Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Street Rapsody

Pierre Delcourt

"Seductive" de Randolph San Millan. Source: Nader Haitian Art.

On entamait à peine le début des années soixante-dix et Madinina avait un charme fou. J’avais entendu parler à l’époque d’une coutume qui n’avait pas tout à fait disparue, et que je n’avais pas encore eu l’occasion de connaitre. J’eus la chance un après-midi de me trouver au bon moment et au bon endroit pour pouvoir témoigner maintenant de l’authenticité de cette tradition.

Je l’avais déjà repérée et la suivais fixement du regard sans savoir à quoi vraiment m’en tenir, mais j’obéissais à mon sixième sens et conservais jalousement ma position stratégique sur le trottoir de l’avenue Victor Hugo. Elle sembla hésiter puis se lança finalement en plein milieu de la rue pour en prendre possession; j’étais ravi et décidai en la regardant qu’elle réunissait bien toutes les qualités requises pour remplir ce courageux rôle de gardienne de la tradition.

Elle ressemblait en fait à une princesse d’un autre temps et son physique s’apparentait plutôt à celui de ces africaines de magazines qui semblaient défier les lois de la pesanteur; qui aurait pu penser qu’une seule femme puisse réunir autant d’attributs que celle qui s’avançait fièrement au milieu de l’artère principale de la capitale, faisant fi des voitures et des passants. Tous s’étaient rendus immédiatement à sa cause et je crus même entendre quelques moteurs s’arrêter en même temps que cessa aussi toute activité aux abords, laissant tous les curieux comme étonnamment prostrés. Même aux balcons, je devinais des voyeurs accoudés studieusement à leur balustrade.

Sa robe fuchsia la moulait jusqu’à mi-cuisses et elle portait un joli chapeau à voilette assortit d’un petit sac à main noué à l’épaule; ses escarpins augmentaient sa taille déjà impressionnante et s’écoutaient déjà claquer sur l’asphalte. Sa silhouette avait commencé à chalouper mais semblait encore léviter dans le silence de la rue. Elle ne voyait personne mais savait pourtant qu’elle avait déjà gagné: elle pourrait révéler à tous et à toutes l’insolence de son corps et cela en toute impunité. Ses hanches se désarticulèrent alors dans une cadence infernale et sa poitrine fabuleuse peinait à contenir ses rondeurs dans ce bustier désespéré.

Je la voyais maintenant plein cadre et son visage oscillait de droite à gauche comme à contre-courant de ce buste qui montait et descendait, affolant les regards, et le visage écarquillé des passants en arrière-plan, me laissait présager d’un spectacle encore plus surprenant de son anatomie.

Pas un coup de klaxon, pas un cri ne vinrent troubler ce silence qui était juste accompagné par une rumeur d’exaltation; c’était la reine incontestée de cette artère qu’elle avait investie et qui était maintenant inconditionnellement reconnue par tous comme lui appartenant. Sa démarche se mua alors presque en une danse et l’insolence de ses hanches rivalisait avec la beauté de ses jambes, la rondeur de ses seins et même de ses bras fuselés portés par des épaules saillantes qui se mêlaient maintenant à la chorégraphie pour en accélérer la cadence.

Quand elle arriva à ma hauteur, je fus ébahi par son profil qui décuplait l’attractivité de son apparence et compris alors l’extase qui se lisait plus clairement sur les visages de ses admirateurs quand elle remonta vers les magasins de Roger Albert. J’étais époustouflé en la voyant maintenant évoluer de dos et me délectais du clou du spectacle; j’essayais de comprendre comment un fessier pouvait se désarticuler et se dissocier en deux entités aussi distinctes. Son «mi taou» avait sa propre vie et son «mi ta moin» la sienne aussi. Ces deux monticules de chairs sulfureuses s’acharnaient dans l’espace à nous faire perdre la tête, ils nous emmenaient tout droit vers la déraison. Ils se querellaient mutuellement au rythme de sa démarche surréaliste et nous incitaient à nous y accrocher et à y apposer les mains au risque de s’y brûler; mais cette folle envie s’évanouissait instantanément dans la peur que s’arrête ce mouvement céleste qui seul pouvait maintenir intact la grâce de l’instant.

Je dus alors forcer le pas car une foule se pressait derrière moi pour tenter de lʼ apercevoir sur la portion de rue qui lui restait à parcourir. Les «waiii waiii waii» et les «messieu messieu messieu» fusèrent alors de partout mais résonnaient étrangement en voix sourde comme des trompettes bouchées qui n’auraient pas voulu troubler le final de lʼorchestre. Une fois tournée le coin de la Savane, elle s’évanouit dans la ville, mais je pus heureusement apercevoir jusqu’au dernier moment le corps sublime de cette femme qui sʼétait offerte à nous dans cette rapsodie de beauté, d’arrogance et de magie. 

boule

 Viré monté