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Contes créoles

Fables diverses

Pourquoi les Tortues ont leur carapace toute craquelée

Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.

Un jour, Diable déclara la guerre au Bon Dieu. Le Bon Dieu, naturellement, accepta le combat, car il n'y a pas plus puissant que lui, pensait-il. La lutte s'engagea avec un fracas épouvantable. Tout le ciel et toute la terre en tremblèrent. Elle ne fut pas longue, et le Bon Dieu fut battu et dut signer la paix. Il dut quitter le ciel, et Diable s'y installa et prit possession de l'immense domaine de l'Univers.

*

Pour jouir de tous les biens du ciel et de la terre, il lui fallait mener un train d'enfer et gaspiller tant qu'il pouvait. Il organisait des fêtes tous les jours, des bals toutes les nuits, et il invitait ses amis: le plus grand nombre possible. Tous les animaux y allèrent, un par espèce. Les oiseaux et les insectes y montèrent à tire d'aile, les quadrupèdes y grimpèrent par l'échelle de Jacob.

Tortue, elle aussi, était invitée, et même elle devait jouer le premier violon dans le concert céleste. Mais Tortue est toujours un peu lente, et elle arriva juste au pied de l'échelle quand une main d'en-haut la remontait dans le ciel.

Cependant, sa voisine l'Araignée s'était, elle aussi, mise en retard, et Tortue, l'apercevant, lui conta son malheur. Araignée lui dit: «Je vous tirerai d'affaire. Moi je vais grimper d'abord et je laisserai pendre mes fils, Vous vous y accrocherez, puis j'enroulerai mes fils, et ainsi vous monterez.»

Araignée monta, et Tortue se suspendit au bout du fil qui pendait. Le cœur lui battait bien un peu, et elle craignait que le fil ne se rompit. Mais Araignée, arrivée au but, enroula le fil, et Tortue se sentit monter, et trouva que c'était un moyen commode.

Elles arrivèrent toutes deux juste à l'heure où le bal devait commencer. Diable les reçut fort courtoisement, et Tortue se mit à jouer avec beaucoup d'entrain. Elle joua toute la nuit, et le bal fut très réussi.

*

Le lendemain, il s'agit de descendre. Araignée attacha le bout de son fil à un nuage, et Tortue s'accrocha à une des pattes d'Araignée, et toutes deux, de nouveau, se lancèrent dans le vide.

Tortue, en descendant, se demandait comment du petit corps de son amie pouvait sortir un fil si long, assez long pour descendre du ciel sur la terre. Elle dit à Araignée: «Où prends-tu tout ce long fil? - Du dedans de moi, répondit Araignée! - Mais comment ton petit corps peut-il contenir tant de fil? - Tais-toi», dit Araignée. Alors Tortue se tut pour le reste du voyage. Et elles arrivèrent sans encombre, au terme de leur voyage.

Tortue aurait dû, naturellement, remercier Araignée du service rendu, et la payer, mais elle n’était pas polie et n'aimait pas payer ce qu'elle devait. Sans dire merci, elle se jeta à l'eau, et partit à la nage.

*

Il y eut un autre bal, bientôt, et Tortue y voulut aller. Elle demanda à Araignée de l'y monter une deuxième fois. Araignée y consentit moyennant paiement. On convint d'un prix, et Tortue promit de payer au retour. Elles y allèrent, s'y amusèrent et revinrent comme la première fois, et Tortue, comme la première fois, sans dire merci et sans payer le prix convenu, se jeta à l'eau dès le retour sur la terre.

*

Il y eut un troisième bal, et on avait, naturellement, besoin du violoniste Tortue. Une fois encore, elle alla demander à Araignée de la monter, jurant que, cette fois, elle paierait le prix convenu et bien au-delà.

Araignée fit semblant de croire aux serments de Tortue, et elles partirent.

Pendant le trajet du retour, Araignée pensa qu'elle pourrait bien se venger enfin. On était a mi-chemin entre ciel et terre.

Déjà, on voyait l'eau bleue de la mer. Tortue, en voyant la nappe bleue, se sentait rassurée. Même si le mince fil se rompait, il ne pourrait pas lui arriver malheur, car elle tomberait à l'eau, son élément.

Pendant qu'elle se laissait aller à cette consolante pensée, elle se rendit compte brusquement que sa vitesse avait augmenté.

«Tiens, se dit-elle, le fil s'est rompu, ou Araignée m'a lâchée, pour se venger Je vais tomber à la mer.»

Mais il soufflait un grand vent, et Tortue se sentit déportée, et comprit le danger. Le vent la poussait vers la terre, et, à la vitesse accrue par la chute, Tortue voyait s'approcher le sol. Elle essaya bien de se redresser, de tomber sur ses pattes. Trop tard!

Le choc fut tel que sa carapace se brisa. Elle resta endolorie et meurtrie, comme écrasée par le choc, et souffrant le martyre par ses blessures.

Porc-épic, âme charitable, avec sa plus longue épine, essaya tant bien que mal de la recoudre.

Et c'est depuis lors que les tortues ont leur carapace toute craquelée et comme rapiécée.

boule

Viré monté