorte. Pensa Igor. Mais, entre chèvres nous nous comprenons nous avons notre langage. Point besoin de faire semblant de bêler. Les bêlements c’est pour les humains.

«Bêh, bêh, bêh quoi, quoi quoi, bêh, bêh, bêh idiote de chèvre va» dit Igor à voix haute.

Chèvre

«Ah bon, je suis idiote maintenant» répondit la chèvre blanche.

«Je ne savais pas que bêler était un signe d’idiotie» ajouta la chèvre dans un bêlement qui indiquait qu’elle n’était pas du pays.

Igor fut surpris et resta la langue pendante en regardant cette chèvre à longs poils qui semblait être tombée du ciel. Car, il n’avait jamais encore vu une telle chèvre dans les parages. Pourtant, il gambadait partout, il connaissait tous les sentiers, toutes les grottes, toutes les ravines, tous les ruisseaux. Il courait après toutes les chèvres.

Cette chèvre bêlait d’une façon étrange. Un bêlement qui venait d’ailleurs. Il se rappela alors les Bêlulliah  de son rêve.

Sans perdre un seul instant Igor dit:

«Répète après moi Bêlulliah, Bêlulliah, Bêlulliah….»

«Non» répondit la chèvre blanche.

«Comment cela non. C’est moi le maître et je te demande de répéter.»

Alors la chèvre dit:

«Tu es peut-être le maître. Mais, moi je m’appelle Chlordécone et Chlordécone te dit qu’elle ne chantera pas. Chlordécone te dit qu’elle est là pour sonner le glas et rien d’autre».

«Chlor…. Quoi» Répondit Igor en pouffant de rire. Il se rappela alors la tête à cornes sans corps dans la clairière aux roches marquées et il se mit à faire pareil.

«Chlordécone hahahahaha.»

«Chlordécone hahahahah.»

«Rira bien qui rira le dernier» dit Chlordécone.

«Mais, je suis celui qui tue et qui tue lentement.»

Je suis là, et là, et là et là  aussi. Elle se déplaçait rapidement autour d’Igor tout en disant cela. Puis, elle disparut d’un seul coup.

Igor resta perplexe et frémit de peur. Il n’avait pas vu de chèvres à long poils de toute sa vie et celle-là avait fait une apparition subite, pour parler de choses insensées.

«Chlordécone, Chlordécone, Chlordécone» dit-il.

Puis, l’air pensif il répétait la même phrase.

«Chlordécone celui qui tue lentement.»
Cimetière
Il ne comprenait pas. Mais, il était certain de n’avoir pas perdu son temps dans la clairière aux roches marquées. La tête avec des cornes et sans corps avait raison. Igor continua sa route tout en pensant à ce que lui avait dit  la chèvre blanche. Il arriva enfin à la rivière. Il regarda à droite puis à gauche et ensuite derrière lui. Il n’y avait personne. Cependant, il sentait une présence, comme si quelqu’un l’observait. Mais, il ne se préoccupa pas pour autant. Il avait beaucoup trop soif.
Bananerie Alors, qu’il se penchait pour boire, une machine volante surgit de la vallée. Il vit alors comme l’avait décrit Boucanane dans son rêve, un oiseau de fer avec une queue de fumée piloté par une chèvre à long poils sur lequel était écrit Epandage.

«Hey ! Hey ! Hey!» s’écria Igor.

Igor sauta de roche en roche, il fit éclabousser l’eau de la rivière pour suivre l’oiseau de fer. Il galopait maintenant à travers les roseaux. Il grimpa une colline. Ses poils étaient remplis de toutes sortes d’herbes collantes. De là, il vit l’oiseau de fer plongé dans les bananeraies, trainant derrière lui une longue fumée blanche. L’oiseau pris un virage à gauche. Il fonça sur  lui. Il put alors voir la chèvre à long poils aux commandes.

«Hey ! Hey ! Hey !» s’écria Igor.

Une trombe  de liquide blanchâtre tomba du ciel arrosa les arbres, et même la rivière et toute la bananeraie. Puis, plus rien. Epandage disparut dans le ciel.

Le soleil commençait vraiment à descendre vers l’horizon. Igor se précipita. Il devait retraverser la rivière. Dans l’empressement il n’avait même pas pensé à ne pas se mouiller les pattes. Maintenant, il cherchait le bon endroit pour traverser au sec et les bonnes roches. Il y parvint tant bien que mal.

Il passa à nouveau devant la clairière aux roches marquées. Il s’arrêta un instant et il pointa l’oreille. Il entendit alors un grand vacarme. Comme si une grande réunion se tenait. Un grand débat comme une assemblée. Il entendit vaguement une histoire de bouc et de bouc... Un débat houleux.qui semblait diviser  tous les animaux.

Pétrogriphe
Il reconnut la voix de la tête à cornes sans corps. Mais, cette fois-ci on aurait dit qu’une bataille infernale avait lieu.

Des bêlements, des soufflements, des  coups de cornes qui s’entrechoquaient et un langage de chèvre, de bourrique et de vache mélangé. Igor ne comprenait rien. Un animal semblait dominer le débat sur les chèvres et les chèvres et les boucs et les boucs.

Il se rappela qu’à certaine heure il valait mieux se tenir à l’écart de cet endroit. D’ailleurs, il sentait que tous ses poils se dressaient sur son corps. Il détala à toute vitesse et lorsqu’il se sentit en sécurité il se retourna pour voir s’il était suivi. Il était tout content, personne en vue. Mais, qu’elle ne fut pas sa surprise en retournant la tête pour reprendre son chemin.

Igor Là, debout devant lui se tenait une chèvre blanche à longs poils. Elle était maigre mais maigre d’une maigreur épouvantable. Pourtant, il y a avait de l’herbe partout. Boucs et chèvres n’avaient qu’à baisser la tête pour se remplir la panse. Et puis on aurait dit qu’elle perdait ses poils.

«Ôtez-vous de ma route» dit Igor bien en colère.

«Quatre chèvres dans la journée, tout bouc je suis, vous êtes en train de me rendre mouton» ajouta-il.

«Et puis tu ressembles à rien. On dirait un vieux balaie usé en paille avec tous tes poils qui se perdent. Et tu as vu tes dents?»

«Maaaaaaaaaaaaaaladiiiiiiiie» répondit la chèvre.

«Quoi, quoi, quoi avec ta maladie» dit Igor.

«Chlordécone, Epandage, Maladie, mais elles veulent me rendre mouton ces chèvres.»

Igor ne comprenait rien.

«La tête avec cornes et sans corps s’est bien payé ma tête» il dit puis il se remit au galop. Derrière lui la chèvre aux longs poils qui tombait répétait.

«Maaaaladiiiiee, Maaaladie, Malaaaadie.»

À suivre...

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Conte de Noël: Les cochons font la grève

Première partie: Le rêve d’Igor

Deuxième partie: Igor consulte les anciens

Troisième Partie: Igor et les quatre chèvres blanches

Quatrième Partie: Igor et le carnaval

Cinquième Partie: Igor et le Bassin aux Eaux troubles

Sixième Partie: Igor et le massacre des crabes

boule

 Viré monté