Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Réflexions sur le débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle française 2022

Hugues Saint-Fort

Dans ce texte, je consigne mes réflexions sur le débat qui a opposé le président français Emmanuel Macron, candidat à sa réélection dimanche prochain 24 avril 2022, à la présidente du parti d’extrême-droite, Marine Le Pen. J’ai suivi de bout en bout sur FranceinfoTV hier après-midi ce débat qui a duré près de 3 heures (2h50 minutes exactement). Il est possible que je me fasse attaquer pour la publication de cet article. Certains pourraient me critiquer pour avoir parlé d’un événement qui n’est pas du tout pertinent pour les intérêts de mon pays d’origine, Haïti; d’autres pourraient me reprocher d’avoir utilisé la langue française. Dans certains milieux, il est de bon ton, ces jours-ci, de critiquer l’usage de la langue française quand on est Haïtien. Mais, en même temps, on trouve des linguistes (en fait, un linguiste) qui se donne pour mission de «protéger le français en Haïti». (je renvoie s’il vous plait à mon article «Ki sa sa vle di, pwoteje lang franse ann Ayiti?») qui a paru sur Rezo Nòdwès dont voici le lien: https://rezonodwes.com/?p=275278. Allez comprendre! Mais, revenons à nos moutons.

Tout d’abord, situons ce débat. Il fait suite à un premier débat qui a opposé ces deux protagonistes, il y a cinq ans, et dans les mêmes circonstances, à la seule différence qu’à l’époque, Emmanuel Macron était tout simplement un candidat et pas encore le président qu’il est actuellement. En fait, il est largement accepté dans la plupart des milieux compétents que Emmanuel Macron a consacré sa victoire à la présidentielle de 2017 parce qu’il a battu à plate couture sa rivale Marine Le Pen dans ce fameux débat de mai 2017 qui devrait rester dans les annales des présidentielles françaises.

En effet, au cours de ce premier débat de 2017 qui s’est révélé une véritable humiliation pour Marine Le Pen, la candidate de l’extrême-droite s’est montrée chaotique, indisciplinée, mélangeant absolument tout, alors que le candidat Emmanuel Macron s’est présenté sous son meilleur jour, avec une presque parfaite connaissance de ses dossiers et même, à la limite, un certain excès de confiance.

Tout le monde attendait donc ce deuxième débat qui prenait des allures de revanche, de «match-retour», pour employer un langage bien connu en football. Vingt-quatre heures après, force est de reconnaitre que ce match-retour ne peut en aucune façon se comparer au match-aller. La candidate de l’extrême-droite s’était beaucoup mieux préparée, et s’est révélée certainement plus disciplinée que lors du débat de 2017. Elle était plus sereine et semblait avoir une bien meilleure connaissance de ses chiffres. Emmanuel Macron de son côté, s’il s’est montré égal à lui-même, n’a pu s’empêcher de manifester une certaine arrogance.
         
Emmanuel Macron, durant tout le débat, a eu beau jeu de marquer des incohérences dans le programme de la candidate de l’extrême-droite. Cette dernière a attaqué le bilan d’Emmanuel Macron qui, selon elle, a fait «souffrir» les Français au cours du quinquennat. Ce qui m’a frappé dans ce débat, c’est que, sur les deux thèmes qu’elle avait retenus comme les plus emblématiques de sa ligne d’ attaque contre le président sortant, le pouvoir d’achat et le port du voile chez les musulmans, Marine Le Pen s’est fait corriger par Emmanuel Macron qui s’est montré maitre de ces deux dossiers. On sait que, généralement, un président sortant s’expose aux critiques de ses adversaires qui sont prompts à l’attaquer sur son bilan d’exercice du pouvoir. Marine le Pen a voulu tenter cette expérience. Mal lui en prit car Emmanuel Macron a été féroce dans ses réponses et a étalé toute sa compétence argumentative et sa meilleure connaissance du dossier. Selon le quotidien Le Monde, «poussée dans ses retranchements, elle [Marine Le Pen] est apparue souvent imprécise, voire déstabilisée par un adversaire qui a pris un malin plaisir à la pousser à la faute sur les détails de sa politique économique.»

Un deuxième thème de ce débat concernait l’international et surtout la Russie de Vladimir Poutine. Emmanuel Macron n’y est pas allé par quatre chemins. «Vous dépendez du pouvoir russe et vous dépendez de monsieur Poutine» lui a lancé le président-candidat. Pour preuve, il lui a rappelé que son parti, le Rassemblement national, a contracté un prêt auprès d’une banque russe qu’on dit proche du Kremlin. Marine Le Pen s’est défendue en rétorquant qu’«aucune banque française n’a voulu m’accorder de prêt.» et s’est même plaint en disant que «nous sommes un parti pauvre».

La crise du Covid-19 et le réchauffement climatique ont donné lieu à quelques échanges très vifs, notamment cette harangue de la candidate: «Vous êtes le président qui a créé 600 milliards d’euros de dettes supplémentaires en cinq ans dont deux tiers qui n’ont rien à voir avec le Covid» Le président Macron a protesté en disant que «c’est totalement faux»

L’écologie a donné lieu à des échanges générateurs de petites phrases dont la plus mémorable reste l’accusation lancée par Macron à son adversaire «Vous êtes climatosceptique, …votre programme n’a ni queue ni tête.» Ce à quoi la candidate de l’extrême-droite a répliqué: «Je ne suis pas climatosceptique, en aucun cas, mais vous, vous êtes un peu climato-hypocrite.»

Mais, c’est sur la thématique de la laïcité et du port du voile dans l’espace public que le débat a été le plus vif et le plus critique. Marine Le Pen s’était déclarée tout à fait opposée au port du voile dans l’espace public. Mais, selon Emmanuel Macron, interdire le voile créerait «la guerre civile». Car, c’est contraire à la Constitution. Marine Le Pen a semblé interloquée quand le président-candidat a émis son jugement de la possibilité d’une «guerre civile»

Depuis une cinquantaine d’années, quand le système des débats présidentiels a pris racine dans le corps social français, il n’y a eu qu’une seule fois où un face à face présidentiel a permis de déterminer un vainqueur à l’issue d’une présidentielle. C’était en mai 1981, lors de la victoire de François Mitterand. Les deux candidats étaient alors au coude à coude et la bonne prestation du candidat socialiste a, semble-t-il, fait pencher la balance en sa faveur. En 2017,  l’écrasement par Emmanuel Macron de sa rivale  Marine Le Pen n’a fait que consacrer une victoire qui semblait évidente dans toutes les intentions de vote. Que peut-on dire donc de ce débat en termes de prévision de victoire dimanche prochain 24 avril ? Ce qui est sûr, c’est que Marine Le Pen s’est nettement mieux comportée qu’en 2017. Cela ne veut pas dire qu’elle a pris le dessus sur Macron. Loin de là. Le président-candidat s’est révélé beaucoup plus offensif, et maitrise mieux ses dossiers. Il sait de quoi il parle. Face à lui, Marine Le Pen s’est montrée moins chaotique qu’en 2017, mais est restée ce qu’elle a toujours été: populiste, démagogique, faussement militante. Le vrai militant (la vraie militante) doit pouvoir maitriser ses dossiers. Dans le cas contraire, on ne fait que de la démagogie pure et simple.

Hugues Saint-Fort
New York, avril 2022

*

 Viré monté