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Zouki: d'ici danse

Jude Duranty

 

Des bouquets sonores pour accueillir la belle et ravissante Zouki. "Cette si belle donzelle, à son passage, vous peignait les yeux d'une couleur si spéciale". La musique proposée par les gens d'ici n'étant pas à son goût. Très vite elle délaisse "bo lakay" sa terre natale, terre d'accueil des sinistrés du volcan et terre de l'insolite cocotier à deux têtes, pour gagner l'en ville puis l'Autre bord. Elle connaîtra la célébrité et se verra comme par enchantement issue d'une grande famille. Mais toute cette "famille" l'aime-t-elle vraiment? Pourra-t-elle supporter les jalousies suscitées par sa notoriété? Saura-t-elle résister au terrible fléau du dénigrement? Elle veut faire partager son succès aux siens. Elle revient rencontrer sa famille et nous ouvre son album photos ou faire connaissance de sa véritable génération. Zouki est contrainte de revenir au pays parce qu'elle est convaincue que "c'est ici qu'elle pourra trouver un homme dous kon siro". Peut-on préparer en dehors d'ici, un café qui n'est pas que du tjololo?

Zouki: d'ici danse, Jude Duranty • Ibis Rouge, 2007• ISBN 978-2844503060 • 15€

Zouki: d'ici danse

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UNE HISTOIRE DE ZOUK

Marie-Line Ampigny

«Zouki d’ici danse» ou l’ascension zoukante d’une damoiselle bien de chez nous.
A la lecture de ce roman sorti en librairie depuis fin mai, il est bon de rappeler que toute ressemblance avec des personnages existants n’est pas forcément fortuite.

Jude DURANTY  nous offre avez «Zouki d’ici danse» un livre d’humour, d’espièglerie, de mélodie créoles, avec le zouk en exergue et en vedette des festivités. Autour d’une ravissante Martiniquaise à la voix ensorcelante, le romancier brosse le parcours d’une musique métissée singulière, pur produit antillais, aux débuts balbutiants et qui aujourd’hui s’invite sur les pistes de tous les continents.

La chanteuse Zouki incarne à elle seule les périples du zouk et son triomphe. C’est lors du GMZ – comprenez Grand Méchant Zouk – que l’aura de Zouki éclata à la face du monde, supplantant presque l’alezane Tanya et les maîtres zoukants Pipo, Patrick, Jocelyne et Jacob. Zouki comprit alors que sa carrière était à son apogée. Une star était née et elle le ferait savoir. On aperçut chez elle un changement de ton: arrogance soudaine, démarche hautaine, poitrine bombée et tailleur strict. Et c’est ainsi que tous durent constater que Zouki devint «konparézon», nourrie de mépris pour autrui. Etait-ce cela sa revanche suite à ses débuts laborieux et son exil «an lot bò»? Chaque pays gagné, conquis par Zouki et Kasav était matière à la rendre humaine.

Autour de Zouki gravitait Dissidance, Dissonance et autres Volte Face. Les cancans, médisances, belles paroles se mirent à circuler, les plagiats aussi. Et même si Kasav et Zouki restaient au firmament du zouk, on ne pouvait pas nier que l’île était sous ébullition. Le zouk avait semé inspirations, créations, expériences et composition de bon goût. Le bélia déprima songea au suicide, mais finit par renaître flamboyant. Les «je t’aime» se déclinèrent sur tous les tons dont celui de la monotonie. Kali prit son banjo, Franky chanta la foufoune. Et les querelles ne manquaient pas, musicologues et linguiste en dilemme: faut-il faire entrer le zoukalang dans les livres scolaires? A suivre…                                                                   

Marie-Line Ampigny

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“Zouki d’ici danse”:
UNE CARTOGRAPHIE HISTORIQUE et SOCIALE DU ZOUK

Nicole Cage-Florentiny

Jude Duranty est féru des bon mots, tout le monde connaît ses fameuses “Kréyolad” qu’il nous sert “aléliron” avec régularité et obstination. Avec son “Zouki d’ici danse” nous voilà servi, ce titre annonce déjà la couleur. Zouki, nom affectueux qu’il attribue à notre zouk. Danse d’ici et d’ailleurs, danse de la dissidence, de l’exil volontaire en quête d’internationale renommée, de mondiale reconnaissance. L’exil volontaire mais aussi l’exil forcé en quête de la ville, qui à la fois séduite et dédaigneuse finit par la rejeter. Ce coin  est devenu trop petit à l’expression de son art, mais Zouki rêve de revenir au pays imposer sa prestance à ceux qui l’ont méconnu.

Ce texte, une métaphore filée pour dire l’histoire du zouk. En effet, “Zouki d’ici danse” n’est qu’une longue métaphore que Duranty file, de la première à la dernière page, avec une évidente jubilation. Zouki jeune fille comparaison, n’est rien d’autre que la métaphore du zouk et dans ce texte il y a abondance de métaphore et de comparaison. Qui dit métaphore dit recherche d’images poétiques à foison. Quelques exemples:

Il ressentait cette force superbement bêchée au madjoumbé des carreaux de terre de désir où il traçait des sillons de douceur  en vue de répandre des semis de tendresse”. ou encore “Véritable effluve de basilic mélangé a de la cannelle, qui cherchait désespérément une petite place dans un recoin de vos narines...»…. “La musique vous enveloppait d’une douceur de fleur de canne”... “Dans ce petit  pays où les fenêtre sont grandes ouvertes sur les créations venues d’ailleurs”... etcetera et on pourrait continuer ainsi longtemps.

Dans ce texte on retrouve tous les ingrédients du conte créole. D’abord, du point de vue de la structure narrative une structure en danse, première danse, deuxième danse etc.. On pourrait dire en boucle comme pour le conte qui ne se lasse jamais de lui-même et semble toujours s’arrêter pour mieux rebondir. Des textes rimés placés en exergue aussi semblables aux ritournelles.

L’énonciation, le narrateur conteur omniscient il sait tout il voit tout en même temps qu’il glisse sa présence dans le fil de la narration prenant le public, en l’occurrence le lecteur à témoin: ”Laissez moi vous raconter la mésaventure de la fille de Monsieur Ancinel

Des procédés stylistiques, un foisonnement d’images. le procédé de l’accumulation ”comme les titiris lors des éclairs du mois d’août, autant que les brochettes ils remontent l’embouchure, plus que les petits poissons djokok pris dans la seine”…

Le procédé de la gradation “tout ce que vous a raconté jusque là est un brin de vérité,  un soupçon de netteté, une miette de réalité,”…

La rythmique avec des répétitions de sons ou des jeux de mots aux sonorités voisines “la beauté d’une femme avait même laissé un cœur énamouré, debout figé qui s’était arrêté de battre”…

L’humour parfois salace “ sa maman est une femme d’origine asiatique la ville s’appelait Bangkok,”...

Et enfin les digressions qui font que l’on s’égare on ne sait plus où le conteur veut en venir, si tant est qu’il veuille en venir quelque part. Comme cette longue digression sur le cocotier à deux têtes, sur deux pages pour revenir au propos initial, mais revenons à notre sujet. Mais en final de compte où veut en venir Duranty? Car à travers son histoire à dormir debout, il nous compte bien moins qu’une histoire du zouk, une sociologie du zouk et même une psychosociologie du zouk, cette ballade musicale donnée tout en jeu de mots convie à travers le parcours de Zouki à remonter aux origines du zouk. Zouki revient au pays et afin d’assumer ce qu’elle est, cherche à comprendre d’où elle vient en tournant de façon exhaustive les pages du catalogue familial. Elle tenait à n’oublier personne. C’est qu’il lui fallait savoir d’où elle venait? Qu’elles étaient ses racines?

Des premières “déformations” de nos ancêtres esclaves, les apports extérieurs tantôt rejetés avec mépris, tantôt photocopiés jusqu’à l’élaboration d’une démarche musicale consciente d’elle-même et forcément syncrétique puisque créole. Duranty passe tout en revue rendant hommage à qui de droit, sortant des tiroirs de l’oubli qui de droit, écorchant aussi au passage qui de droit.

À travers cette histoire sociologique Jude Duranty semble vouloir nous conduire plus loin, Zouki disions nous au début, est la métaphore du zouk, mais n’est-elle aussi pas la métaphore de notre peuple, de notre être social? Cette femme fantasque et courtisane aussi prompte à lever la robe qu’à lever les jambes pour danser, n’est-elle pas tout simplement le miroir de nous même. C'est-à-dire le miroir d’un peuple, prompt à se renier, à se nier, à chercher la lumière partout ailleurs qu’en lui-même. D’un peuple tétant l’aliénation, s’en repaissant, cultivant le pastiche, le copié collé, s’extasiant de tout ce qui vient d’ailleurs essentiellement de la France et des Etats-Unis et oubliant de s’appuyer, de s’interroger, de se nourrir, de se construire de ce qu’il est.

Duranty n’est pas bibliothécaire et donc quelque part éducateur pour rien, il ne peut résister à la tentation du didactisme, rêvant de faire entrer dans notre coco-tête quelques vérités bien senties. “Pareillement à vous qui n’avez pas appris à lire le créole, tout simplement pour être bon créole bien dans notre langue aussi solide qu’un bâton de maréchal.”

A travers ce texte, il nous parle d’engagement, de son engagement, de sa culture, de sa langue, en un mot, de son pays. Mais il réussit à en parler avec une jubilation manifeste, on imagine bien les yeux, pétillants de malice se frottant les mains à chaque trouvaille, tel l’orpailleur extrayant de la gangue le précieux métal.

Et nous vous souhaitons donc, de ressentir en le lisant, la même jubilation que Duranty semble avoir mise à l’écrire, alors: zoukez-vous bien!

Nicole Cage-Florentiny

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Zouki d’ici danse

Grangenois Marie Denise

Première fiction sur notre musique, de notre formation à l’école française nous cherchons toujours à classer un écrit:

  1. Quelle type de fiction? Est-ce une fiction documentaire? Un docu fiction? Un conte? Je n’arrive pas à classer ce texte, l’auteur nous annonce lui même une fiction page 9. (cette histoire est le son de la pure imagination, toute ressemblance avec un personnage précis n’est que pure coïncidence) Méfiance!!!!
     
    En fait cette difficulté me confirme une observation faite depuis près de 10 ans. Je m’explique……. Les romans écrits par des auteurs de nos régions et d’Afrique ( Alain Mabanckou, Kangni Alem, Léonora Miano) échappent toujours au schéma narratif linéaire classique, ils divaguent sur des sentiers de digressions, de flash back et autres procédés qui cassent sans arrêt la chronologie et la logique classique des faits.
     
    En quoi est ce intéressant? Nombre d’éditeurs français ont refusé des manuscrits d’écrivains francophones pour cette même raison, (un manuscrit de Michel Louis inclassable, le dernier Xavier Orville “Le corps absent de Prosper Ventura” etc…) hors depuis 2 ou 3 ans on constate que les plus grands éditeurs, ceux la même qui refusaient les manuscrits ont ouvert une branche “littérature du monde noir” et exploitent ce filon.
    D’un point de vue littéraire cela me semble prouver qu’il y a une évolution du roman francophone et des cadres de la littérature française.
     
  2. Le style, l’écriture elle-même une vraie danse, l’auteur est habité par ses deux langues le français et le créole, elles cohabitent en harmonie dans le texte, cet entrelacement débouche sur la poésie, “il ressentait cette force lui permettant de bêcher au majoumbé des carreaux de terre de désir pour y tracer des sillons de douceur et en vue de répandre des semis de tendresse” la joie, ”dans leur corps de vieux, un tressaillement de joie: ils recouvraient leur sensation juvénile.”
     l’éclat de rire pages 14, 23, “Complet, veston et lavallière étaient de rigueur, sinon vous n’étiez pas admis. Un garde-chiourme peu sympathique vous refoulait, vous invitant en termes peu amènes à aller voir ailleurs, à aller tirer la senne des pêcheurs dont vous aviez l’habit.” c’est un autre enrichissement de la littérature contemporaine.
     
    Je voudrais souligner que cet usage des langues est à mon sens une conséquence du mouvement de la créolité et non l’expression première de cette créolité, une espèce de troisième voie possible pour notre littérature. Xavier Orville et Georges Mauvois en sont les précurseurs, ces auteurs accèdent à une fluidité du discours qui donne à penser que les précurseurs ont libéré la parole par leur démarche scientifique.
  3. J’évoquais tout à l’heure le mélange des genres littéraires dans ce texte, je voudrais mettre en avant un critère du conte créole utilisé par Jude et qui à mon sens contribue majoritairement à la force illusoire de ce texte, c’est l’anthropomorphisme: L’auteur personnifie des objets, le zouk et les autres danses sont les personnages de ce texte, (dans le conte créole ce sont surtout des animaux) ces danses sont dotées de traits physiques et de qualités humaines et échangent avec des personnages humains. Le lecteur est ainsi piégé et l’illusion fonctionne puisque nous nous surprenons à éprouver de la peine pour Zouki à remercier bèlè de conseiller Zouki etc…
     
  4. Puisque nous parlons de personnages venons-en au personnage monstrueux de ce texte: le dénigrement. C’est lui, l’opposant principal et pourtant lui n’a pas d’apparence humaine, il est partout mais on ne peut le toucher ou le voir, on l’entend. Il est dans les paroles et la gestuelle de tous les personnages mais ce qui me séduit le plus c’est que le narrateur dont l’intention évidente est de dénoncer ce dénigrement utilise lui – même du début jusqu’à la fin du récit le ton du dénigrement. Dénigrement qu’il enveloppe d’humour.
    Que veut dire dénigrer: ce mot vient du Latin denigrare qui signifie noircir ce qui par extension devient entacher la réputation! Il y a de quoi sourire nous cherchons dans ce pays à nous noircir!!!!!!!!!!!!
    Cette permanence du dénigrement conduit le lecteur à l’écœurement ou à la prise de conscience, pour ma part j’en suis sortie étouffée!!! mais non cassée, car une esquisse de “sortie de crise” est proposée
    • par l’organisation du texte lui-même
    •  et par Zouki aussi.

Le texte dénonce le dénigrement en dénigrant.
En organisant ainsi le discours l’auteur oppose au dénigrement, la critique au sens premier du terme, c’est à dire la capacité à discerner le vrai du faux, à juger sainement.
L’humain n’est–il pas plus fort lorsqu’il est capable de recul par rapport à lui-même?
Lorsqu’il est capable de rire de lui-même avec discernement l’organisation de ce texte nous invite à ce questionnement!!!!!
Zouki oppose au dénigrement l’exigence, le travail, l’amour lire page 131.

Grangenois Marie Denise

 Viré monté