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Paralysie insoluble du passé
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Il est bien commode pour nous de parler de cette Impératrice insatisfaite, qui tantôt était à la fois joyeuse et douce, et tantôt mélancolique et perturbée. Certes, quand la joie la prenait, elle se riait de tout et paraissait apprécier tous les moindres biens de la vie quotidienne. Si elle pensait à quelque amour, elle disait «Quelle bonne chance pour moi!» (Alain, Propos sur le bonheur). Ces paroles étaient sincères, mais au fond, elle n’y croyait pas. En effet, en toute chose il y a deux aspects, deux versants, elle demeurait tout à fait apaisante si l’on voulait, parce qu’effectivement «L’effort qu’on fait pour être heureux n’est jamais perdu.» (Propos sur le bonheur)
Après quelques temps, c’est bien un autre aspect qui prévalait, quand les moindres maux la touchait, elle s’efforçait de les répercuter sur ses humeurs, son malaise se percevait jusque dans son regard. Elle se jugeait incapable. Le changement n’était qu’illusion. En vérité, elle aggravait le mal par elle-même. «Les meilleurs événements sourient en vain à l’homme malheureux.» (Propos sur le bonheur) Dans une propension fataliste, elle demeurait prisonnière du passé. Rien n’avait changé, le passé demeurait à l’ordre du jour, et l’avenir était aussi certain que ne l’était son passé. L’illustre Empereur Marc-Aurèle avait raison de dire «Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre.» (Pensées pour moi-même) Certes, la volonté est une des causes du bonheur, la raison est la solution aux sentiments.
Lui répéter «L’avenir sera heureux» n’est pour elle qu’incongru, elle n’en voulait rien croire. Mille et une tensions dans son esprit, mais pas une seule de ces tensions n’était à même de stimuler une solide volonté. Elle se savait faible, mais se croyait forte. Elle se savait instable, mais refusait toute aide. Et l’Empereur avait une nouvelle fois raison de dire «Personne ne se lasse jamais d’être aidé. L’aide est un acte conforme à la nature. Ne te lasse jamais d’en recevoir ni d’en apporter.» (Pensées pour moi-même) Mais elle ne comprenait pas un tel principe, elle était bien trop marquée par tous les malheurs du monde pour comprendre qu’il existe encore quelque vertu. Elle n’avait guère en tête qu’elle était la seule maîtresse d’elle-même.
Le désir de se croire triste avait pris le dessus sur le désir d’être heureux. «Mon désir d’être heureux ne compte pas plus que mon désir de promenade; je ne fais pas la pluie sur cette vallée ; je ne fais pas la mélancolie en moi ; je la subis et je sais que je la subis : belle consolation!» (Propos sur le bonheur)
En une telle posture, il est clair que le sens de la complication ne crée rien d’autre qu’une succession de maux. Souvenirs noirs, visions funestes, doutes perturbants, égarement manifeste. Sa propre tristesse est pour elle le miroir d’elle-même. Sécheresse du cœur, la vertu n’est plus qu’une option, elle fût trop décevante. «On supporte mieux un mal d’estomac qu’une trahison» (Propos sur le bonheur). Finalement, il n’est rien de plus puissant que la volonté et la vertu pour rayer radicalement une trahison. Car, l’Empereur le disait: «Le propre de l’homme, est d’aimer même ceux qui l’offensent.» (Pensées pour moi-même) L’ombre était si agréable, si régulière, si fidèle à elle-même qu’elle a choisi d’y retourner. Certes, la lumière de la vertu ne vient pas au secours de ceux qui refusent de s’en rapprocher.
3 Avril 2014