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Mon bouillon d’actualités 6ème semaine

Hugues Saint-Fort

Débarquement des troupes américaines à Port-au-Prince en 1915. Source: CIDIHCA

Résumé:

Les nouvelles de la semaine qui ont stimulé ma réflexion pour ce weekend portent sur le triste anniversaire du débarquement des Marines américains en Haïti en juillet 1915, l’évolution de la première semaine des Jeux olympiques au Japon, le glaçant reportage de l’incroyable invasion du Capitole le 6 janvier dernier, et la nomination de l’autochtone Mary Simon comme gouverneure générale du Canada.

L’anniversaire de l’invasion américaine d’Haïti le 28 juillet 1915 et de son occupation qui a duré jusqu’en 1934 est passée presque inaperçue. Il est possible que l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier et les nombreuses interrogations qu’il continue à provoquer aient contribué à ce relatif oubli. Pourtant, c’était une bonne occasion de rappeler cet événement tragiquement mémorable qui a marqué l’histoire moderne d’Haïti et qui peut même expliquer, dans une large mesure, cet assassinat du président.

Rappelons que c’est aussi un assassinat (un véritable lynchage, en fait) effectué par une foule déchainée sur le président haïtien de l’époque, Vilbrun Guillaume Sam, réfugié dans les locaux de la légation de France,  qui servit de prétexte à l’invasion américaine le même jour. Les Américains justifièrent leur intervention militaire en faisant valoir la nécessité de rétablir l’ordre, la paix et la démocratie dans un pays tourmenté et contrôlé par des bandits qui agissaient sauvagement. Ils installèrent rapidement un nouveau président haïtien et força le corps législatif haïtien à approuver une convention qui faisait d’Haïti un protectorat des Etats-Unis. Une nouvelle constitution fut établie en 1918 qui accorda aux étrangers le droit de propriété dans le pays, privilège qui était interdit depuis plus d’un siècle.

Dans l’ensemble, les Haïtiens, spécialement ceux des zones rurales, se révoltèrent contre les forces américaines et se placèrent sous le commandement d’un ancien officier de l’armée, nommé Charlemagne Péralte. Pratiquant des tactiques de guérilla moderne, ils offrirent une certaine résistance mais furent vaincus par la puissance de feu des forces de l’occupation. Charlemagne Péralte fut trahi par un membre de la Résistance haïtienne et abattu en novembre 1919.

L’une des conséquences les plus importantes de cette occupation a été la centralisation du pouvoir d’état à Port-au-Prince. Cette centralisation a été administrative, économique, et militaire. Plus que jamais, les régions de la campagne devinrent dépendantes de la capitale. A partir de cette centralisation du pouvoir, les autorités haïtiennes, sous le contrôle des forces de l’occupation, désarmèrent la paysannerie, s’employèrent à professionnaliser l’armée haïtienne et mirent sur pied un système d’intelligence qui permit de contrôler efficacement l’évolution des activités qui se déroulaient loin de la capitale. Selon Dash (2001), grâce à ce système d’intelligence, les Etats-Unis «created a force with which it would maintain formal and informal links after the end of the occupation» (créèrent une force avec laquelle  ils purent maintenir des liens formels et informels après la fin de l’occupation) [ma traduction].

La dépendance totale actuelle de la république d’Haïti par rapport aux Etats-Unis a pris naissance à cette époque. Il est donc important de bien comprendre en quoi a consisté cette occupation et ce qu’elle a apporté à Haïti. Je recommande deux textes majeurs qui peuvent aider dans une telle démarche. D’abord, le livre classique de l’historienne haïtienne Suzy Castor titré L’occupation américaine d’Haïti et un récent article du politologue haïtien Robert Fatton paru dans la revue Jacobin du 22/07/2015 et intitulé Killing Haitian Democracy.

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La première semaine des Jeux olympiques de Tokyo vient de se terminer et elle a créé bien des surprises. Nous savions depuis longtemps que l’olympisme a toujours décuplé les performances sportives des athlètes et  cet enthousiasme s’est particulièrement manifesté durant l’époque de la guerre froide mais nous ne savions pas qu’elle perdurait encore après cette période. Aujourd’hui, il est facile de constater que les performances sportives soulèvent encore des enjeux politiques et sociologiques. Il se livre une compétition acharnée entre la Chine, les Etats-Unis,  la Russie et le pays organisateur bien sûr pour la conquête des médailles. Si c’est la Chine qui pour l’instant tient le haut du pavé en ce qui concerne l’attribution des médailles d’or, ce sont les Etats-Unis qui totalisent pour l’instant le plus grand nombre de médailles dans les 3 catégories, l’or, l’argent, et le bronze. Malheur aux athlètes qui échouent au pied du podium!

Dans les sports collectifs super populaires tels le basketball, la plus grande surprise est venue dès les premiers jours quand la France a réussi à prendre le meilleur sur les Etats-Unis. Fort heureusement pour les joueurs de la NBA, ce n’était qu’un match de poule et la sélection américaine ne fut pas éliminée de la compétition. Mais, les basketteurs français ressentirent cette victoire comme un véritable triomphe et la presse française ne tarit pas d’éloges sur les basketteurs français.

En football en revanche, la sélection française fit piètre figure et perdit trois de ses quatre matchs de poule. Le Japon, pays organisateur, avait fondé de grands espoirs sur Naomi Osaka, la nippo-haïtienne, numéro 2 mondial, pour décrocher la médaille d’or. Grande fut la déception du pays tout entier quand la championne fut éliminée au troisième tour par Marketa Vondrousova, une joueuse d’origine tchèque.

En tennis, chez les hommes, Novak Djokovic, le numéro un mondial qui caressait le rêve de devenir le premier joueur dans l’histoire du tennis à réaliser le Chelem d’or s’il arrivait à gagner la médaille d’or olympique et le dernier tournoi majeur de l’année, l’US Open en septembre à NY, a vu son rêve brisé puisqu’il s’est fait battre par l’Allemand Alexander Zverev en 3 sets. Profondément déçu, Djokovic s’excusa en s’adressant en ces termes à son public: «Je suis désolé d’avoir déçu beaucoup de fans de sport dans mon pays. Mais c’est le sport, j’ai donné tout ce que j’avais, tout ce qu’il me restait dans le réservoir, ce qui, au final, n’était pas tant que ça.» Chez les dames, ce fut la Suissesse Belinda Bencic qui remporta la médaille d’or en battant la Tchèque qui avait éliminé Naomi Osaka.

Cruelle déception pour le colosse guadeloupéen Teddy Riner chez les plus de 100 kilos au judo qui rêvait de gagner sa troisième médaille d’or après une première remportée en 2012 à Londres et une deuxième conquise à Rio en 2016. Malheureusement, son rêve n’a pu se concrétiser puisqu’il a été battu en quarts de finale par un judoka russe. Il s’est rattrapé toutefois en gagnant le bronze et en conduisant avec une autre médaillée d’or, Clarisse Agbégnénou, l’équipe de France de judo à la victoire olympique en battant l’équipe du Japon, le pays du judo, ce qui est, on doit le reconnaitre, un véritable exploit.

Pour fermer ce chapitre olympique, rappelons le triste retrait de la géniale gymnaste américaine Simone Biles qui n’a pas pu supporter le stress immense de l’énorme pression exercée sur elle par tout le pays.                                    

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Il s’est passé le 6 janvier 2021 un événement extraordinaire qui figurera dans tous les livres d’histoire des Etats-Unis. Ce jour-là, pendant que les membres du Congrès étaient réunis au Capitol pour certifier la victoire de Joseph Biden sur Donald Trump à l’élection présidentielle de novembre 2020, des milliers de partisans de Trump, chauffés à blanc par ce dernier qui refusait d’admettre sa défaite, envahirent le Capitol pour empêcher le processus de certification et mettre à mort les membres du Congrès. Il y eut au total cinq morts en cette journée fatidique. Cette invasion du Capitol a constitué le point d’orgue d’un ensemble d’événements incroyables dans un pays qu’on a présenté comme la plus solide démocratie au monde, continuellement vantée et toujours prête à faire la leçon aux autres sociétés. Par-dessus tout, il faut signaler la percée spectaculaire de l’ultra droite aux Etats-Unis qui a permis les mensonges sans vergogne de fraude électorale présidentielle répétés incessamment par l’ancien président battu et ses alliés. Donald Trump et ses alliés ont tout essayé: vandalisme, émeutes, désobéissance civile, pillages, attaques physiques sur des représentants de la loi, pression sur le Congrès américain et sur le vice-président Mike Pence pour changer les résultats de l’élection de Joe Biden alors que cette capacité était complètement hors des pouvoirs du vice-président.

Tout cela a obligé les législateurs américains à introduire un projet de loi visant à former une commission indépendante pour investiguer les événements entourant l’attaque du 6 janvier sur le Capitol. Après bien des péripéties, cette commission a pu finalement être formée et s’est réunie vers la fin du mois de juillet. A la première audience de la commission tenue le 27 juillet 2021, quatre officiers qui défendaient le Capitol durant les émeutes sanglantes du 6 janvier ont témoigné devant les législateurs et ont décrit avec force détails des scènes d’horreur qui donnent froid dans le dos. Ils ont demandé une investigation complète et sans concession afin de faire toute la lumière sur ces attaques.

Selon le New York Times du 27 juillet 2021, un officier a décrit comment les émeutiers ont cherché à lui arracher les yeux et l’ont qualifié de traitre pendant qu’ils cherchaient à envahir le Capitol. Un autre a raconté comment il a été projeté contre un mur et a failli être écrabouillé par la meute des partisans de Trump qui étaient déchainés, pendant qu’il entendait les hurlements de douleur émis par d’autres camarades officiers.

La démocratie américaine est sérieusement en danger d’être foulée aux pieds par le populisme d’extrême-droite et le suprématisme blanc. Jusqu’où cela peut-il nous conduire?

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Le 26 juillet 2021, Mary Simon est devenue la 30ème gouverneure générale du Canada. Madame Simon est une Inuk née dans le nord du Québec et est devenue la première autochtone à occuper cette fonction de représentante de la reine Elizabeth II au Canada. Pourquoi a-t-on choisi ce moment pour cette nomination? Bien que ce soit une fonction assez honorifique, dans quelle mesure Mary Simon peut-elle faire bouger les lignes, créer des changements dans les conditions de vie des peuples autochtones du Canada? En quoi cette nomination peut-elle intéresser les Haïtiens qui résident au Canada (ou même qui ne résident pas au Canada)?

Certains critiques disent que c’est de la poudre aux yeux car le gouvernement fédéral ne fait rien pour aider à gérer les crises en cours dans les communautés autochtones. D’autres soutiennent que Mary Simon a une longue expérience de travail avec le gouvernement fédéral et d’autres institutions territoriales et qu’elle peut apporter une aide précieuse.

Cependant, Mary Simon est déjà prise à partie par des groupes de Québécois qui lui reprochent de ne pas parler français. La question de la langue reste donc fondamentale dans la vie québécoise et on ne peut l’éviter, spécialement dans la vie politique. Il reste à savoir ce qui peut être fait dans ce cas précis. Pour nous Haïtiens, rappelons qu’une Haïtienne, Michaelle Jean, a occupé ce poste de gouverneure générale du Canada, il y a une dizaine d’années environ.

Hugues Saint-Fort
New York, 1er août 2021

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 Viré monté