Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La lettre à un crabe !

Emmanuelle Bramban
avril 2014

Photo F.Palli

Cher Krab,

Me voilà narrant notre histoire qui débuta le premier jour de carême.
A la nuit tombée, des hommes et des jenn jen
Sont partis en chasse, munis de leurs ratières
Faites de petites planches assemblées avec des clous,
Ils en ont disposé une au-dessus de ton trou,
Se trouvant dans les traces des cham kann de la Luciole.

Tu fus pris toi, ainsi que d’autres,
Car il te fallait moult compagnons de fortune
Pour le jour de notre rencontre.
Vous nous furent vendus à ma famille
Dans un grand sac en jute couleur bagasse,
Dont l’obscurité vous faisait faire des ballets apeurés.

Commença alors, la seconde partie de notre histoire.
Une fois en notre demeure vous avez été placé
A la fraîcheur ombragée d’un pyé de papaye,
Dans une grande maisonnée grillagée
Ou la lumière du jour pouvait s’y glisser.
Sur l’ouverture du dessus une grosse roche reposait en loquet.

Ainsi jour après jour, nos relations se sont étoffées,
Marquées de ces moments où il fallait te sustenter
Améliorant ainsi la saveur de tes chaires
Et les nettoyants des impuretés de tes mets
Qui constituaient tes pitances d’autrefois,
Car selon ta nature crabe en choisir la qualité tu ne pouvais.

La petite dernière de ses mirettes enfantines émerveillée
Par vos exploits, venait souvent vous faire la causette.
A tour de rôle, chacun de la famille
Avec un amour certain nous t’avons nourri,
Fréquemment, avec des feuilles de pyé mango et de fruit à pain
Qui foisonnent à l’année en terre de Derrière-morne.

Puis, avec joies et regrets mêlés à la fois
À la suite du samedi gloria
Par un matin du carême achevé,
Les belles choses n’étant point éternelles,
Arriva le jour fatidique,
Scellant la fin de notre éphémère histoire.

Selon un rituel remontant aux temps lontan
Toi et l’ensemble de tes zanmi krab
Furent passés à la lame effilée
Ta carapace brossée et lavée avec grand soin
Car tes pattes poilues et tes pinces charnues
Devaient arriver avec lustre sur l’autel de ton prince sacrifice.

Pour te rendre délectable, à ton passage en marmite
Vous avez été tous assaisonnés d’épices pays
Dont les senteurs titillaient nos narines affamées
A mesure que cuisait le traditionnel matoutou.
Ainsi, pour la faim de nos panses te réclamant, voilà ta fin.
Alors merci mon ami krab de satisfaire nos bombances pascales !

En ce jour à ta mémoire, je lève ma fourchette !

Emmanuelle Bramban, avril 2014.

boule

 Viré monté