Potomitan

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In memoriam

Mon cher Hamid Skiff...

Max Rippon

Le 20 février 2011, revisité le 8 janvier 2012

Je suis monté au faîte de mon île, là où le volcan de La Soufrière se donne au silence. Loin de la mer dont la lassitude des vagues aurait pu me distraire, pour entrer en connivence poétique avec toi. Je veux songer à notre première et unique rencontre. Une seule fois d’une parole à l’improviste dans le hall d’un hôtel ordinaire,  pour donner naissance à ce lien amical et solide entre nous, tel un pont de fortune jeté en pleine brousse, comme un silence profond à qui l’on confie le pouvoir de dire des paroles de rosée sur les feuilles des matins lumineux.

Nous avions ce jour-là  du temps à tuer pour deux. C’était en Algérie, la terre accueillante qui t’a vu naître.

Tu avais, pèlerin humble, des lieux chers à revisiter, ta fille à prendre dans les bras à l’ombre complice d’une vigne aux feuilles caduques adossées à un porche triste et seul, et moi, tant d’espaces intenses à découvrir.

Comme un oiseau choisit sa branche, ton invitation à partir à la découverte des alentours d’Alger fut pour moi une véritable aubaine.

Un temps du partage simple, dont le souvenir hante encore ma mémoire.

Nous allions à pas complices hors de la ville, sur le chemin de Tipaza.

Ces lieux déconseillés que l’on nous disait peu sécurisés.

Qu’importe! Tu avais l’assurance contagieuse d’un hôte chaleureux.

Nous voilà partis pour ce périple si riche en enseignements, si chargé en complicité.

Mon affection pour toi a trouvé ces lieux baptismaux pour nidifier. Je ne t’ai pas revu depuis, malgré ma promesse honteuse de venir en terre allemande partager avec toi le reste de nos conversations sur le monde, comme savent le faire les questionneurs candides que sont les poètes.

Notre lien ultramarin s’est maintenu, en te faisant suivre par la simplicité des mails, mes derniers poèmes en gestation ou mes textes à peine aboutis.

Je pense souvent à nous, déambulant dans les ruelles fumantes et poussiéreuses du midi pesant de Tipaza. De ton expertise des lieux, où chaque tesson foulé est un pan d’histoire romaine par ta passion révélée.

Des dards  avancés des cactus en fleurs encerclant ce cirque ancien. Du bougonnement des vagues entêtées à sculpter cayes.

De l’odeur délicieusement fétide du poisson mis en vente à même les étals bancals.

Nous avions au sortir du musée que ta science me rendait si familier, mis nos pas dans ceux marqués de François Mitterrand, pour vagabonder dans les rues sans prétention de cette halte historique.

Là,  un chapeau de paille acheté, dont le tressage serré était à la mesure de notre  naissante complicité.

Je ne saurai pas pourquoi, mais je le devine, je t’ai demandé de me dédicacer ce couvre-chef dont j’ai fais une béquille à souvenir.

Mon prénom marqué en arabe avec la maladresse de tes longues mains.

Geste original qui orne désormais mon reliquaire intime.

Je souris encore en pensant à tes efforts  laborieux pour graver la paille avec un feutre soutiré d’office des mains du vendeur curieux de nous.

Je te revoie talentueux négociateur, pour me faire acheter à bon compte ce service à thé artisanal qui est arrivé sans casse à mon domicile, grâce à ton insistance à le faire bien emballer. Et ma recherche sous cape de ce silex, pierre à feu de mon enfance, qui s’est refusée à moi.

Autant de souvenirs en un seul jour qui s’étaleraient sur une vie, tant ce moment à été intense entre nous, mon cher Hamid.

Je suis invité par ton choix ultime à te dire mon amitié, entre autres rencontres marquantes de ta vie, aux portes du deuil effectif depuis ton adieu.

Je prends cet avantage d’être choisi comme un honneur. Celui de donner aux forces qui te restent encore  à me lire et graver cet instant dans le plus subtil de nos marbres.

Je ne sais pas quand nous nous reverrons cher frère. Mais je souhaite à nos retrouvailles d’avoir la chaleur des lits tièdes où coulent les eaux à la douceur des ciels qui teintent les rêves en bleu.

Ce matin je t’ai parlé au téléphone (je ne savais pas que ce serait la dernière). Nos larmes partagées de part et d’autre de l’océan sans voix, avaient le goût des réconforts que l’on n’oublie pas.

Cher Hamid, prends soins de toi pour nous… ( je sais depuis que mes souhaits n’ont pas été performants à prolonger la vie en toi)

Je salue ton nom en tutoyant les nuages.

Max Rippon
Grand-Bourg de Marie-Galante,
le 20 février 2011, revisité le 8 janvier 2012

boule

 Viré monté