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La montagne rouge 22

Le préau

José Le Moigne

Au fond, ce devait être une journée comme les autres, confites dans ses habitudes. Les paysans étaient sans doute aux champs, les enfants à l’école et les femmes, toujours entre deux tâches, faisaient peut-être bouillir la lessive. Lorsque, vers midi, les gours descendirent de trois camions de la Wehrmacht, le bourg de Saint-Nicolas du Pelem était déjà complètement investi et, sous le préau de l’école publique, une quarantaine d’hommes abasourdis étaient tenu en joue par des hommes en uniforme de chasseurs alpins, obéissant aux ordres d’un certain Max, un vrai méchant, plus grand et découplé que la moyenne, avec un visage allongé et un regard chafouin, la gueule de l’emploi pour un type de la Gestapo. 

Ce jour-là, c’était Chevillote autrement dit Bleiz, qui commandait l’opération. Bleiz n’était pas de l’état-major, mais c’était une figure influente et au Bezen Perrot, quand bien même la mystique du chef ne souffrait pas de mise en cause, il était de coutume que l’on abandonnât parfois à certains ambitieux le soin de mener les opérations. Cela ne se faisait pas sans grincements de dents mais c’était en définitive un excellent moyen de maintenir en équilibre quelques egos souvent chauffés à blanc. Aujourd’hui, Bleiz,cela se voyait et s’entendait surtout, prenait son rôle très au sérieux. A peine était-il descendu de camion que déjà il gueulait:

— Ferrand, attrape cette mitraillette et va rejoindre ces messieurs.

Les messieurs en question étaient des miliciens de la SSP1.

Même si, en sa qualité de militaire il les méprisait un peu et sans doute d’avantage, s’acoquiner avec les miliciens, flirter avec les gestapistes, ne posait à Ferrand aucun problème existentiel. Néanmoins, C’est en traînant fortement des semelles, qu’il rejoignit la garde bleue sous le préau. Ferrand n’aimait pas Chevillotte et encore moins lui obéir. Il le trouvait poseur, un peu trop sûr de lui, et vaniteux comme un dindon; mais cette animosité n’allait pas jusqu’à la haine. Cette violence qui chaque jour le rongeait un peu plus, il la réservait, comme chacun de ses camarades, aux communistes, aux maquisards, aux patriotes de la première et de la dernière heure, tous ceux qu’il leur fallait éradiquer pour espérer une fin heureuse.

Évidemment, à force de se côtoyer dans les assauts contre les maquisards, de participer aux mêmes interrogatoires, de se livrer aux mêmes séances de torture, on finissait par se reconnaître. C’est donc sans surprise que Ferrand retrouva sous le préau, Cadum, fils d’instituteur parlant l’allemand à la perfection ce qui le vouait au rôle de d’interprète aux cours des interrogatoires; d’Ambert de Serillac, hier encore étudiant en médecine; de Combourg nobliau décavé au parcours incertain; et un vicomte de la région de Quimperlé dont le nom, à multiples rallonges, ne demeurait jamais longtemps dans sa mémoire. Revanche bien innocente au dédain affiché par ces aristos, Ferrand les toisa avec jubilation. D’être bien nés ne les rendaient ni moins vicieux, ni moins retors que leurs comparses.

Un peu plus loin, quatre brutes fieffées prenaient plaisir à simuler l’exécution des prisonniers. Guy Daigre, un borgne, alcoolique au dernier degré et d’une violence monstrueuse, répondant aux charmants sobriquets d’Œil de verre et de Coco bel œil, affichait ses manières de mâle dominant. À ses côtés, un petit homme rondouillard, véritable gibier de potence sortant tout droit de la prison de Rennes, exhibait des galons de sergent. Le dénommé Hocquart, quant à lui, s’il affirmait, à qui prêtait l’oreille, sa profonde répulsion pour les brutalités, se gardait bien de reconnaître le plaisir infini, comparable à celui d’une drogue, que lui procurait sa posture de voyeur. Ferrand ne put contenir le flot de pensées troubles qui lui venait devant le quatrième personnage, un gosse d’à peine dix-huit ans, que l’on voyait souvent en compagnie d’officiers boches qui semblaient le tenir en très grande affection.

— Petit pédé! pensa Ferrand avec mépris. On sait pourquoi tu colles au cul de ce salaud de Daigre!

Au bout du compte, deux heures plus tard, il ne fit pas mystère de son soulagement quand il vit  arriver   la relève en la personne de Morin.  Sans doute était-elle nécessaire, mais cette mission de garde-chiourme ne convenait pas à la jeunesse bouillante de Ferrand. En face de l’école, un autobus s’était garé. À son bord, une dizaine de soldats allemands se vautrait sur les banquettes de moleskine dont-ils semblaient goûter le confort bourgeois. Ferrand s’installa auprès d’eux. Presqu’aussitôt il s’endormit.

© José Le Moigne 2013

Note

  1. SSP : Selbstschutzpolizei.

boule

 Viré monté