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Force à la loi ou Trouillé le sanglant

Emmanuelle  Deschè-Brambam

Le dernier fait d'armes répressif  de celui que la population martiniquaise surnomma: Trouillé le sanglant,  eut lieu en mars 1951 dans la commune de Ducos.

En 1951, quatre ans sont passés depuis l’arrivée de Pierre Trouillé à bord de l’hydravion qui avait  amerri dans la baie des Flamands, un  Latécoère qui assurait la première liaison aérienne entre la France et la Martinique.

Était également descendu de cet hydravion celui qui l’a nommé à son poste, le socialiste Jules Moch alors ministre des travaux publiques.

Les deux hommes furent accueillis en premier lieu par le maire de  Fort de France, Aimé Césaire et ensuite par un peuple en ferveur s’étant pressé à la Savane, en grand nombre pour écouter le discours qu’Aimé Césaire prononça en guise de bienvenue, scellant ainsi une nouvelle ère, celle de la départementalisation. 

Pierre Trouillé âgé de 40 ans avait débuté sa carrière préfectorale en 1934, se distinguant  durant la seconde guerre mondiale.

En 1944, alors préfet à Tulle en Corrèze, il s'était  opposé au  «fusillement» de blessés allemands par les maquisards, puis ensuite négocié avec la division SS afin d'épargner de la potence des centaines d'habitants de la ville.

Ainsi, il arriva  en Martinique auréolé d'actes de résistance lui ayant valu d'être décoré de la croix de guerre à la libération. Une venue sur laquelle de nombreuses aspirations sociales s’étaient cristallisées, à savoir l’amélioration des payes de misère des salariés, l’application  à la Martinique coloniale des lois républicaines en matière du droit du travail et de protection sociale, l’amélioration de l’habitat et des conditions de vie dans les quartiers populaires, l’installation d’infrastructures sanitaires, la réfection des hôpitaux particulièrement insalubres et la construction d’écoles décentes.

Après les évènements du Carbet en 1948, où au soir du 4 mars, trois ouvriers agricoles grévistes qui revenaient de leur lieu de travail, l’habitation Lajus, furent grièvement blessés tandis que trois autres périrent sous les balles des gendarmes qui avaient été mandés par le distillateur J. Bailly et dépêchés par le préfet satisfaisant ainsi les injonctions répressives patronales békés (Cf : Mars 1948, retour sur la répression sanglante du Carbet), plus personnes ne voyait en Pierre Trouillé un héros, ni un démocrate, mais une incarnation de la puissance coloniale, un bras armé à la solde des békés.

Malgré la répression sanglante du Carbet, les aspirations progressistes de la population martiniquaise, n'avaient en rien été affaiblies, s'étaient même trouvées renforcées.

Par ailleurs,  durant son administration au lieu d'œuvrer à l'amélioration du quotidien de la population martiniquaise, il utilisa les fonds destinés aux services sociaux (crèches, écoles, hôpitaux...) pour financer les travaux du port de Fort de France et de l'aérodrome du Lamentin. Ce qui fut un parti pris de gestion destiné à favoriser les exportations de produits agricoles des békés. 

Antillais dans les années '40

Il a en outre apporté son concours préfectoral aux békés dans le conflit qui les opposaient aux syndicats soucieux de l’instauration de la sécurité sociale en Martinique.

En effet, les békés qui ne souhaitaient pas cotiser au nouveau régime de la sécurité sociale décidé par décret le 17 octobre 1947,  avaient réagi de deux façons, tout d'abord en introduisant une main d'œuvre concurrente venant des îles voisines avec la complicité préfectorale, ensuite en déposant une requête au près du conseil d'Etat pour surseoir à cette application, par le biais des agents d’assurances, c'est-à-dire des békés qui géraient les allocations familiales de l'île.

Ce fut un échec,  la manœuvre fut contrée par la CGT qui  sous la houlette de Victor Lamon se rendit  à Paris défendre les intérêts des salariés martiniquais.

À coté de cela les travailleurs martiniquais ont très vite compris que pour obtenir la moindre chose, à savoir entre autre l'application à la Martinique des lois en vigueur en France, ils devraient se battre.

Aussi les revendications populaires s'en sont trouvés avivées et le préfet Trouillé a eut à faire face à plusieurs grèves, dont celle de septembre 1948 à la plantation Leyritz point de départ de l'affaire des seize de Basse-Pointe qui a renforcé si besoin était la combativité des travailleurs.

En 1950, les fonctionnaires eux aussi se sont mis en grève pour obtenir les mêmes avantages de la sécurité sociale que leurs homologues de l'hexagone.

Après 33 jours de grève ils ont obtenus satisfaction, ce fut un cas de figure délicat pour le préfet qui ne pouvait faire usage de mitraillette sur des représentants de l'État.

L'année suivante en 1951 les foyers de grève ont essaimés un peu partout dans le pays: au François, au Lamentin, à Rivière-Salée, à Fort de France, à Basse Pointe et à Ducos. 

Ce sont les ouvriers des usines du François qui ont ouvert le front dès le mois de janvier, conduits par le syndicaliste Platon, ils ont décrochés une hausse de salaire.

Les dockers, le même mois ont eut moins de chance car leur grève a été cassé par l'embauche de chômeurs travaillant sous l'encadrement des CRS, récemment arrivés en Martinique envoyés par le ministre de l'intérieur, le même socialiste Jules Moch, celui qui a nommé Trouillé en 1947 et  dont la méthode pour briser les grèves est l'utilisation massive de CRS.

Ouvriers 1940

Étant ainsi couvert par les plus hautes instances de l'Etat, on comprend alors que la protestation d'Aimé Césaire, le 17 juin 1948, dans une lettre adressé au président de la République pour que cesse les agissements de Trouillé, soit restée lettre morte1.

Au mois de mars 1951 les grèves agricoles se sont multipliées dans différentes communes de la Martinique, notamment au Lamentin où les ouvriers réclamèrent 1300 anciens francs pour la coupe de la canne. Dans le sud à l'habitation Trenelle à Rivière-Salée un gréviste est assommé par les gendarmes, à Basse Pointe  les crs occupent tout simplement la commune.

Mais le fait marquant à lieu le 7 mars 1951 dans la localité de Ducos, à l'habitation de La Chassin aux environs de 15 heure une centaine de gendarmes et crs emmenés par le béké Geoges Hayot dans sa Jeep, attaquent les grévistes comme au Carbet en 1948.

Le bilan est de deux blessés par balles, Raymond Georges, 31 ans et Emilie Amant, 34 ans.

À l'issue de ces grèves des ouvriers sont emprisonnés et le 12 mars à lieu un procès expéditif où 23 grévistes sont accusés pour "entrave à la liberté de travail", 8 écopent de prison ferme et 8 autres de prison avec sursis.

Protégeant ainsi les intérêts békés par tous les moyens, quitte à user de violence, le préfet Pierre Trouillé a été à milles  lieues de l'image du fonctionnaire héroïque de la seconde guerre mondiale à Tulle.

Antillais dans les années '40

Son préfectorat martiniquais aura été particulièrement sanglant à l'encontre de la population martiniquaise, le préfet qui avait tenu tête aux maquisards et aux officiers nazis pourtant auteurs des crimes d'Oradour-sur-Glane, s'est plié sans réserve aux desideratas békés, soutenu dans sa tache par son ministre socialiste  Jules Moch, qui chargé de juger son fonctionnaire suite à la lettre de Césaire conclura en disant de lui: "Excellent Préfet!".

Ainsi sa gestion administrative calamiteuse en Martinique au lieu de lui valoir un désaveux, ou un blâme, lui a valu récompenses et promotions, en effet Pierre Trouillé terminera sa carrière, couvert par les honneurs de la République, promu préfet Igame2 à Tours en 1960, puis comme inspecteur général au ministère de l'intérieur.

Toutefois, à son départ au mois d'août 1951 après son ultime effet de zèle répressif à La Chassin, il était manifeste que la départementalisation espérée dans les faits était dénué de sens, car ne signifiant aucun changements effectif pour la population martiniquaise en manque de tout.

Le premier préfet de l’histoire martiniquaise agissant à la manière d’un gouverneur tout était fait  pour maintenir le pays dans son carcan colonial, quitte pour ce faire à faire couler le sang. 


Emmanuelle  Deschè-Brambam

boule  boule  boule

Notes

  1. Extrait de la lettre d'Aimé Césaire adressé au président de la république, le 17 juin 1948:
    "Jamais on eu dans notre île une telle impression d'incapacité administrative et jamais, de fait, administration ne fut à la fois plus insolente et visiblement inapte à résoudre les grands problèmes économiques et humains que conforte notre pays. Le bilan d'un an administration préfectorale s'établit comme suit: ravitaillement désorganisé, grands travaux arrêtés, la construction tant souhaité et tant de fois promise d'écoles et d'hôpitaux, ajournée sine die malgré les crédits votés.
    Quand à l'arbitraire il ne connait plus de bornes. Affichant le plus grand mépris pour les corps élus du Département, M. Trouillé gère seul, administre seul, gouverne seul en tyran brouillon et borné appuyé sur la seule police à qui il donne des ordres de répression féroce .Chose inouïe, jusqu'a ce jour ni les municipalité, ni le Département n'ont de budget".
  2. Igame:
    Abréviation de «Inspecteur général de l'Administration en mission extraordinaire», préfet administrant une région économique, supervisant l'action des préfets de département  

Sources

  • "La France et l'outre-mer antillais quatre siècles histoire économique et sociale", de Felix Hillaire Fortuné (L’Harmattan, 2001)
     
  • "Histoire de la Martinique», tome 3, d'Armand Nicolas (L’Harmattan)  
     
  • "1946: la Réunion, département, regards sur la Réunion contemporaine", recueil d'Edmond Maestri, enseignant d'histoire contemporaine (Université de la Réunion) 

Sitographie

 Viré monté