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BLUE PENNY MUSEUM:

Mythes, espoirs et savoirs autour
d’une sirène…

Article paru dans Le Mauricien | 19 novembre 2011

Dugong

Les reproductions en grandeur nature d’un dugong adulte et d’un petit sont arrivées le 7 novembre au Blue Penny Museum (BPM), pour constituer une des principales attractions de la prochaine exposition du musée, consacrée aux espèces éteintes de Maurice, autres que le dodo. Intitulée, «Le dernier gong du dugong», cette exposition présente également les peintures de Ria Winters, de l’association Artists for the environment, et les sculptures de Nick Biby, prêtées par la Mauritian Wildlife Foundation, consacrées pour la plupart à des espèces animales, contemporaines du dodo avec lesquelles l’homme n’a pas su cohabiter. À découvrir du lundi 21 novembre au samedi 31 décembre.

«Une grosse peluche de la mer, un animal très placide et particulièrement attachant!» Nils Bertrand, un des rares spécialistes à avoir vu récemment des dugongs dans le lagon mahorais les décrit en ces termes, dans le reportage vidéo «Les dernières sirènes de Mayotte» co-réalisé en 2008 par Sea Blue Safari et Megaptera. Aussi est-il d’accord avec le vieux pêcheur, Vélou, pour qui le dugong femelle ressemble à une femme, tête et queue mises à part. Quand la femelle allaite, ses deux mamelles proéminentes feraient effectivement penser au corps d’une femme. Il s’appelle d’ailleurs «doutzi» en mahorais, ce qui signifie sirène ! Vélou rappelle même une tradition du milieu de la pêche qui voulait qu’on jure de ne pas avoir couché avec un tel animal lorsqu’il avait été ramené au port!

Longtemps et régulièrement consommé pour sa chair, le dugong a commencé à décliner dans le lagon mahorais à partir des années 80, sous la pression humaine, à cause de la disparition de son habitat, des prairies sous-marines, ainsi qu’en raison des accidents avec des coques de bateaux et engins nautiques. Ce film soutient qu’il n’en restait que cinq spécimens, dont on pensait qu’ils auraient des difficultés à se reproduire. Pourtant, en septembre 2010, les représentants de Megaptera ont vu émerger en surface une mère et… son petit au nord de Mayotte. Compte tenu du faible taux de reproduction de cet animal, la présence de ce petit dugong représente à la fois un événement et un nouvel espoir pour la survie de l’espèce dans la région.

Considéré comme vulnérable sur la liste des espèces en danger dressée par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le dugong ne doit pas être pêché, capturé ou vendu. À Maurice, il est considéré comme éteint, comme l’ont suggéré différentes études telles que le rapport de Hélène Marsh remis en 2002 au Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Cette spécialiste australienne cite également les Seychelles, le Sri Lanka, les Maldives, des îles japonaises, un estuaire de Hong Kong (etc) d’où il semble avoir disparu. Toutefois, des dugongs ont été vus dans le lagon de l’île seychelloise d’Aldabra, et peut-être pouvons-nous encore espérer que le spécimen observé par feue Delphine Legay en 1999 dans le lagon mauricien, croise encore discrètement dans nos eaux…

Abondant au XVIIIe

Cette sirène des mers abondait pourtant à Maurice, comme en a témoigné le Capitaine Cornelius Matelief en 1606, puis plusieurs rapports du XVIIIe siècle. Le naturaliste François Leguat relate la présence de troupeaux de dugongs qui sont d’ailleurs pêchés, à Maurice et à Rodrigues. Une illustration de 1708, réalisée d’après ses descriptions le désigne sous le nom de lamantin, le dessinant cependant fidèlement avec une queue bilobée… comme le dugong et les cétacés. Malgré cette queue de poisson, le dugong appartient à l’ordre des siréniens qu’il partage avec les lamantins, habitant des zones froides. Animal éteint, la Rhytine de Steller identifiée au XVIIIe siècle en faisait également partie. Le dugong partage aussi un ancêtre commun avec l’éléphant!

Un bilan des connaissances réalisé par Megaptera et par l’Observatoire des Mammifères Marins de Mayotte indique une taille moyenne de trois mètres pour un poids de 400 kg, les jeunes mesurant à la naissance 1 m à 1,5 m pour environ 20 kg. Le dugong a un corps plus fuselé que le lamantin, et sa queue traversée par un sillon médian diffère de ce dernier, en forme de palette arrondie. Herbivore, il broute les herbes marines qui poussent sur les plateaux des récifs, dans les lagons peu profonds. Doté de poumons, comme tout mammifère, il remonte en surface pour respirer. Malgré sa forme élancée, il a souvent été désigné comme une «vache de mer» en raison de cette faculté à brouter. Ses lèvres très larges et son museau en forme de groin expliquent aussi le fait que les Malgaches l’appellent «lambwara», ou «gros cochon de mer».
 

Reproduire sans naturaliser

Taher et Mansoor Mungur n’ont jamais honoré de commande comparable à celle passée par le Blue Penny Museum il y a quelques mois… «C’est la première fois que nous réalisons quelque chose à partir de rien», nous expliquaient ces taxidermistes spécialisés, le jour de la livraison. L’empaillage n’était ici pas envisageable pour des raisons techniques et réglementaires. Car s’il n’était pas une espèce protégée, le dugong ne pourrait de toute façon pas être naturalisé, en raison de l’épaisseur de ses tissus adipeux.

Nos artisans se sont fiés aux documents photographiques et aux écrits pour réaliser l’impressionnante reproduction en fibre de verre que nous observerons à partir de lundi aux côtés des oiseaux et reptiles mauriciens disparus. Cette contrainte leur a peut-être permis plus de liberté, car ils l’ont représenté en train de brouter des herbes marines — groin à terre et queue en suspension — comme s’il était au fond de l’eau!

Les taxidermistes ont sculpté la forme de l’animal dans de l’éponge, qu’ils ont recouverte d’une couche en fibre de verre. Pour retrouver la couleur dégradée ainsi que les nombreux plis et rides de l’animal, ils l’ont ensuite couverte d’enduits et de peintures spéciales. Le prêt d’un petit dugong reproduit d’après nature les a aidés pour ces finitions.
 

Megaptera, connaissance et respect

S’il a élu temporairement domicile à Maurice, le président fondateur de Megaptera, le Dr Michel Vély a choisi de s’appuyer sur les individus et les structures existantes comme la MMCS (Mauritius Marine Conservation Society), Dolswim ou le Blue Water Diving Center, pour transmettre et communiquer sa passion pour les mammifères marins. Basé à Tamarin depuis 2009, il a développé des relations de confiance avec les pêcheurs, les plaisanciers et prestataires de loisirs nautiques pour que l’observation de ces animaux se déroule le plus respectueusement possible. Lorsque nous l’avons rencontré la semaine dernière, il venait de voir des cachalots mâles qui évoluaient encore dans nos eaux. Tous les mammifères marins, qu’ils soient cétacés ou siréniens (etc.), intéressent les membres de Megaptera, dont la devise est : connaissance, observation et conservation.

Ce vétérinaire et microbiologiste de formation s’est spécialisé dans le monde marin par passion, alors qu’il travaillait en Mauritanie. Depuis, il a parcouru un long chemin marqué notamment par la création de Megaptera, à Mayotte, en 1998. Les volontaires et les scientifiques de cette organisation sont particulièrement présents dans l’archipel comorien, à Madagascar, aux Seychelles, ainsi qu’à Djibouti où ils ont contribué à la connaissance des requins baleines. Dernièrement, Megaptera a participé à la pose de balises satellitaires sur des baleines à bosse, une première dans la région qui va permettre de retracer leurs allers et venues entre nos îles et l’Antarctique.

 

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