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Réponse à la Société de l'Histoire de Maurice

Emmanuel Richon
5 décembre 2007

La Société revient, en date du 5 novembre 2007, sur le séjour de Baudelaire à Maurice et affirme que je me serais trompé.

Je suis tout d'abord surpris de constater que la Société de l'Histoire de Maurice se permette d'insister avec lourdeur sur ce pitoyable monument commémoratif ridiculement placé au lieu-dit "Cressonville", en plein champ de cannes.

La Société, en effet, ne possède aucune preuve du séjour de Baudelaire en cet endroit et les éléments qui lui permettent de "développer" cette thèse, sont infondés: je cite les arguments mentionnés par elle dans l'article du Mauricien en date du 17 août dernier:

  1. la présence de tamarins
     
  2. les grottes basaltiques
     
  3. la houle marine de Tamarin (qui n'est pas Cressonville) tous ces éléments figurant effectivement dans plusieurs poèmes de Baudelaire. Le fait que les Autard de Bragard aient pu posséder une demeure en ce lieu - si cela s'avère - la Société ne mentionnant pas ses sources, n'en atteste nullement pour autant le séjour du poète à Cressonville.
  1. Le poète n'a tout d'abord jamais fait savoir avec exactitude les poèmes relatifs à Maurice et à La Réunion (Bourbon à l'époque), si bien que les trois éléments proposés par la Société de l'Histoire devraient pouvoir tout autant concerner l'une ou l'autre des deux îles.
     
  2. Concernant les tamarins, les grottes ou la houle, même à Maurice, cela peut concerner de nombreux lieux possibles. Pourquoi se cantonner uniquement à Cressonville?
     
  3. S'appuyer sur Jean Urruty pour écarter l'hypothèse d'un séjour à Pamplemousses est des plus inexact. Je suis personnellement à l'origine, avec Mme Siew, de la réédition actuelle de l'ouvrage du critique aux éditions Vizavi et je me permets d'affirmer que le critique Urruty y mentionne bien que "le frère de Mme Autard de Bragard, Pierre-Emile Carcénac, possédait en 1841 aux Pamplemousses, une campagne connue sous le nom de "Célina", qui se trouvait à l'entrée de la propriété "Mon Goût", à environ un kilomètre au Nord du jardin."
     
  4. Quand bien même n'y aurait-il aucun acte de propriété, et que la copropriété de M. Autard de Bragard avec M. Bourgault sur le lieu dit Rougeterre ne serait-elle pas avérée, cela n'empêcherait aucunement que les poèmes de Charles Baudelaire auraient pu être inspirés par n'importe quel endroit de l'île Maurice comme de La Réunion, cette dernière étant d'ailleurs par trop ignorée ici. Affirmer sans aucune preuve étayée que le poète a séjourné à Cressonville s'avère ainsi péremptoire et sans référence historique.
    Si, comme vous l'affirmez justement dans votre préambule, "la vocation de la Société de l'Histoire de l'île Maurice est de faire connaître l'Histoire de notre île aux Mauriciens en premier lieu", cela ne peut se faire sur des hypothèses non-étayées et sans preuves.
     
  5. Je n'ai personnellement jamais affirmé de but en blanc que Baudelaire se serait rendu aux Pamplemousses; si je l'avais fait, vous auriez eu alors pleinement raison d'affirmer que je me suis trompé, mais je n'ai fait que rétablir une hypothèse que vous éliminiez, me semble-t-il un peu vite, enferrés que vous vous trouviez avec ce Cressonville des plus bancals; aussi, me faire endosser des propos non tenus n'élimine pas pour autant le problème principal et à l'origine de notre controverse: votre affirmation infondée concernant le séjour de Baudelaire à Cressonville.

Mystère

Je partage, en effet, pleinement le point de vue de Jean Urruty concernant l'incertitude fondamentale, pour ainsi dire principielle et, à mon avis voulue par Baudelaire lui-même, qui adorait s'entourer de mystère, relativement aux lieux de séjour mauriciens du poète. La seule chose dont je sois sûr est le fait que le poème La belle Dorothée se situe à La Réunion (Bourbon) et non à Maurice, j'en ai apporté la preuve évidente. Pour le reste …

Il s'avère néanmoins et cela avec certitude, que la demeure familiale des Autard de Bragard était située à la rue Guibert et, étant donné que le propriétaire, Me Robert, lors d'une émission de la MBC, avait lui-même jadis confirmé de tradition orale, que le poète avait effectivement séjourné en cette demeure, il s'avère évident, à tous points de vue, faut-il citer La Chevelure pour évoquer Port-Louis, que le lieu de commémoration du séjour de Baudelaire se devait d'être celui de cette maison de notre capitale, d'ailleurs conservée en parfait état à ce jour. De plus, après investigation sur place en 1993, Me Robert lui-même, m'avait affirmé qu'en lieu et place du manguier actuellement dans la cour, était autrefois situé un bassin avec jet d'eau central.

Le dernier paragraphe de votre critique s'avère des plus révélateurs, votre but avoué ne mentionnant nullement la célébration du poète ou encore moins de sa poésie, mais, je cite, cherchant plutôt à commémorer la demeure des Autard de Bragard ainsi que La dame créole stricto sensu, cette dernière revenant comme un leitmotiv des plus récurrents, pendant que c'est quasiment l'ensemble de l'œuvre qui mériterait d'être pourtant cité. Mon but était tout autre et, par-delà cette controverse, j'eusse souhaité que la commémoration du cent cinquantenaire des Fleurs du Mal et de leur interdiction ait pu se tenir en un lieu approprié à la grandeur de cet immense écrivain. Je ne vois pour ma part que la rue Guibert qui puisse soutenir un point de vue un tant soit peu biographique, encore que, une fois de plus, sans certitude absolue. Au lieu d'un champ de cannes, la dignité du poète s'en serait trouvée toute respectée. L'important était de toute façon de revenir à la poésie elle-même, d'inciter à y revenir, comme seule trace digne, tangible et intéressante de l'influence mascarine.

Emmanuel Richon

Charles Baudelaire aux Mascareignes

Viré monté