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La chronique littéraire de Jean Bernabé

Autour de Fanon

9. Identité culturelle et politique de coopération des peuples

Jean Bernabé

25.04.2012

Si l’expression «identité culturelle» est impropre, l’assimilation culturelle, elle, est une réalité. Résultat d’une véritable aliénation de la personnalité culturelle d’un peuple, elle vise à torpiller la personnalité de ce peuple en imposant à ce dernier, notamment par colonialisme interposé, la personnalité culturelle et les valeurs d’un autre peuple. Les écrits de Fanon expriment jusqu’à l’obsession une volonté de décolonisation non seulement des peuples mais aussi des consciences.

Retour sur la notion d’assimilation culturelle

Il faut se garder d’imaginer que l’assimilation culturelle entame totalement la personnalité d’un peuple auquel elle est imposée. Assimiler, c’est rendre pareil: deux personnalités culturelles ne peuvent pas être identiques, sauf à ce qu’elles  participent à un amalgame, chose toujours possible et historiquement attestée. Rome a vaincu la Grèce mais la Grèce a hellénisé Rome, ainsi que nous l’indique l’historien romain Tite-Live  à travers son fameux «Graecia capta cepit ferocem victorem» (la Grèce conquise conquit son farouche vainqueur). En d’autres termes le verbe «assimiler» a deux sens: d’une part, un sens actif (j’assimile les aliments que j’ingurgite et, comme le rappelle si bien un proverbe africain, lorsque le tigre mange une chèvre, il fabrique de la chair de tigre et non pas de chèvre);  d’autre part, un sens passif (je suis assimilé, c'est-à-dire rendu pareil à la chèvre mangée par le tigre). La vie culturelle des peuples se situe perpétuellement entre assimilation active et assimilation passive, influences accueillies et influences subies. Tout est donc affaire de degré et de modalité de l’opération en question (paix ou violence impérialiste? Coopération ou compétition? Partage ou prédation? Désir ou rejet de l’Autre? etc.)  De toute façon, l’assimilation passive totale est une impossibilité radicale. Tout peuple, quel qu’il soit, recèle une capacité de résistance, de détournement des valeurs auxquelles on tente de l’assujettir. Tout peuple, même le plus soumis à la subjugation, tant qu’il est vivant (et non «génocidé», par exemple) possède une dynamique culturelle, même si cette dernière ne parvient pas toujours à atteindre le seuil lui permettant l’accès à sa souveraineté culturelle, voire politique. De même, l’assimilation active d’une culture autre n’est jamais le fait d’un peuple entier. Elle est généralement le fait des «élites», comme ce fut le cas pour les Romains, qui, tout en ayant subjugué militairement la Grèce, étaient fascinés par la culture grecque. De même, l’assimilation positive de la culture française est propre aux «élites» africaines, mais n’est pas forcément généralisée au peuple dans son ensemble.

L'identité étant par définition fermeture, quand elle est assignée aux peuples, devient, de surcroît, obsessionnelle, tandis que la personnalité est par nature partage, échange, empathie, bref, ouverture. L'identité cherche en vain à se prouver. La personnalité ne se prouve pas, elle se vit et s'éprouve.

Le rejet d’une pensée essentialiste pernicieuse

S’il est possible d’établir l’existence de langues dites créoles, sans pour autant en faire des langues spéciales, il est aventureux d’attribuer la qualité structurelle de créole aux cultures et aux sociétés. En revanche, il n’y a rien de déraisonnable à valider le concept de créolité, non point comme l’expression d’une essence, mais au contraire comme une notion constructiviste, porteuse d’un projet, celui notamment du «partage des ancêtres» et ce, contre toutes les idéologies ataviques de la racine unique et du repli ethnocentrique.

D’aucuns peuvent s’étonner de ce que le créoliste que je suis récuse la notion de culture créole, laquelle fait pendant à celle d’identité créole. En effet, il n’y a pas une essence créole, même si au sein de divers peuples de la Caraïbe partageant une histoire assez proche a été élaborée une langue créole, composée de dialectes divers, riches de leur originalité sur fond de structures communes. Des dialectes plus ou moins facilement intercompréhensibles, mais qui, avec des contacts de plus en plus fournis deviendront transparents les uns aux autres. Tout cela étant dit, rien ne s’oppose à qualifier les nations créolophones, c'est-à-dire parlant créole de «nations créoles» (selon la traduction française de la dénomination adoptée par les adeptes du mouvement nasion kréyol). Oui, mais à une condition, celle d’être et de rester conscient qu’à travers cette formulation on a affaire à un raccourci commode de langage. On parle bien de monde roman, pour désigner l’ensemble des nations ayant une langue issue du latin. Dans le même ordre d’idées, ne parle-t-on pas aussi de pays anglo-saxons, arabes, slaves, ou encore latino-américains?

Quelles leçons pour notre Caraïbe?

Si chaque nation de la Caraïbe devait être enfermée dans une identité, il ne risquerait malheureusement de ne jamais y avoir de fédération des nasion kréyol, prélude possible à une nécessaire fédération de la grande Caraïbe. Mais si, au lieu d’agiter le fantasme identitariste, on cherche, au contraire, à investir politiquement la notion de personnalité, on peut aller vers cette fusion des nations caribéennes, qui ne sera pas forcément une confusion, même en cas d’amalgame toujours possible, car la notion de spécificité, à quelque niveau qu’elle s’applique, demeure une caractéristique des groupes humains. La question devient alors celle du périmètre de cette spécificité. La spécificité des régions françaises n’empêche pas l’existence de la France comme nation spécifique. La spécificité, rappelons-le,  est une composante de l'identité, mais n'est pas l'identité. L'identité est ce qui reste pareil à soi-même, en deça et au-delà des évolutions biologiques et mentales. Paul n'est pas Pierre et réciproquement (spécificité), mais Paul et Pierre s’inscrivent dans une biographie, elle-même inscrite dans une histoire nationale (personnalité). A titre d'exemple, il existe une personnalité marie-galantaise, originale et spécifique. Mais si, au contraire, je prône une identité marie-galantaise, en toute logique, je ne vois pas en quoi un Marie-galantais peut être à la fois marie-galantais et guadeloupéen. Il est dès lors clair que si un Marie-galantais, un Saintois ou un Désiradien devait s'emmurer dans une prétendue identité culturelle, par définition inaliénable, ils ne pourraient alors pas relever d'une appartenance guadeloupéenne consentie, et, au-delà, caribéenne. Oui! Question de pure logique! Or, jusqu'à nouvel ordre, les Marie-galantais se disent guadeloupéens, le sont et se vivent comme tels. Les personnalités marie-galantaise, saintoise ou encore désiradienne sont des composantes de la personnalité guadeloupéenne.

Foin donc de l’illusion identitariste et vive l’authenticité des nations!

En réalité, tous ces pays ont une personnalité qui constitue une des facettes potentielles d’une personnalité au périmètre plus vaste, possiblement caribéenne, tout aussi originale et spécifique, non pas immuable et figée, mais en construction permanente, parce que partie prenante du mouvement de l'Histoire, en marche de plus en plus rapide!

Le vrai nationalisme repose sur une mise en contact des diverses personnalités nationales, lesquelles ne peuvent que s’enrichir mutuellement. Le vrai nationalisme est internationaliste, loin de l’esprit de compétition, cet ennemi de la vraie coopération des peuples et qui est si habile à lancer ces derniers dans une quête éperdue d’hégémonie, de prétendue excellence, de parts de marché et en les asservissant aux lois à la fois prédatrices et sauve-qui-peut de l’ultralibéralisme!

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10. Identité, authenticité, identification, appartenance

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