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Le racisme paradoxal du dominé

Umar Timol

Le racisme des dominants se comprend. On pourrait dire qu'il coule de source. Il est une partie intégrante de leur identité. Ainsi le sentiment de supériorité, la haine et la diabolisation de l'autre, le mépris de la différence sont la structure sous-jacente de l'exploitation de l'autre. Cette exploitation n'est possible que si sa déshumanisation est radicale et systémique. Autrement la structure qui sous-tend la domination s'écroulerait. Ce n'est pas tant une question de choix que de survie. Le dominant raciste ne peut, dans un certain sens, échapper à sa condition. Ou s'il le fait, c'est à un prix fort.

Le racisme du dominé est complexe, ambigu. Inscrit dans les échelons inférieurs d'une hiérarchie de domination, il a un rapport schizophrénique avec les dominants. S'y mêlent admiration, honte et haine. Le dominant incarne ce qu'il veut être, d'où sa fascination pour lui et son désir de le singer. Il y a en lui, ancré au plus profond de son être, cette volonté, presque sauvage, d’être semblable au dominant. Et il a, en même temps, honte, de porter le stigmate de sa différence. Il est, si on peut dire, le prisonnier du regard du dominant, qui peut décider de ce qu'il est. Son regard a le pouvoir de le figer, de l’aliéner. Ce qui explique sa gêne et sa timidité, ses tergiversations face à lui. Et la haine est une autre composante essentielle de ce lien à l'autre parce qu'il sait pertinemment bien que le dominant le méprise, qu'il ne pourra jamais être des siens, qu'il restera pour toujours cloîtré dans son altérité. Il est parfois cet enfant qui a besoin d'être rassuré, que le maître lui accorde sa bénédiction et parfois cet adulte empli de rage, qui veut, dans un certain sens, "détruire" le dominant car sa dépendance à son égard a un caractère quasi absolu. Ce dominé est l'être du tiraillement, de l'identité impossible, tendant vers ce qui ne peut être, refusant ce qu'il est, son être fracturé de part en part.

C'est de cette fracture qu’émerge sa haine des autres dominés car ces derniers le renvoient à ce qu'il est, à ce qu'il pourrait être. Il les regarde et il se voit, la couleur de sa peau, sa façon de parler, son être, sa trop grande proximité avec eux mais plus encore il se voit à travers le regard du dominant. Cet autre est un miroir trop précis de ce qu'il est, il doit s'en extraire, s'en libérer. D'où l'impératif raciste qui lui accorde un sentiment de supériorité. Il ne pourra jamais se mesurer au dominant mais il vaut quand même plus que ces autres. Sa mimique du dominant, de sa façon de parler, ses maniérismes, sa défense acharnée de ses valeurs, de sa suprématie, de sa culture, qui est synonyme, à ses yeux, de civilisation, sa sympathie pour les éléments les plus extrêmes au sein de ce groupe en fait un personnage curieux et à la limite comique. Il n'est pas sans susciter l'embarras du dominant qui voit en lui un pantin utile mais ridicule. Son vécu est une illusion mais une illusion qui a force de vérité et de sens car elle structure son existence. Que serait-il sans ce pseudo supériorité ? Que serait-il sans la possibilité de mépriser l'autre ? Que serait-il sans la possibilité de la vantardise et de l'arrogance ? Il faut aussi comprendre que ce racisme est une émotion primaire, quasiment pulsionnelle et que l'appel à la raison est inutile dans les circonstances. On ne peut guérir un tel personnage de son mal. Et le tragique de sa situation tient au fait que le caractère objectif de la domination lui échappe, à ses dimensions économique ou encore culturel. Il est, bien souvent, l’allié objectif du dominant, ce même qui l'opprime.

Le dominé raciste est une bien étrange créature. Objet de la haine des dominants, il s'en nourrit pour haïr ceux qui lui ressemblent. Il est ainsi l'être des paradoxes, il ne peut être qu'en devenant cet autre qui le méprise et en récusant la part de l'autre en lui. La solution serait de transcender cette identité factice en devenant solidaire des dominés. Il pourrait enfin se reconnaître dans cet autre qui lui est semblable. Ce choix, dans un certain sens, est impossible. S'en libérer serait détruire son identité. Mais c'est à ce prix seulement qu'il pourra enfin être pleinement humain, en voyant enfin dans le visage de l'autre son propre visage.

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