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FRANCIS PONAMAN

«Père de la recherche en indianité»

Jean S. Sahaï

Jude SAHAÏ et Francis Gilbert PONAMAN

Photo : Jude SAHAÏ et Francis Gilbert PONAMAN

Né le 25 mai 1950 à la Guadeloupe, écrivain et chercheur d'origine indo-créole, Gilbert Krishna Francis Ponaman nous a quitté le 22 mai 2022.

Eu égard à son activisme de la première heure, le doctorant en culture et civilisation Francis Gilbert Ponaman fut le fer de lance de la recherche en indianité créole.

Il y a un demi-siècle, il publiait avec son acolyte Jude Sahaï quelques numéros de la revue Soleil Indien.

C’était la rude époque où les recherches sur les Indiens antillais étaient encore improbables, mal venues pour le Gotha.

Innovant le concept d’indianité, Gilbert Ponaman donnait cet avis sur les 150 ans de l’Arrivée Indienne aux Antilles en 2003-2004:

La volonté d’éradiquer tout un pan de notre réel créole a conduit à de tragiques malentendus et des souffrances inutiles.
Au temps du mépris, les travailleurs tamouls, héritiers de l’antique sagesse indienne, adopteront la voie du silence et de la non-violence.

Sur leur terre d’accueil, ils scelleront dans leur cœur cette pensée de leurs ancêtres il y a 2.000 ans:

«Ma maison est partout dans le monde, tout homme est mon frère».

Dans cet esprit de fraternité, nous avons célébré avec faste 150 ans du métissage non-avouable avec l’Inde. Le 150ème anniversaire de l’arrivée fut une découverte historique, symbolique, unitaire, emblématique.

En ouvrant les portes de la fascinante civilisation indienne, la Commémoration nous révéla une image séduisante, mystique de nous-même.

L’Inde a participé à la genèse de la société créole, alors que nous étions peu disposés à son égard.

N’avons-nous pas par cet oubli, cet égarement, amputé notre société d’une dimension spirituelle nécessaire à son épanouissement?

La reconnaissance de l’indianité nous rappelle que la sagesse hindoue vise avant tout la réalisation, la transcendance de l’être.

Et que c’est dans sa culture que l’homme manifeste sa souveraineté

*

Tout jeune, Gilbert Francis est conscient d’être différent, et pas seulement par son apparence typiquement indienne. Avec la pratique du culte indien et son éducation familiale, il ressent confusément cette différence aussi culturelle, ce quelque chose d'impondérable qui le distingue.

Le futur chercheur se sent tantôt proche des «autres» tantôt éloigné d’eux, il veut comprendre, il se pose des questions…

À 5 ans, Gilbert Francis part avec ses parents pour Saint-Pierre l’ancienne capitale de la Martinique et port de la première arrivée indienne. Son éducation l’initie aux pratiques de la tradition tamoule ancestrale qui ont cours au sein des familles indo-martiniquaise: rites funéraires, samblani, kalmandron effectué 40 jours après la mort, koumoudou, cérémonie dite « bondyé-kouli » en Martinique…

La mère de Gilbert souhaitait pour lui des études de civilisation hindoue à l’Université Hindoue de Bénarès. Plus pragmatique, son père envisageait une carrière de professeur en civilisation indienne.

A 18 ans, il devient enseignant et est affecté dans le nord de la Martinique où les indo-martiniquais représentaient une importante part de la population. Dans cet environnement, l’identité indienne le façonne et radicalise sa pensée, d’autant plus que les historiens français et martiniquais ne mentionnaient jamais l’histoire et l’apport des Indiens dans la construction de la société créole martiniquaise.

Sa rencontre avec Yves Gamess, conservateur de la Bibliothèque Schœlcher le conforte dans son idéal d’indianité créole en orientant ses lectures, tout en lui insufflant la volonté de s'investir pour la reconnaissance sociale et culturelle des Indiens des Antilles, tout en exaltant les valeurs de la tradition.

Il s'imprégne des œuvres de Gandhi, Sri Aurobindo, Vivekananda, Tagore, et Baradi, le poète tamoul rebelle. La Bhagavad Gita, crédo du combattant indien, arme sa pensée militante, tout comme Chandra Chatterjee qui décrit dans son «Monastère de la Félicité «comment les luttes entre communautés indiennes ont abouti à livrer le pays aux Anglais…»

Élève brillant dans les matières littéraires, à 18 ans il s'oriente vers l'enseignement, s'y attarde quelques années, affecté dans le nord de la Martinique où les Indo-Martiniquais représentent une importante communauté. Mais cette société ancrée dans ses contradictions et sa recherche de ses racines ne se sent pas concernée.

Gilbert Francis ne se décourage pas. En 1973, avec l’aide de son comparse Jude Sahaï et sans aoutien financier aucun, il crée le périodique Soleil Indien pour officialiser le mouvement indianiste, et il le distribue de porte en porte auprès des familles indiennes. Il n’en paraitra quelques numéros.

L'indianité telle que l'entend Ponaman, vise en premier lieu à sauvegarder la mémoire des anciens ; à préciser et rehausser l'éclat des nadron, ces longues soirées de chants épiques extraits des grandes épopées de l'Inde, tel le Mahâbhârata ; à initier et développer la pratique de la langue tamoule; à valoriser le culte pour déculpabiliser et décomplexer l'Indien, l’aider à reconnaitre et accepter ouvertement sa culture d'origine transplantée aux îles. 

Gilbert Francis tient toutefois à accoler à sa quête indienne sa qualité de Martiniquais et de Guadeloupéen d'adoption, soucieux que la part indienne de sa culture soit reconnue comme une des composantes fortes de l'antillanité qui allait devenir la créolité. 

Pour mieux comprendre la pratique qui survit aux Antilles, il se décide en 1980 à faire le grand saut. Il prend son bâton de pèlerin et part en Inde, le pays mythique des ancêtres. Premier Antillais à enquêter sur les sources de l'hindouisme pratiqué aux îles, vivant avec les Indiens dans leur village, se fondant dans leur vie pour les reconnaître et les connaître, il découvre que les Indo-martiniquais et Indo-guadeloupéens n'ont rien inventé ni oublié! Que les rites qu'ils ont amené avec eux depuis plus d'un siècle se sont perpétués. 

Ce premier séjour au pays tamoul, dure huit mois. De retour aux Antilles, il écrit, donne des conférences et poursuit ses recherches. Sa personnalité d'indo-martiniquais le pousse à initier le premier mouvement indianiste en 1967 comme chercheur spécialiste de littérature indienne.

Après 10 ans dans l’éducation nationale, il débute des études universitaires à Paris. Conscient que les Antilles et la Guyane ont oublié d’inscrire dans leurs annales l’odyssée indienne : Francis Ponaman n’a de cesse de réclamer la reconnaissance de l’indianité au sein des cultures caribéennes. Il entreprend alors des recherches sur les origines des Indo-martiniquais.à l’INALCO (institut national des langues et des civilisations orientales), et obtient son DEA de langues et civilisations indiennes.

À la Sorbonne Paris III, il suit des cours de sanskrit. Mais c'est à l’université de Paris VIII Vincennes qu’il étudie l’épigraphie tamoule. A l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, sous la direction du professeur François Gros, il découvre avec intérêt et passion la littérature du Sangam.

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En 1988, Francis Gilbert Ponaman revient à la Martinique où il est chargé de cours de civilisation indienne à l’université des Antilles et de la Guyane, aujourd’hui Université des Antilles, à Fort-de-France et à Pointe-à-Pitre.

Quatre ans plus tard, il quitte l'île pour reprendre ses recherches en ethnologie, en remontant aux sources de l’hindouisme créole martiniquais. Mais malgré plus de trente ans de combat pour la reconnaissance, la survie, et l'acceptation de l'apport indien du monde créole, la reconnaissance ne vient pas. L'occultation a nappé d'indifférence et de mépris la riche présence de la composante indienne et ses subtiles influences sur la société créole. 

Pour les 150 ans de l'Arrivée Indienne, en Martinique et en Guadeloupe, respectivement en 2003 et 2004, Gilbert donne des conférences sur les aspects de cette histoire. À La Trinité, il explique «la place de la femme indienne dans la communauté». À Ducos, il parle de «la créolisation de l'indien», au Morne Rouge il fait une communication sur «la civilisation dravidienne».

Ces échanges donnent lieu à des débats passionnants. Le public tant indien que non-indien est assoiffé, médusé et ravi de sortir de la méconnaissance de la chose indo-antillaise, il veut s'enrichir et se réapproprier cette culture qui est aussi la sienne quoique longtemps occultée. 

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Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les nouveaux affranchis désertaient les plantations, car les planteurs refusaient de satisfaire leurs revendications.

Pour les remplacer, les Blancs créoles propriétaires terriens ou Béké font appel à des travailleurs étrangers Européens, Madériens, Asiatiques et Africains. La Grande-Bretagne, soupçonnant la France de reprendre la traite négrière sous une forme déguisée, autorise les Français à recruter des contractuels à travers le sous-continent indien en vertu de la convention franco-britannique du 1er juillet 186. En effet les comptoirs français en Inde ne pouvaient répondre à l'attente des planteurs, car la population y était peu nombreuse.

L'intégration de ces nouveaux arrivants sur ces terres meurtries par la période esclavagiste s'est faite dans la douleur. La population, majoritairement créole, voyait d'un très mauvais œil ces ouvriers, qu'elle considérait comme contribuant à pérenniser la prospérité des planteurs négriers.

Durant des décennies, ces Indo-créoles furent marginalisés.

C’est au nom de la Bhagavad Gita ou «Chant du Seigneur», le grand texte sacré de l’hindouisme, que Gilbert Francis Ponaman les incita à œuvrer pour leur évolution.

Conscient que les Antilles et la Guyane omettaient injustement d’inscrire l’odyssée indienne dans les annales, il revendique la reconnaissance de l’Indianité au sein des cultures caribéennes. Il entreprend les recherches qui faisaient défaut sur les origines des Indo-antillais. 

Doctorant en ethno-histoire, il se partage entre la France, l'Inde et les Antilles, intervenant à divers colloques, expositions et autres manifestations, toujours en quête de plus de connaissance à partager.  Il se plait à dire qu’il a le droit légitime de s’emparer des «armes miraculeuses» de la créolité pour les conjuguer à l’éloge de cette indianité qui, vêtue d’épopées, drapée de mysticisme, auréolée de mythes, aborda un certain jour les côtes des Antilles.

Membre fondateur et président d’honneur de GOPIO France, chercheur au CERIA (centre d’études et de recherches sur l’indianité aux Antilles), il travaille sur les anciens comptoirs français de l’Inde, lieux d’origines des premiers immigrants indiens à la Martinique. 

Il intervient avec élégance en Guadeloupe lors du Festival de Gwo-Ka de Sainte-Anne en 2003, et à plusieurs reprises au cours de l'année de commémoration des 150 ans de l’arrivée indienne en 2004. Son exposé sur la vie à bord des bateaux indianiers au 19è siècle est particulièrement révélateur des péripéties des migrants. 

Il dirige un colloque sur la présence indienne en Guadeloupe à l’occasion de la visite du ministre des Indiens de l’outremer, Shri Vayalar Ravi, et donne régulièrement des conférences sur l'immigration Indienne dans les Antilles Françaises. Il est aussi à l’initiative d’une stèle commémorant la présence indienne inaugurée en mai 2015 dans la ville du Moule par ledit ministre le maire et son conseil municipal.

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Gilbert Francis Ponaman nous a aussi gratifié d'un recueil d'histoires indiennes, La Nuit du Swami, et de plusieurs chapitres dans l'ouvrage collectif intitulé L'Inde dans les arts de la Guadeloupe et de la Martinique: héritages et innovation, sous la direction du chercheur Gerry L’Étang.  

Il aura restitué envers et contre tout à la mémoire indienne sa vraie place dans la mémoire collective martiniquaise et guadeloupéenne, et contribué ainsi à mieux addeoir la créolité, fer de lance de l’identité des îles. 

Hommage à sa mémoire !
Jean S. SAHAÏ

Bibliographie

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 Viré monté