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ZOURNE INTERNASIONAL LANG EK KILTIR KREOL

28 Oktob 2018

Kreol Matters, Kreol Konte

Etat des lieux, Analyse & Posture

Dr Jimmy Harmon

Enfant du peuple et sorti du peuple, je n’ai pas à rougir de mon origine. J’aime ce peuple avec lequel je m’identifie et pour lequel je combats ici, quoique vainement; et je ne saurais lui faire injure de dédaigner son approbation et son estime.
Onésipho Beaugeard (1832-1898)
Père de la démocratie mauricienne

ENN Ti-PAROL

An 1995, Mgr Amédée Nagapen ti kre Le Comité Diocésain 1er février pou regroup bann diferan organizasion ek individi ki ti exprim dezir pou selebre Zourne Abolision Esklavaz par enn lames. Dan kontex istorik le malaise créole dan bann lane 90, KDPF evolie an enn lespas refleksion, resers ek aksion lor plas kominote kreol dan legliz ek dan Moris. Depi sirtou lan 2000, nou amenn enn travay matirasion ek profonder dan domenn inkiltirasion, istwar, memwar ek rekonsiliasion. Depi finn ena plizir inisiativ ki nou finn lanse ou soutenir kouma proze tradiksion an Kreol Morisien: Nou Papa, Kredo, Festival Kantik Kreol, Nouvo Testaman, Premie Konvansion Kreol ek sware konsiatizasion. Finn ena osi bann piblikasion lor esklavaz, maronaz ek sega. Nou finn osi al depoz divan Truth & Justice Commission . Depi lane dernyer, nou pe fer enn kanpagn advocacy pou fer Leta Morisien ouver Mize Esklav dan ansien Lopital Militer Labourdonnais dapre rekomandasion Rapor Truth & Justice Commission depi 2011.

Dan kad Zourne Internasional lang ek kiltir Kreol, Komite Diosezin Premie Fevriye (KDPF) ena plezir prezant enn refleksion intitile ‘Kreol Matters, Kreol Konte’ ki enn nou kamarad dan KDPF finn ekrir. Li fer enn konsta sitiasion kominote Kreol dan Moris, apre li livre detrwa pistes de reflexion ek li donn saki li apel ‘la posture du Créole’ – ki manyer bann Kreol sitie zot dan tou seki pe deroule, «à la veille d’une joute électorale».

Nou swete ki sa piblikasion-la permet fer avans refleksion pou enn Moris meyer.

Per Jean Maurice Labour, Viker Zeneral
Prezidan Komite Diosezin Premier Fevriye
28 Oktob 2018

INTRODUCTION

Le film documentaire ‘La Passion de servir’, sorti fin juillet 2018, retrace la contribution de l’Église catholique au développement de l’Ile Maurice post-indépendante durant ces cinquante dernières années sous l’impulsion du Cardinal Jean Margéot et poursuivie par la suite avec une fidélité créatrice par le Cardinal Maurice, E. Piat, c.ssp. Le film met en lumière la préoccupation première des différents acteurs et qui demeure d’actualité: la paix sociale dans le pays et l’unité du peuple. Le co-réalisateur Cyril Chee Kim Ling, lui-même Président de la Mission Catholique Chinoise, a le mérite de présenter la «question créole» sans fioritures à travers des intervenants connus pour leur perspicacité sur la question. Ainsi, le Père Jean Maurice Labour, Vicaire Général du Diocèse de Port Louis, nous dit ceci: «pour construire l’identité d’une nation chaque composante devrait avoir la capacité de se construire elle-même. Or, l’identité créole a difficulté dans ce pays mais elle a fait beaucoup de progrès». En effet, la «nation» n’est pas conçue ici comme une entité monolithique voire abstraite et obtuse, entrainant pour ainsi dire le déni de l’existence, bien réelle et agissante, de ses différentes composantes. Bien au contraire, l’intervenant aborde la question créole en relation avec d’autres. En d’autres mots si d’autres composantes ont pu se donner la capacité de se construire, tel n’a pas été le cas pour les Créoles. Alors, pourquoi?

L’ouvrage de référence reste sans conteste Little India, Diaspora, Time and Ethnolinguistic Belonging in Hindu Mauritius (Eisenhlor, 2006). Cette publication qui est le résultat des études de terrain de l’anthropologue Patrick Eisenlhor, qu’il mèna patiemment en s’immersant dans le nord de l’ile. Dans son livre, il explique le mécanisme du state sponsored identity. Il démontre comment dans l’Ile Maurice post-indépendante, l’Etat mauricien donne tout son soutien aux langues et cultures ancestrales de la communauté majoritaire dans la logique de la consolidation de la bourgeoisie d’Etat. Le titre de sa publication est déjà parlan: «Little India» terme utilisé par l’ex Premier Ministre Shrimati Indira Gandhi lors de sa visite d’Etat pour qualifier l’Ile Maurice. Ce qui est un compliment diplomatique, dit avec une certaine bienveillance et candeur, définit au fait le nouveau rapport des forces politiques. C’est une nouvelle ère. Eisenhlor la qualifie de Hindu Mauritius». Mais il est aussi vrai que le miracle mauricien depuis l’indépendance à ce jour a été la capacité de développer un vivre ensemble avec nos propres modalités: parmi on peut citer les quinze jours de congé public qui se décline avec une répartition ethno-culturelle (sur les quinze jours, sept sont des festivités religieuses et deux sont ethno-identitaires), la mise sur pied des task force ou steering committee pour des pèlerinages religieux qui sont présidés par le Premier Ministre ou son représentant ou encore la création des centres culturels et des speaking unions pour la promotion des langues et cultures ancestrales. Ces procédés sont souvent décriés comme une mainmise de la politique sur le religieux. On en profite alors pour rappeler la nature laique de l’Etat. Mais à bien y voir, l’Ile Maurice se tire bien d’affaires. La coexistence pacifique existe en dépit de tout, même si on aspire à mieux. Ce qui amène certains observateurs à parler de ‘Mauritian enigma’ pour dire leur étonnement de notre capacité à gérer la diversité en maintenant un certain équilibre et garder une équidistance entre les cultures.

Mais ce que nous appelons «laique» n’est au fait qu’une idée prêt-à-porter, provenant de notre éducation et formation avec forte influence de l’idéal républicain de la France. Aujourd’hui les études post-coloniales qui apparurent d’abord dans les universités anglo-saxonnes et qui arrivent maintenant tardivement dans les universités françaises jettent un nouvel éclairage sur les concepts tels que ‘valeur républicaine’, ‘Etat-Nation’, ‘citoyen/ citoyenne’. Ces études postcoloniales (à forte influence néo-marxiste et fanoniste) dans une perspective Sud ont débouché sur une nouvelle manière d’appréhender les pays post-coloniaux. C’est avec cette nouvelle grille de lecture que j’aborde la question créole et la nation mauricienne. Ceci dit en livrant mes réflexions je pose tout de même un note of caution. Aucune perspective n’est exhaustive et ne pourrait se prétendre totalisante. L’expérience nous montre que toutes les grandes théories, appelées meta-narratives en jargon académique, pour expliquer le monde n’ont jamais pu tout expliquer. Ce qui fait qu’on doit toujours avoir une approche pratique des choses. Ce que je m’y efforce de faire dans cette publication. Premièrement, je ferai un état des lieux depuis janvier 2018 avec l’apparition sur la scène nationale du mouvement Affirmative Action, la question de la réforme électorale et des recensements ethniques, les Chagos et Agalega, et le Musée des Esclaves. En second lieu, je fais une analyse de la situation. Finalement je donne la posture du Créole.

ETAT DES LIEUX

Affirmative Action

Le 21 janvier 2018, le père Jean-Claude Veder, directeur de l’Institut Cardinal Jean Margéot, déposa une plainte au poste de police de Curepipe contre l’auteur de propos racistes à l’encontre des réfugiés du cyclone Berguitta. Ces propos racistes furent tenus par un membre de la force policière et postés sur le réseau Facebook. Deux mois plus tard, lors de la Journée internationale contre la discrimination raciale (21 mars), le mouvement Affirmative Action (AA) est lancé officiellement. L’objectif principal du mouvement est de lutter contre les inégalités et de promouvoir la diversité (voir interview de José Moirt, Le mauricien, 17 juin 2018). Le mouvement lança un appel à témoins et tint des auditions privées. Fort de plusieurs témoignages, le mouvement rédigea un rapport alternatif sur la discrimination raciale. Le 14 aout, José Moirt présenta le contre-rapport devant le UN Committee for the Elimination of Racial Discrimination. Le website de la Haute Commission des Nations Unies pour les Droits Humains donna un compte rendu de la déposition de l’animateur du mouvement AA comme représentant de la société civile. Le 15 août ce fut au tour de Mahesh Gobin, Attorney General, Minister of Justice, Human Rights and Institutional Reforms, de présenter le rapport de l’Etat mauricien. Un fait inattendu: quand le Country Expert posa la question sur l’appartenance ethnique de la majorité de la population carcérale mauricienne, le Ministre perdit son self-control. Il se mit sur la défensive. La Commission lui expliqua alors la raison d’être de cette question. La nouvelle fit la une des journaux à Maurice.

Le 30 octobre la Commission donna ses Concluding Observations. Elle épingle l’Etat mauricien pour ses efforts insuffisants pour garantir une égalité des chances à tous. La Commission recommande que l’Etat mauricien donne le statut de langue officielle au Kreol Morisien, de reconnaître et réduire les discriminations à l’encontre des Créoles, et rétablir le recensement ethnique (disaggregated data) entre autres. Depuis le mouvement AA continue sa campagne d’information et de conscientisation sur les droits civiques. José Moirt et le Père Veder refusent de qualifier le mouvement AA de «mouvement créole». Cependant, les rassemblements mobilisent essentiellement les Créoles. Aussi, la page Facebook du mouvement contient des commentaires venant majoritairement des Friends Créoles. Depuis, d’autres événements sont venus se greffer à la question créole.

Chagos et Agalega

Le 3 septembre, l’île Maurice revendiqua devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, sa souveraineté sur les îles Chagos, disant avoir été forcée de céder au Royaume-Uni, en 1965, cet archipel de l’Océan Indien où Londres a ensuite installé une base militaire commune avec les Etats-Unis. «Plus de cinquante ans après l’indépendance, le processus de décolonisation de Maurice reste incomplet», déclara devant la CIJ l’ancien président mauricien Anerood Jugnauth, qui participa aux négociations de l’époque. Il expliqua que le découpage territorial a été effectué «sous la contrainte», dans le cadre des pourparlers sur l’indépendance de Maurice, accordée trois ans plus tard par Londres. Mais ce fut surtout le témoignage de Liseby Elisée qui retint le plus d’attention. Liseby est née sur Peros Banhos en 1953. Lors des auditions elle déclara: «Mo bizin retourn dan mo zil kot mo’nn ne.». Elle raconte dans un extrait vidéo diffusée à la Cour internationale de justice, la vie sur l’archipel. «Dan Sagos, tou dimounn ti ena so fami, so travay, so kiltir… Nou ti gagn tou saki nou ti neseser». Elle exprima son incompréhension face au déracinement dont son peuple et elles ont été les victimes, il y a plus de 50 ans. Mais paradoxalement le sort des habitants d’Agalega, île qui jouit pleinement de notre intégrité territoriale et souveraineté nationale, ressemble étrangement à ceux
que les Nations Unies appellent ‘internally displaced people’ (les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays).

Le 6 septembre, les habitants d’Agalega firent un sit-in. La raison principale: deux malades de l’île ne peuvent rejoindre Maurice pour des soins parce que le Dornier n’est pas en état de voler. Le journal en ligne www.clicanoo de l’ile de la Réunion parle de «mutinerie humanitaire». Arnaud Poulay, agaléen de souche et meneur dans cette protestation, reçut une lettre du Resident-Manager, le sommant d'embarquer sur le Mauritius Trochetia pour venir s'expliquer à Maurice. Arnaud Poulay déclara qu’il « s’agit d'un abus digne d'un système colonial». Devant la mobilisation de la population pour s'opposer au départ d'Arnaud Poulay, réclamant la démission du directeur général de l'Outer Island Development Corporation (OIDC), l’expulsion d'Arnaud Poulay fut annulée.

Réforme électorale et recensement ethnique

Le 21 septembre, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, dévoila les propositions du comité interministériel sur la réforme électorale. L’un des principes du projet de loi est l’élimination de toute notion communale du présent système électoral. C’est ainsi que le Best Loser System (BLS) est appelé à disparaître pour laisser la place aux Additional Seats. L’introduction d’une dose de proportionnelle au sein de l’Assemblée Nationale est aussi prévue avec le repêchage de candidats battus par les leaders des différents partis politiques. D’autres propositions font provision pour ‘women representation’ et ‘anti-defection measures’. La question de recensement ethnique est soulevée. Tous les partis s’y opposent, évoquant le risque d’ouvrir la boite de Pandore ou qualifiant une telle démarche de rétrograde. Par contre le PMSD voit cela autrement. Pour son leader Xavier Duval, le vrai problème demeure dans le découpage des circonscriptions. Dans la foulée, il insiste sur l’importance de procéder à un nouveau recensement ethnique. «Ce recensement proposé par le PMSD se fait dans plusieurs pays. Pourquoi cela ne peut se faire à Maurice», déclare-t-il. Finalement, l’événement qui mérite attention est sans nul doute le musée des esclaves. Nous sommes à quatre mois de la prochaine commémoration de l’Abolition de l’Esclavage.

Le Musée des Esclaves

En ce 1e février 2018, l’espoir de voir enfin un musée de l’esclavage dans l’enceinte du bâtiment qui abritait autrefois l’hôpital militaire connut une renaissance avec la promesse faite par l’Honorable Ivan Collendavelloo au Morne. Sensible à l’exhortation faite par le Père Alain Romaine en faveur de ce projet lors de la messe célébrée en l’église du Saint-Sacrement, à Cassis, le Premier ministre adjoint a d’abord reproché au prêtre d’avoir fait l’impasse sur le budget présenté l’année dernière. Il rappela qu’une dotation financière fut votée pour ce projet. Il renchérit en déclarant que le musée de l’esclavage «n’est pas un rêve, mais une réalité». Il ajouta que le Premier ministre suivrait «personnellement» ce projet. Cette annonce fut accueillie avec satisfaction par le KDPF. Depuis, on entend plus parler.

ANALYSE

La discrimination raciale

Un consensus existe chez des chercheurs en sciences sociales: la race n’est pas une réalité biologique, mais sociale. Assignation, catégorisation subie et parfois appropriée par ceux qu’elle opprime, elle n’aurait rien à voir avec la biologie. Donc la race n’existe pas mais la discrimination raciale existe. On ne peut efficacement combattre les inégalités et discriminations raciales sans utiliser et comprendre la notion elle-même. Le terme "race" demeure très présent dans le monde entier, aux Etats-Unis, mais aussi en Europe. Il se retrouve dans les travaux universitaires, et dans les traités juridiques internationaux. Quand la Commission des Droits Humains propose que les statistiques ethniques à Maurice soient mises à jour, elle est dans la logique du régime des Droits Humains.

La lutte pour les droits humains s’est développée à partir des années 70 avec l’explosion de ce que l’on a appelé les New Social Movements. Rejetés dans un premier temps ou mal considérés par les mouvements ouvriers gauchistes, ils ont conquis de haute lutte leur place dans la lutte pour un monde plus juste et inclusif. Des millions de groupes à travers le monde ont contribué à construire le régime des Droits Humains en rejetant la discrimination dont ils se percevaient victimes. Ce Rights Based Approach est basé sur des conventions legally binding qui rendent les Etats signataires accountable. Au fait, il n’y a pas de réalisation des droits sans la pleine participation de tous aux décisions qui donnent un equal access and control over resources. La lutte pour les droits humains reste toujours centrée autour des groupes vulnérables et donc de l’élimination des discriminations. Comment lutter contre les discriminations sans les nommer et sans reconnaître aux groupes qui se perçoivent victimes de discriminations le droit de se nommer, de se définir eux-mêmes? Surtout quand la structure des sociétés est fortement marquée par des rapports sociaux et d’ethnicité, de race (ou caste). C’est pourquoi tous les documents officiels le disent, “data need to be disaggregated, as far as possible, by race, religion, ethnicity, language, sex and other categories of human concern”. Le Truth & Justice Commission Report (2011) en fait une de ses recommandations majeures. Le Père Filip Fanchette, ancien Chairperson du Centre Nelson Mandela Pour la Culture Africaine, eut l’occasion de se prononcer en ces termes:

Je croirais à la sincérité des politiciens que me donnent des leçons de mauricianisme s’ils acceptaient le tirage au sort pour l’attribution des circonscriptions pour les élections. Il faudrait aussi qu’ils demandent la destruction de toutes ces listes qui dissèquent les différentes composantes ou disons les clients potentiels par centre de vote. Ces listes leurs partis les utilisent pour faire campagne. (Le mauricien, Forum, 12 septembre 2012)

Cependant, il est aussi vrai que la gestion de la diversité culturelle est un tall order pour toute classe politique dans le monde. C’est pour cela que la «représentativité» est souvent explorée comme voie possible pour se prémunir contre des injustices structurelles.

La représentativité

L’ouvrage pionnier sur la représentation politique est The Concept of Representation (1967) écrit par Hanna Pitkin, spécialiste d’histoire des idées politiques et de théorie politique. Ses autres travaux marquants ont porté sur les philosophes Ludwig Wittgenstein, Hannah Arendt ou encore sur la théorie du genre. Dans une analyse philosophique, Pitkin s’attarde sur l’étymologie du mot « représentation », qui signifie rendre présent ce qui est absent. Elle décrit la représentation comme un «puzzle» à reconstituer. Elle fait les distinctions suivantes pour la représentation (standing for): descriptive representation, symbolic representation et acting for. Cependant, les recherches par la suite ont reproché à Pitkin de s’être concentrée essentiellement sur la figure du «représentant» au détriment du «représenté».

Les études en science politique montrent un intérêt grandissant pour la représentation des minorités ethniques ou d’orientations sexuelles. On s’accorde à dire que la situation se complexifie dans une société hétérogène organisée selon les principes de la démocratie majoritaire quand des groupes minoritaires adressent au système des demandes aussi légitimes soient-elles. C’est alors qu’il faut considérer les modalités d'aménagement du droit électoral commun en faveur de la représentation politique des minorités. Le découpage des circonscriptions électorales et le choix d'un système électoral sont des éléments cruciaux dans toute réforme de sorte que chaque électeur pèse autant que l’autre. La représentation proportionnelle offre à cet égard de nombreuses variantes. C’est ce que propose l’équipe gouvernementale de Pravind Jugnauth. Cependant, le scepticisme règne.

A ce jour les tentatives de réforme ont échoué: Sachs (2002), Carcassone (2011) et White Paper (2014). Il ne faut pas se faire d’illusion. Ici, la réflexion de Catherine Boudet, politologue, est plus que pertinente. Elle dit ceci :

Le vrai problème ce n’est pas que des Mauriciens défendent leur identité ethnique ou religieuse, ça c’est normal. Le vrai problème c’est qu’à cause du fonctionnement consociatif de la politique mauricienne, on continue de faire croire aux Mauriciens que c’est leur communauté ethnique qui conditionne leur droit à une part d’un soi-disant gâteau national. L’hypocrisie de ce système, c’est le partage du pouvoir entre des élites politiques qui négocient entre elles derrière le rideau tout en leur faisant croire à leur électorat qu’elles défendent les intérêts de leur communauté. La démocratie n’est pas un gâteau. (Le Defi, 20 juin 2014)

Catherine Boudet a pu montrer dans ses articles scientifiques que la démocratie consociative s’est mise en place à Maurice entre 1947 et 1971. La «consociation» (consocialism) est un type de démocratie qui ne fonctionne pas sur le mode d’élections compétitives comme dans une démocratie représentative, mais sur un consensus entre les élites politiques pour un partage du pouvoir. Ce système existe dans d’autres pays tels que l’Irlande du Nord ou au Chypre. C’est la manière politique de gérer les conflits basés sur le principe de power-sharing. Dans le cas mauricien le consocialism est un power-sharing castéiste et familial que le mouvement AA explique bien dans son rapport. C’est un système que les Créoles n’ont pas pu maitriser jusqu’ici ou à bien y regarder les leaders des partis politiques les ont écartés dans les détails des négociations pour ce power sharing.

Le droit à la mémoire

A la suite du rapport du mouvement AA, nous retenons deux recommandations phares dans les Concluding Observations de la Commission des Droits Humains des Nations Unies:

Recommendation N0.38.

In the light of General Assembly resolution 68/237, the Committee requests that the State party include in its next periodic report precise information on the concrete measures adopted in the framework of the International Decade for People of African Descent, taking into account
the Committee’s general recommendation No. 34 (2011) on racial discrimination against people of African descent.

Recommendation N0.17.

The Committee recommends that the State party take effective measures to implement the recommendations of the Truth and Justice Commission, including those concerning the establishment of an Intercontinental Slavery Museum…

Pour Ali Moussa Lye, Chef de la Section Histoire et Mémoire pour le Dialogue Coordinateur du Projet « La Route de l’esclave : résistance, liberté, héritage », UNESCO, la réflexion sur le droit à la mémoire met en évidence les vertus cathartiques, libératrices de la démarche d’affronter le passé, aussi douloureux soit-il. Ainsi pour lui la visite des lieux de mémoire revêt une importance cruciale pour provoquer la réflexion nécessaire sur les notions d’humanité, de dignité et de liberté, la prise de conscience éthique et l’engagement citoyen. L’Etat mauricien a un devoir de mettre sur pied le Musée des Esclaves. Ne pas honorer un tel engagement serait de nier le droit aux Créoles, composé en grande majorité de personnes d’ascendance africaine, à la mémoire. Une mémoire qui est partagée en héritage avec d’autres composantes de la nation mauricienne.

POSTURE

Kreol Matters, Kreol Konte

Et alors ? Ki bizin fer ? C’est le talk actuellement. Va-t-on avoir une consigne de votes par les animateurs du mouvement Affirmative Action à la veille de la prochaine joute électorale ? Affirmative Action a pu graduellement réunir les différents protagonistes, des individus et mouvements créoles, il est définitivement une force à compter avec. Je pense que d’ici les prochaines élections les Créoles sauront quoi faire. La posture c’est savoir comment se tenir dans toute situation, favorable ou défavorable. Les Créoles ont déjà une posture. Ils font comprendre qu’ils n’attendent pas des « faveurs » mais des « droits ». Aujourd’hui les partis politiques doivent veiller à ce que ces droits soient respectés. Ils doivent présenter, dans chaque circonscription, des candidats qui reflètent la diversité de la composition culturelle, ethnique ou religieuse de la circonscription. Dans la vie de tous les jours cela se traduit concrètement par l’accès des Créoles à l’emploi et principalement dans le service civil et les corps paraétatiques et toutes autres institutions gérées par le gouvernement. L’invisibilité des Créoles dans lesinstances gouvernementales produit un effet boomerang. Les diplomates demandent souvent quand ils débarquent à l’aéroport: «where are the Africans? Have they been eliminated during slavery? ».

Dans le film documentaire, ‘La Passion de servir’, Danielle Palmyre, théologienne et anthropologue, fait la réflexion suivante:

La question des noirs dans le monde est une question systémique dans toutes sociétés […] la question créole se rattache à cette question de la place des noirs dans le monde et ce qu’est devenu système mondial d’oppression, de domination, de non reconnaissance de certaines personnes seulement parcequ’elles sont nées noires […] cette violence fondamentale vous transforme, vous façonne. […] que vous soyez le maitre, que vous soyez l’esclave […] cet héritage …qui est dans nos têtes pèse profondément. »

Ce qui m’amène à faire un parallèle avec le mouvement Afro-Américain Black Lives Matter.

Black Lives Mattter est né en 2013, après l’acquittement de George Zimmerman, le coordinateur d’une surveillance de voisinage blanc qui a tué par balles Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans non armé. Le mouvement a été lancé par trois femmes afro-américaines impliquées dans les mouvements communautaires: Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. Alicia Garza a écrit sur Facebook un message intitulé «A Love Note to Black People» dans laquelle apparaissait: «Our Lives Matter, Black Lives Matter». Patrisse Cullors a répondu: #BlackLivesMatter. Le mouvement était né.

Contrairement aux mouvements historiques pour les droits des Noirs, Black Lives Matter ne repose sur aucun leader charismatique. Avec trente-quatre antennes à travers les Etats Unis et au Canada, le mouvement ne revendique aucune hiérarchie officielle. Son credo, «This is not a moment, but a movement» («un mouvement, pas un moment»), montre sa volonté d’inscrire dans la durée ce que certains intellectuels ont baptisé «The Movement for Black Lives» («le mouvement pour les vies noires»). C’est ce qui probablement se passe actuellement chez les Créoles. Je conclue alors en disant: Kreol matters, Kreol konte. Le Créole compte dans les différents sens du terme: il prend sa place, il parle, il intervient et il agit. Le Créole veut qu’il soit compté pour qu’on puisse compter sur lui.

* * *

OUVRAGES CONSULTES

Affirmative Action Report (2018). NGO Alternative report 2018 to the Committee for the Elimination of Racial Discrimination.
Bogdanor, V., Carcassone, G & Vilanova, P. (2011). Rapport sur la réforme électorale.

Conseil des relations interculturelles (2002). Pour une démocratie inclusive. Pouvoir politique et représentation de la représentation ethnoculturelle. Quebec.

Couper K & Santamaria, Ulysses. (1985). Quelques réflexions sur les notions de communauté et minorité dans l'approche de l'immigration au Royaume-Uni et aux États-Unis. In : L'Homme et la société, N. 77-78, 1985. Racisme, antiracisme, étranges, étrangers. pp. 157-166

Crowley J (1990). Le rôle de la Commission for Racial Equality dans la représentation politique des minorités ethniques britanniques. Revue européenne des migrations internationales, 6 (3). pp. 45-62

Giraud, M. (2010).”Question noire” et mémoire de l’esclavage, Cahiers d’Etudes Africaines.

La passion de servir (2018). Film documentaire réalisé par Cyril Chee Lim King et David Constantin. Caméléon Production.

McGarry, J. (2016). Centripetalism, consocialism and Cyprus: The ‘Adoptability’ question. The Political studies, 65(2), 512-529.
Pierré-Caps, S. (2008). Les minorités et la notion de représentation. Cahiers du Conseil Constitutionel, N0.23.

Pitkin, H. F. (1967). The concept of representation. Berkeley : California Press.

Proposed Amendments to the Electoral system, Prime Minister’s Office. In: https://www.lexpress.mu/article/339618/reforme-electorale-ce-que-propose-gouvernement Truth & Justice Commission Report (2011). Government of Mauritius.

UN Concluding Observations on the combined twentieth to twenty third periodic reports of Mauritius (2018).

QUELQUES PUBLICATIONS DE L’AUTEUR

2017 : Critical ethnography. Heritage language and Identity construction: A study of Kreol Morisien. Nelson Mandela Centre for African Culture Trust Fund: La Tour Koenig.

2016 : UN Decade of people of African descent (2015-2024). Recognition, Justice and Development. The case of the Creoles in Mauritius. Trabalhos em curso. Panguilha Editora. pp.82-100.

2015 : Récits de résilience: le cas des Créoles de l’Ile Maurice. In : Teelock, Viyaya & Vernet, Thomas (eds). Traites, esclavage et transition vers l’engagisme. Perspectives nouvelles sur les Mascareignes et le sud-ouest de l’océan indien, 1715-1846. Centre for Research on Slavery and Indenture, University of Mauritius, pp.147-152.

2015 : Epistemology of languages -The socially constructed disputed knowledge about Kreol: A socio-historical perspective. Proceedings of the 2014 International Colloquium on Creole language and the Didactics in the Indian Ocean Region. Island Studies. Indian Ocean / Ocėan Indien. No.2.

2014 : From pedagogy of resilience to recognition: A critical discourse analysis on Kreol Morisien (2004-2010). In: Carpooran, Arnaud (sous la direction de). Langues creoles, mondialisation et éducation. Actes du XIIIe colloque des Etudes Créoles (Maurice, 5-9 novembre 2012). Creole Speaking Union : Réduit.

2014 : Sukhon, K. Harmon, J & Virahsawmy, D. Parol Mandela, bilingual sayings from Long Walk to freedom. Reduit: Open University.

2011 : Repères sur les systèmes éducatifs. Le système éducatif de l’ile Maurice. In : Dossier Le plaisir et l’ennui à l’école. Revue Internationale d’Education., Sèvres, N0.57,-septembre 2011.

2010 : The Afrokreol Quest for Identity. Revue Haitiano-Antillaise.

2008 : L’Espérance Créole, Progrès et Dignité, Editons Marye-Pike

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