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Annou voyé kreyòl douvan douvan

ce n'est qu'un jeu

Umar Timol

 
ce n'est qu'un jeu, vois tu, rien de très grave, on ne va pas en faire un plat mais je t'aime, il n'y a là rien de très glorieux, on peut même trouver que c'est pathétique ou bouffon mais je t'aime et c'est plus fort que moi, je n'y peux rien et je ne sais trop ce qu'il faut faire pour s'en débarrasser, il est après tout tenace l'animal, il sait comment faire pour s'insinuer dans les moindres replis, les derniers recoins, il est tout le temps aux aguets et il passe à l'attaque quand on s'y attend le moins, je me demande s'il y a une recette pour le tuer ou du moins pour le cloitrer temporairement mais je ne crois pas, c'est un combat inutile et donc je t'aime et je t'aime, j'ai effectué un diagnostic et tous les symptômes sont là et bien là, je pense à toi à peu près toutes les trois secondes, il y a comme une langueur ou est-ce un creux au mitan du cœur, un sentiment de mélancolie et de désir mêlés et puis je n'arrête pas de me poser des questions gravissimes, l'avenir de l'univers en dépend, est-ce qu'elle ou plutôt est-ce que tu m'aimes, est-ce que tu penses parfois à moi et surtout qu'est-ce que tu penses de moi et donc je t'aime et c'est sans doute pour cette raison, tout à fait sotte, il faut le reconnaître, que je me mets à écrire, que ces mots, inopinés, ébouriffés, se remettent à inonder la page, tout ça est donc bien curieux, il suffit d'aimer pour se remettre à créer, quel est donc ce sortilège, je ne suis donc qu'un grand enfant qui a besoin de sa muse pour écrire, quelle belle rigolade, quelle franche rigolade mais n'en parle à personne, s'il te plaît et donc je t'aime mais comme je crois l'avoir souligné ce n'est qu'un jeu, ce n'est rien de très sérieux car après tout je suis très lucide, ne suis-je pas après tout l'incarnation de la lucidité, je sais ainsi que l'amour est semblable à une maladie, c'est comme une poussée de fièvre, quelque chose qui envenime le corps pendant quelques semaines puis qui s'en va parce qu'il n'a rien de mieux à faire et j'ai donc décidé d'attendre, qu'on laisse l'amour donc œuvrer, qu'on le laisse donc me dévorer et puis il finira bien par s'en aller et donc je t'aime, je n'y peux rien, je suis profondément et sincèrement désolé, je suis coupable, je te l'avoue mais c'est l'autre, l'amour, qui m'a donné l'arme du crime, c'est l'autre, l'amour qui m'a poussé dans tes bras, je n'y peux donc vraiment rien, madame le juge, l'accusé est innocent, je vous prie de réviser votre sentence et donc je t'aime et c'est vrai que tu es belle, j'aime la pénombre de tes yeux, j'aime  quand ton visage devient grave, quand tu sembles t'oublier pour un ailleurs mais bon je vais t'épargner les clichés poétiques, je ne vais quand même pas, pas à cet âge, me mettre à parler des constellations, des étoiles, du soleil ou de je ne sais trop quoi encore, je ne vais quand même pas te dire que tu fascines l'empreinte de ton sang sur ma peau ou encore que tes cils  rythment les égéries de mon cœur, je ne vais rien te dire de tout ça car c'est vraiment trop ridicule, tu sais bien que je suis un être profondément lucide, je suis l'incarnation  de la lucidité et donc, au risque de me répéter, je t'aime et ce n'est qu'un jeu, je ne vais rien faire, je vais laisser l'amour faire, il doit s'affranchir de toutes ses étapes, désir, idéalisation, dépendance, ennui et puis il s'en ira, je le sais, je lui donne encore six mois, pas plus, mais ça pourrait durer encore une cinquantaine d'années, qui sait, il est, après tout, tenace l'animal.

Viré monté