Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Les âmes obscures.

Umar Timol

Ils sont possédés par le désir du monde. Mais ils savent quoi faire pour sauvegarder les apparences. Ou du moins c’est ce qu’ils croient. Ils sont des comédiens en puissance. Ils jouent, doivent nécessairement jouer. Les plus hypocrites arborent l’air des dévots religieux, les autres revêtent le sourire carnassier de ceux qui vénèrent l’honnêteté. Mais la comédie ne dure jamais très longtemps. Il est facile, plus que facile, d’apercevoir dans le corps lisse de leurs mascarades ces fissures qui recèlent des plaies purulentes. Ils ne sont pas des caricatures qui servent à fabriquer des fictions mais des êtres réels qui surpassent toute fiction. Ils sont possédés par le désir du monde. On nous dira qu’ils ne sont en rien différents des autres. Mais il est une chose qui les en distingue et c’est la radicalité de leur désir. Ils sont prêts à tout pour réussir, ils n’ont pas de scrupules, ils sont prêts à mentir, à tricher, à voler et, dans certains cas, à tuer. Ils veulent posséder ce monde, la gloire éphémère associée au respect et au culte des titres, l’appétit de l’argent et le goût de la matière. Il leur importe peu de savoir qu’ils sont des comédiens dans le théâtre du néant insulaire, qu’au-delà de l’horizon de notre perpétuelle médiocrité, ils ne sont rien. Il leur importe peu d’œuvrer en quête d’un rien dans le cadre du rien. Ils aiment trop ce monde. Si on s’évertue à la compassion, qui est bien la seule préférence dans les circonstances, on dira qu’ils sont des aveugles. Et il n’est de pire aveuglement que l’aveuglement à soi-même. Ils sont sans doute d’une obscurité qui épuise toutes les grâces de la lumière. Ils sont sans doute d’un lieu sans retour. Ils sont sans doute ornés d’un voile qui accorde une légitimité à leurs outrances. Ils ne voient pas. N’entendent pas. Ne se voient pas. Ils sont des possédés. Des aveugles. Et ils doivent infliger leur aveuglement à l’autre car ils n’acquièrent leur substance que dans le rapport à l’autre. Ils veulent être le scribe de leur toute puissance dans le regard de l’autre, regard qui parfois leur renvoie cela mais regard qui le plus souvent les défigure. D’ou le besoin de dominer, d’exercer le pouvoir, d’où le besoin d’écraser, de détruire l’autre. La matière qui fonde ces empires de l’illusoire est une nécessaire tyrannie. Il ne peut en être autrement. Ils sont les âmes obscures. Ames obscures, aveuglées à soi-même, aveuglées aux autres, âmes dont l’enfer de tous les instants est ce même aveuglement, enfer qu’ils infligent aux autres.

Viré monté