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L’humanité de cette femme qui porte le voile

Umar Timol

Cette femme qui porte le voile vous ressemble, bien plus que vous ne le croyez, bien plus que vous ne l'imaginez. Elle est femme d'affaires, enseignante, femme au foyer, aide-ménagère, mère, épouse, étudiante, de gauche, de droite, révoltée, indifférente, ambitieuse ou lasse, elle est une femme comme tant d’autres, ni meilleure, ni pire. Elle vaque à ses occupations, elle sait parfois la joie et parfois la tristesse, sa vie est faite de milliers de petites choses, inscrites dans la trame du parcours de tout être humain. Et c'est ce qu'elle est, avant tout et surtout, un être humain dans sa singularité et sa spécificité comme l'est tout être. Le voile est un élément essentiel de son identité mais il est loin de résumer ce qu'elle est. Elle le porte pour plusieurs raisons, la première étant la conviction religieuse, elle suit ainsi les préceptes de sa religion. Le voile est aussi un moyen pour elle d'affirmer ses racines, son appartenance, sa façon d'être au monde. Certaines évidemment sont contraintes de le porter et rien ne saurait justifier cela. Le voile sert parfois à exercer la domination masculine mais elle est, le plus souvent, un choix conscient, libre et parfaitement assumé. Cette femme n'est pas, contrairement à ce qu'on semble croire, une victime de la fausse conscience, un être manipulé, en d'autres mots, une pauvre sotte qui ne sait pas ce qu'elle fait, qu'on devrait sauver d'elle-même (rôle qu'un féminisme colonial s'est octroyé). Elle est, si on peut dire, l’auteure de son histoire et non le pantin de quiconque. On constate ainsi que ce sont souvent les femmes les plus éduquées qui font ce choix. Vous avez bien sûr le droit d'estimer que ces femmes sont opprimées, c'est votre droit le plus légitime. Il est utile et nécessaire d'avoir un regard critique sur l'autre. Il ne s'agit pas, par politesse ou au nom du politiquement correct, d'éviter les questions difficiles.  Mais il faudrait sans doute, si vous avez des convictions semblables, parler à une de ces femmes, lui poser des questions, essayer de comprendre son univers. Vous verrez que les choses sont loin d'être simples, qu'il est au creux de cet être une grande complexité et que ce choix, comme tout choix, en émane. Vous comprendrez aussi très vite qu'au-delà des mots - intégriste, islamiste, modéré etc. -, au-delà des étiquettes, il y a des êtres faits de nuances sans fin. Chaque être est ainsi le dépositaire d'une histoire, d'un vécu, d'un parcours, qui récusent les caricatures. Il faut reconnaitre qu'il est souvent difficile d'entamer ce cheminement vers l'autre d'autant plus qu'on procède à un véritable lavage de cerveau, ainsi, à entendre certains ce morceau de tissu serait à l'origine de tous les maux de la terre. On procède, par ailleurs, a des amalgames, confondant ainsi l'infime minorité extrémiste dont la violence est l'expression d'une ignorance abjecte avec la majorité silencieuse qui ne souhaite qu'une chose, vivre et prospérer en paix. On ne peut, il est utile de le répéter, se dispenser d'un regard critique sur l'autre, il n’y pas lieu, à la limite, d’être d’accord avec l’autre, mais on se doit de faire preuve d'un minimum d'intelligence, tenter de penser et d'interroger le contexte, aller au-delà des stéréotypes et de cette pensée facile et simpliste qui enferme les êtres dans des carcans. Il s'agit de respecter l'autre non parce que nous sommes de grands naïfs mais parce que nous savons leur complexité et notre complexité, êtres en ombre et lumière, les nôtres et les siennes. Ainsi ce qui semble être ici un objet d'oppression est là-bas un objet qui sert à l'émancipation et inversement.  Ainsi le sens d'un vêtement n'est autre que le sens que celle qui le porte lui donne. Ainsi les formes de domination sont parfois subtiles et invisibles. Méfions-nous donc de la diabolisation surtout quand elle sert les intérêts des puissants du jour. De tout temps, on a fabriqué un Autre, un autre nécessaire qui sert d'exutoire à tous les fantasmes, à toutes les haines.  Comme l'a écrit Sartre, on inventerait cet autre s'il n'existait pas. On pourrait dire que si la femme voilée n'existait pas on l'inventerait. Elle est une pièce essentielle dans un discours qui diabolise l'autre. Il faut donc tenter de cheminer vers l'autre, souvent contre soi, contre nos certitudes pour parvenir à l'humanité de l'autre. Autrement on risque d'ouvrir des portes qui doivent demeurer fermées. La diabolisation de l'autre, quel qu'il soit, quels que soient ses convictions, ses origines, ses vêtements, nous mène aux enfers. L'histoire en est le témoin.

22.04.2016

boule

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