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Lettre ouverte de la matière à l’homme

Max Rippon

Coccoloba uvifera (Raisinier bord-de-mer). Photo Francesca Palli.

Étranger, taille-moi le corps
Tranche dans le vif cette bille informe qui te fait face
Enfonce ton ciseau acéré dans ma chair rebelle
Éparpille mes copaux qui jonchent le sol
Ils sont faits de mon sang qui se caille
N’aies pas peur de gouger mes nerfs
Frappe ton maillet encore plus sourdement
Ma vie et mes réticentes sont vaincues par tes doigts habiles
Oui étranger, sculpte donc ma chair feu
Domine et enfourche la braise turgide qui te défie
Modèles moi à ta mesure
Désormais plus une de mes veines n’est rebelle à ton génie
Je te résiste pourtant et tu ne boiras pas de mon vin
Je réserve ma laitance vive pour l’orgie des tourterelles en rut
Je suis ce soir de lune pleine totem pour pieuvres voraces
Si j’apaise le sable volage qui boit les vagues
Si je rougeoie la mangrove des mes nuances plurielles
C’est pour marquer la cadence du temps qui passe
Si les suaves alizée donnent des ailes à mon feuillage
C’est pour adoucir la fraîcheur de mes nuits de pleine lune
Où la paix bleutée des ciels épouse la mer
Étranger, je livre mes formes à la merci de tes désirs
Mes veines mises à nues t’imposent des courbes inattendues  
Tu gambades dans ce champ vaste où mon lignage te guide
Je suis la bille frivole dont tu demandes la main
Épousée insoumise entre tes doigts
Mon sang sperme gicle et teinte tes lèvres tremblantes
Avec mon nectar parfumé aussi aigre que doux
Qui irrigue mon âme à la cadence des doukous
C’est moi la vigie du bord de mer qui donne corps à ton œuvre
Laisses- moi renaître d’entre tes doigts, nouvelle et sensuelle
Ponce ma peine et lustre ma douleur et huile mon corps
Épouse ma luisance apaisée à l’ombre de ton atelier
Étranger agis sur ma chair lacérée
Et sans tarder
Fais- moi entrer dans le panthéon de tes imaginaires

Max Rippon

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 Viré monté