Potomitan

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Mensuel de la Créolité

Muchach
N° 1 - Janvier '75

Muchach

Mi Muchach !

Depuis plusieurs années s'est engagée entre plusieurs camarades, Lauriette et moi une polémique sur l'orthographe du créole1. Le créole, langue très peu écrite, n'a pas encore une orthographe définitive.

Pour ma part je soutiens la nécessité d'une graphie simplifiée se rapprochant de la phonétique, une orthographe phonologique, Lauriette prétend qu’on ne peut échapper à l'étymologie sans faire de l'écriture créole une technique sophistiquée pour intellectuels et hors de portée du peuple.

Depuis d'autres amis sont venus soutenir la thèse de Lauriette.

Mais aussi depuis j'ai découvert dans "SEL", journal haïtien à l’étranger (Jounal ayisyin alétranjé) une école très proche de ma conception de l’écriture créole.

Pour trancher, nous avons décidé de publier ce mensuel qui veut être le prolongement de nos conversations, mais aussi le moyen pour nous d’élargir le débat, et de publier un certain nombre d'écrits qui se font de plus en plus sur le créole ou en créole et qui ne trouvent pas le lieu pour s’exprimer.

La langue créole ne sera ni notre seul sujet ni notre seul moyen d’expression; nous écrirons en créole et en français sur tous les sujets, qui concernent notre société, la société antillaise.

Quand je dis nous, il s'agira de tous ceux qui, d'une manière ou d’une autre, pensent qu'il existe une réalité guadeloupéenne qui n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais assimilée ni assimilable à celle d’aucune autre nation; et qu'il appartient aux Guadeloupéens d'exprimer leur réalité, de la libérer de toutes les entraves qui l'aliènent, et de bâtir ensemble ce qui sera demain leur environnement, leur société, leur nation, leur patrie.

Tous ceux-là ont "muchach au soleil" et doivent veiller aux grains. Ce mensuel est donc le leur.

Nous ne serons sans doute pas toujours d'accord sur le chemin à suivre, les haltes et les étapes à faire; nous nous le dirons alors en toute loyauté, et quelques fois peut-être violemment parce que nous sommes  hommes déchirés, écartelés et piétinés qui subissent depuis longtemps la violence d'une mascarade qui dure; nous ne pouvons être des hommes de sérénité; mais nous saurons toujours qu'il y a derrière notre susceptibilité d'écorchés, qu'il y a cette quête de notre vérité, et de notre dignité d'homme

Hector Poullet

Note

  1. Nous  avons eu là-dessus des heures de discussion sans que les uns ne parviennent à convaincre les autres.

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Muchach

KA Sa Yé ?

Sous cette rubrique nous tâcherons de mettre les informations concernant le journal lui-même.
Dans ce n°1 , une conversation sur le choix du nom "Muchach" que nous avons donné à notre mensuel.
Cette conversation a eu lieu en créole; pour des raisons que nous expliquons ci-dessous, nous l'avons traduite en français.

  • G.L. Pourquoi veux-tu donner ce titre eu journal? Si je ne comprends les autres ne comprendront pas plus.
     
  • H.P. Nous leur expliquerons; il faudra toujours s'expliquer, pour que ne subsiste entre nous et nos lecteurs aucune arrière-pensée. C'est la tâche centrale que nous devons nous fixer dans ce bulletin.
     
  • G.L. Alors explique, parce que je ne vois pas d'où tu sors ce "Muchach".
     
  • H.P. C'est un proverbe guadeloupéen qui dit que "ceux qui ont moussache au soleil veillent qu'il ne pleuve pas".
     
  • G.L. Oui, je connais ce proverbe, et l'allégorie est belle, mais il s'agit de "moussache" et non de "muchach".
     
  • H.P. "Moussache" c'est en français, mais si tu écoutes bien le parler créole, il dit "mouchach" et non "moussache".
     
  • G.L. C'est encore ton histoire d'orthographe phonologique qui revient je pense que pour le nom du journal au moins nous devrions âtre d'accord sur l’écriture. Ce n'est pas parce que les gens prononce mal qu'il faut leur emboîter le pas.
     
  • H.P. Justement pour cette fois, il se trouve que phonologie et étymologie sont même avis, et c'est même la raison pour laquelle j'ai choisi ce titre. Écoute un peu ce que dit le Père Labat: "Le liquide provenant du pressage du manioc contient en suspension de la fécule qui se dépose au bout de quelque temps. Recueillie par décantation: elle constitue la "moussache" de l'espagnol "muchach", comme qui dirait "enfant du manioc". Tu vois donc que lorsque nous disons en créole "mouchach" nous sommes plus près de l'étymologie que les français qui disent "moussache", et j'ai par conséquent parfaitement le droit de l'orthographier "muchach" de même que nous dirons "Guadlup". Je sais au début ce ne sera pas facile, mais nous n'avons pas le droit de nous enfermer dans la graphie francophone alors quo nous sommes en plein dans un continent hispanisant ...
     
  • G.L. Oui, enfin j'accepte pour le titre, mais je continue à penser que tu ne seras pas lu dans ce système graphique, les gens n'auront pas le courage de te lire.
     
  • H.P. Je ne pense pas qu'ils te liront plus, ton créole écrit étymologiquement ne sera pas plus facile à lire, nous n'avons pas encore de lecteur créole. Nous nous adressons à des lecteurs français qui sont créolophones, je crois qu'il faudra la transition très progressivement; au début nous écrirons surtout en français; nous introduirons progressivement le créole chacun selon son système graphique qu'il aura pris le temps d'expliciter; les lecteurs nous écriront, en français ou en créole, nous verrons bien au bout d'un certain temps. Pour revenir à mon écriture, je ne crois pas que nous n'ayons le droit de nous priver de l'imagination ni de croire les lecteurs incapables de l'effort de s'alphabétiser en créole, c'est une conception méprisante du lecteur que nous devons absolument rejeter.
     
  • G.L. Je veux bien que nous essayons, mais tu sais je reste sceptique; de toutes façons je te laisse faire; je pense que ce journal sera une expérience commune mais qui profitera plus qu'à moi, je le pense, et je le souhaite.
     
  • H.P.  Pourquoi?
     
  • G.L. C'est très intuitif, mais je crois, si nous réalisons cette expérience, que tu comprendras plus tard.
Gérard LAURIETTE
Enseignant guadeloupéen
(option: français)
Directeur d'enseignement de 1'A.G.E.P. (*)
Hector POULLET
Enseignant guadeloupéen
(option: sciences)
Secrétaire général de 1'A.G.E.P. (*)

(*) A.G.E.P.:

Association Guadeloupéenne d'Éducation Populaire et de Lutte contre l'Analphabétisme (Association Loi du 1er juillet 1901)
Fondée le 15 septembre 1966 Déclarée le 22 septembre 1966.
(Recueil des Actes Administratifs du ter Octobre 1966, page 620, J.O.F F. du 2 Octobre 1966, page 8696)

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Le créole de la Guadeloupe

Par Hector POULLET
enseignant guadeloupéen (option: Sciences),
secrétaire général de l'Association Guadeloupéenne d'Éducation Populaire et de Lutte contre l'Analphabétisme
(... publiée au Journal Officiel de la République Française du 2 octobre 1966 , page 8696)

Des Gauchers contrariés

Les questions que pose le langue créole commencent être à l'ordre du jour. Les écrits se multiplient. La marée monte. Il faudra bien qu'un jour le débat quitte le cercle des spécialistes et vienne sur la place publique créole. Pour prendre parti, chacun aura besoin d'éléments, qui ne soient pas seulement réactions viscérales, fanatisme, ou ne se fasse simplement l'écho d'idées reçues. Parmi ces questions, une qui revient sans cesse déjà dans le public: "Le créole est-il une langue?"

(H. Poullet)

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Viré monté