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Nwèl 2016 é joudlan

Noël de mon enfance

Liliane Jabot

 

A l’approche de noël, dans la population guadeloupéenne, il existait une certaine fébrilité, tout le monde s’affairait joyeusement, chacun aimerait faire une bonne action comme pour attirer les bonnes grâces en attendant le jour anniversaire de la Nativité du Christ.

Quand j'étais petite-fille (sept ou huit ans) je me souviens du côté solennel de cette fête, tout était empreint de respect, de joie contenue.

Dès le premier dimanche de l'avent, dans toutes les cases et maisons des «chanté noël» étaient organisés. Les seuls instruments: nos voix, les bouts de bois, les boites de conserves.

Chez nous, il y avait Yves, un ami de la famille qui arrivait avec un «harmonica improvisé» (un peigne à coiffer enroulé dans un bout de papier transparent genre cellophane). Ils en sortaient des sons extraordinaires avec son instrument qu’on pourrait penser que c’était un vrai.

Mon frère ainé Jean à la guitare, un autre aux ti-bois, maman qui chantait son cahier de cantiques à la main, (acheté à la Mercerie du bourg), nous les filles qui lui donnions la réponse, notre chanté noël pouvait commencer. Tout le voisinage s’agglutinait devant notre maison et avec nous entonnait les chants à qui mieux mieux.

Un peu plus loin dans la même rue, Monsieur Raymond jouait «Douce nuit» avec sa scie mélodieuse. Ce monsieur était un virtuose dans cette catégorie; l’assistance restait baba en l’écoutant.

Les airs chantés respectaient la gravité de l’évènement, pas de danses «soukoué-kô», ni «alé dômi sou kon kochon».

Tout était gratuit, on se partageait ce que l'on avait. Et parfois rien du tout. (On n'allait pas s'endetter inutilement) mais l’amitié, la bonne relation entre voisins à l’époque étaient incomparables.

Et chaque jour c'était la même joie de se retrouver pour chanter dès cinq heures de l’après-midi jusqu’à sept heures du soir car il n’y avait pas d’électricité dans les rues et les maisons dans ces années 50.

Puis chacun s’en retournait joyeux chez lui en se promettant de revenir remettre le tempo jusqu’à la solennelle Messe de minuit.

Deux jours à l'avance, l’on entendait dans tout le quartier des cochons qui rendaient l’âme par des kwiiiiiii ...kwiiiiiii. mais peu importait, l’heure n’était aux états d’âme, il fallait récupérer le sang pour faire le fameux boudin, et débiter la viande pour la vendre au voisinage. Ma mère achetait sa viande de porc, ce jour-là et la laisser «égoutter» pour la débarrasser de ses impuretés. Elle la citronnait ajoutait des feuilles de bois d'inde et du sel, du girofle et la laisser dans le "surin" (tombée du soir) car il n'y avait pas de réfrigérateur et ce procédé avait le pouvoir d'empêcher à la viande de se gâter. Puis le jour venu elle lavait cette viande pour la débarrasser de tout excès de sel et la faisait bouillir avant de la roussir...De toute ma vie, je n'ai jamais mangé une aussi bonne viande de porc que celle préparée par ma maman.

Ce jour-là aussi, elle nous faisait écosser les pois de bois et les laissait «prendre du soleil» pendant deux jours. Je n'ai jamais su pourquoi. C'était son secret moi je trouvais ça naturel. Aurait-on idée de contredire ses parents en ces temps-là hein???

Pendant la cuisson des pois de bois, outre les épices, elle ajoutait des morceaux de malanga et de giromon pour obtenir un consommé bien crémeux.

Elle préparait son shrubb avec les écorces d'oranges qu'elle avait fait sécher depuis plusieures semaines et les faisaient macérer dans du rhum, exposé au soleil pendant deux jours, et son sirop de groseille-pays. Elle préparait des pâtés à la viande qu'elle faisait cuire dans une cocotte sur du charbon avec de la braise sur le couvercle, c'était le four de l’époque, elle réalisait pour la circonstance, le fameux gâteau doukoune avec de la confiture. Oh la la quel délice!!

Le jour J, nous les enfants, ne devions pas faire de bruit. De bon matin elle s'était réveillée pour nettoyer la maison et les alentours. Tout devait être propre; Les effluves de la viande de porc roussie nous parvenaient et nous chatouillaient les narines. Comme j’aimais ça!!

Nous restions sages comme des images, parce que pour la messe de noël, nous étions réquisitionnés comme «anges» mon frère, ma sœur et moi pour accompagner la procession de l'église à la Messe de Minuit.

Notre maman nous faisait dormir toute l'après-midi et avant de nous rendre à l'église, elle nous faisait manger de la soupe à l'oignon et vermicelle (Pour nous tenir disait-elle) car il était interdit de manger du solide avant. Tout devrait se faire après la messe.

Nous étions éblouis, nous «les anges» en entrant dans l'église illuminée comme jamais auparavant, les mains jointes avançant cérémonieusement fiers et heureux de voir nos camarades crever d'envie.

Un jour j'ai quand même demandé à ma mère si les prêtres étaient comme nous car on ne voyait pas leurs pieds, car dans mon imaginaire d'enfant, ils étaient surnaturels, ils semblaient flotter.

Non me répondit-elle, ce sont des hommes comme nous et moi de surenchérir: Est-ce qu'ils font pipi et caca?? Mais bien sûr lança-elle en riant; grande fût ma surprise.

Après la Messe de minuit, nous rentrions à la maison où toute une victuaille de bonnes choses nous attendait. Maman se pressait de nous nourrir car nous étions restés plus de deux heures à faire de la figuration et nous avions faim et soif. Ensuite, nous passions de maisons en maisons dans le voisinage pour célébrer la naissance du Christ. Tout se faisait dans l'allégresse et le respect.

Il n’y avait pas de sapin à la maison et point de cadeaux ou de jouets. Nous ne connaissions pas. Cela ne nous a jamais manqué. Car noël c’était avant tout une fête religieuse.

Le lendemain, pour nous remettre des agapes du réveillon, à midi, nous déjeunions du blaff de poissons salés avec des ignames jaunes, préparés par maman, tradition qu’une de mes sœurs ainées Tita perpétue jusqu’à ce jour. Puis le soir, soupe maigre avec de la salade de cresson. (la laitue n’était pas encore arrivée aux Antilles)

Les restes du réveillon finissaient dans un «Bat’ manman» un savant mélange de la veille pour ne rien gaspiller car nous n’avions pas de moyens de conservation; le maître-mot de notre maman, c’était: «mangé toute, dèmen ké vinn é taye» (à chaque jour suffit sa peine)

Ces souvenirs de noël, ce sont des moments forts de mon enfance qui ne me quittent jamais; ma mère était une femme douce, mais ferme; elle nous a transmis ces valeurs: être heureux avec peu de choses, ne jamais se plaindre pour des peccadilles et envier quiconque. Nous avons tous hérités de sa joie de vivre et de tout ce qu’elle nous a inculqué.

©Lili JABOT
8 décembre 2014
(Guadeloupe)

 

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