Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Calendrier des métiers en voie de disparition
Avril 2018

Manzè Paulette: Matrone et…. Haptothérapeute

Hector Poullet

Naissance, Dominique Fontus © Macondo Art

— Bonjour marraine!

— Bonjour petit de marraine!

Tout au long du jour les enfants qui passaient  sur le chemin devant la maison de Paulette en allant ou en revenant de l’école la saluaient par ce: 

— Bonjour Marraine ! 

Je finis un jour, par m’en étonner et lui en demandai la raison: 

— Tu es la marraine de tous les enfants du village de Géry? 

— Pas de tous, mais de beaucoup. J’ai aidé presque toutes les femmes du village à mettre leurs enfants au monde. Tiens celui-là  qui vient de passer devant la maison, c’est un cas,  je vais te raconter comment les choses sont arrivées le jour de l’accouchement de sa mère. 

— Ah oui, qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là? 

Paulette était elle-même à la tête d’une famille de  huit enfants. Elle avait toujours accouché seule, chez elle à l’exception d’une fille qu’elle avait mise au monde à l’hôpital.

Pour élever sa nombreuse progéniture, les nourrir, les habiller, les envoyer à l’école, Paulette était seule dans une petite case de deux pièces.

Elle était tour à tour, agricultrice, elle disait cultivatrice, marchande de légumes sur le marché de Basse-Terre le samedi, ou encore chef de production agroalimentaire.

Ainsi elle assemblait toutes les épices nécessaires pour faire la poudre à colombo que ses ainés allaient livrer dans les épiceries du bourg tandis qu’elle-même faisait du porte à porte pour en vendre aux particuliers.

Elle était également couturière car elle faisait elle-même ses vêtements et ceux de tous ses enfants, mais aussi matelassière, il n’y avait pas encore de matelas en mousse de plastique et les matelas de coton de la petite bourgeoisie avaient souvent besoin d’être défaits, cardés et refaits à neuf.

Toutes ces activités ne ramenaient que de la menue-monnaie à la maison, mais Paulette savait gérer et arrivait par conséquent à subvenir aux besoins de ses enfants.

Paulette était également frotteuse, magnétiseuse, phytothérapeute (dons, selon ses dires, qu’elle aurait hérités de son père à l’époque frotteur/guérisseur de grande renommée au point que même l’hôpital de la région faisait parfois appel à lui pour remettre en place une articulation luxée.)

Elle était aussi matrone, héritage de sa mère, et conseillère conjugale, pour tout le voisinage. 

Toutes ces activités auraient pu être une source de revenus, seulement, Paulette estimait que ses dons relevaient de missions divines, de solidarité humaine et donc, elle n’acceptait jamais d’argent. 

Voici l’histoire qu’elle m’a racontée: 

— Madame Emile avait voulu une vraie sage-femme diplômée pour son accouchement. Quand il avait compris que le moment était venu, son mari était parti en voiture chercher la sage-femme du bourg. Il y avait déjà huit heures qu’elle était dans la chambre avec la future maman, les contractions se succédaient de plus en plus fortes et la parturiente s’épuisait, la sage-femme restait impuissante. Elle n’était pas équipée pour pratiquer une césarienne. 

Il était trois heures de l’après-midi, je remontais sous le soleil en revenant du bourg, je me trouvais juste devant chez cette dame Emile et je n’arrivais pas à passer mon chemin, une voix intérieure me disait:

— Va prendre de ses nouvelles !

En arrivant à la porte de la maison j’aperçus trois hommes dans le salon, ils étaient inquiets. Je leur demandai comment les choses se passaient, si madame Emile avait accouché. 

— Non, au contraire, la sage-femme est avec elle, mais le bébé refuse de sortir! 

— Ah! Quelqu’un veut bien aller me chercher une bouteille de rhum à la boutique. Il me faut une bouteille non entamée. 

— Justement il y en a une là, pour quoi faire? 

— Donnez-la-moi! 

J’ai pris la bouteille de rhum, suis entrée dans la chambre, j’ai salué la mère et la sage-femme puis leur ai dit: 

— Laissez-moi essayer.  

Je me suis lavé les mains avec le rhum puis j’ai posé les mains sur le ventre gonflé tout en parlant au bébé. 

— Viens mon petit, viens, nous t’attendons, n’aie pas peur.  

Je lui parlais tout en le caressant à travers la peau du ventre de la mère, puis je lui ai chanté notre berceuse favorite:

 pitit an-mwen ka mandé-mwen tété, an k’alé ba-li manjé matété 

Brusquement il y a eu une forte contraction et… cinq minutes après le bébé poussait son premier cri! 

Quand Paulette m’a raconté cette histoire, ni elle ni moi ne connaissions l’existence de l’Haptonomie. Elle est morte sans savoir qu’ailleurs d’autres personnes pratiquaient cette discipline de façon plus systématique. Quant à moi, c’est cinquante ans plus tard que j’ai appris l’existence de cette thérapie douce d’accompagnement à l’accouchement. Paulette avait été Haptothérapeute sans le savoir. 

 

Viré monté