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Novembre 2018

Le dernier allumeur de réverbères

Hector Poullet

Pour voir et écoutez, cliquer sur le lien suivant:

Octopus

Photo et vidéo de Marcel Vila.

La commune de Port-Louis en Guadeloupe a sans doute été la dernière à avoir des réverbères, une trentaine en tout avec un allumeur de réverbères.

C’était en 1949, j’avais onze ans, Rogers était le nom de l’allumeur de réverbères.

Toute la matinée, depuis l’angélus de Matines, à six heures, on le voyait sur les cayes dans la mer, au milieu de l’écume des lames, avec de l’eau jusqu’à la taille, tenant d’une main un bâton au bout duquel était attaché un touloulou vivant, tandis que de l’autre il tenait une foëne pointue d’un bout, crochue de l’autre. Vu de la fenêtre de mes grands-parents on aurait dit un fils de Poséidon, Dieu de la mer. Sous un chapeau de paille, torse nu, en plein soleil,  il était, pour nous les enfants, un personnage mystérieux, représentant à la fois la pauvreté, le courage et la liberté.

Le jour Rogers était pêcheur de chatou!

 Il pratiquait cette pêche  selon une technique traditionnelle qui devait remonter aux premiers Kalinas, dits Caraïbes: repérer l’entrée du trou de la pieuvre, signalée par de petits coquillages puis présenter le petit crabe devant l’entrée et aussitôt octopus se jetait sur le touloulou. Il suffisait de le fouenner, le sortir avec le crochet et, alors que le poulpe se cramponne de ses huit pattes pleines de ventouses au bras du pêcheur, lui retourner le bonnet et le tour était joué!

À l’angélus de midi, il arrêtait sa pêche aux chatous. L’après-midi il passait de maison en maison, chez les uns, chez les autres, pour proposer ses beaux poulpes encore vivants. De la viande sans os et sans arrêtes qui se mariait parfaitement avec un migan de fruit à pain!

À Vèpres, l’angélus du soir, Rogers se changeait en allumeur de réverbères. Il allait chercher son échelle, son bidon de gaz, de pétrole donc, ainsi qu’une petite lampe en fer-blanc fabriquée à partir d’un pot à lait condensé. Son échelle sur une épaule, son bidon de pétrole à bout de bras, sa petite lampe, dont la flamme tremblotait, dans l’autre main, on le voyait arriver du bout de la rue.  Il posait son échelle sur la barre transversale à mi-hauteur du réverbère, montait un à un les barreaux de l’échelle en équilibriste. Arrivé en haut il ouvrait une des quatre  faces de chacune des deux cages de verre, réapprovisionnait en pétrole chacune des deux lampes, les allumait, fermait le tout, redescendait et repartait vers le lampadaire suivant. Depuis le pont Desmarais de Souffleur, jusqu’au Crucifix de Rambouillet, il allumait tous les réverbères de la commune en moins d’une demi-heure, avant l’abat du jour….

Le lendemain, au-devant-jour, il passait toujours avec son échelle sur l’épaule pour aller éteindre toutes les lampes qu’il avait allumées la veille. Puis, notre allumeur de réverbères redevenait chasseur de chatous.

Pendant combien de temps a-t-il exercé cette profession? Avait-il une famille? Où habitait-il? Du coté de Rodrigue, un peu dans les hauteurs de Port-Louis? Je ne l’ai jamais vraiment su. Quand je suis revenu à Port-Louis en 1952 la Société Productrice d’Electricité de la Guadeloupe, SPEDEG, alimentait les réverbères où des ampoules électriques avaient remplacé les lampes à pétrole. Je n’ai pas su ce qu’était devenu Rogers l’allumeur de réverbères.

 

Viré monté