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La montagne rouge 13

Les funérailles

Extrait

José Le Moigne

 

 

 

 

Célestin Lainé (Archives)

Célestin Lainé

Étrange personnage que ce Lainé. Homme d’une seule idée qu’il nourrissait et martelait partout, son grand rêve était de bouter les Français hors de Bretagne comme Jeanne d’Arc, dans des conditions encore moins favorables, avait bouter les Anglais hors de France. Les hommes, pour lui, se déclinaient en deux catégories. Ceux à l’échine souple et ceux, qui ne supportant aucune finasserie, ne demandent qu’à se battre. Il se rangeait dans la seconde catégorie. N’admettait pour patrie que la seule Bretagne. Exigeait, toutes affaires cessantes, que soit créée l’armée bretonne.

— Créons notre armée nationale et battons-nous! requérait-il encore ce soir. La liberté, la dignité sont à ce prix!

Chimiste de grand renom, il ne se contentait pas de prêcher. En 1932, c’est lui qui avait conçu la bombe avec laquelle Geoffroy avait fait sauter le monument de Rennes. Grand, mince, les cheveux noirs rejetés en arrière, le regard flamboyant dans son visage glabre, Lainé bénéficiait d’une magnifique aura. L’assassinat du recteur de Scrignac était, pour cet opportuniste, une trop belle occasion pour qu’il la laisse passer.

Tel était l’homme qui aujourd’hui, au milieu de ses lieutenants, se tenait immobile devant la couche funéraire où l’abbé, raidi dans son surplis, le visage calme et serein, reposait dans un silence étanche que ne troublaient que les reniflements de Marie-Louise. Tous avaient revêtu l’uniforme noir des bagadoù stourm. Tous avaient le col étranglé dans une cravate blanche. Tous avaient la manche ceinte, à la manière des miliciens de ces pays où la démocratie agonisait, d’un brassard signant leur appartenance à la légion des forts. Sur ce brassard, ramené à sa plus plate symbolique, l’arborescence d’un triskell enroulait ses volutes. Peut-être portaient-t-ils des galons sur leurs pattes d’épaules, mais un regard furtif suffisait pour comprendre qu’Hénaff était un chef qu’on ne contestait pas. Il se voulait la réincarnation parfaite d’un tiern d’autrefois sans la troublante Irlande. En lui s’opérait, du moins en était-il persuadé, l’intime syncrétisme entre l’ancien et le moderne, entre l’esprit et la matière. Il était la parole.

Au bout du long silence, le chef sortit du rang et marcha, d’un pas à la lenteur très étudiée, en direction d’une vasque d’argile d’où émergeait une branche d’if. Il s’inclina, resta  un long moment dans l’attitude contemplative de celui qui communique avec des forces occultes que lui seul est en capacité de pouvoir convoquer

Quand il consentit enfin à redescendre sur terre, son premier geste fut de défier d'un regard appuyé ses compagnons qui attendaient, figés au garde-à-vous, qu’il veuille poursuivre.

— Camarades, prononça-t-il d’une voix dont le timbre étouffé ajoutait au mystère qu’il se plaisait à cultiver, le moment est venu de rendre à notre ami l’hommage des anciens celtes.

Il se saisit du rameau puis, selon un rite qui se voulait antique, il l’appliqua, en ne les effleurant qu’à peine, sur le front, les mains et les pieds de l’abbé. Ce premier acte accompli, où plutôt le second si on accepte comme partie intégrante du cérémonial la longue station debout, dans la lumière imprécise des bougies qui entouraient le corps du recteur de Scrignac, Lainé brisa la branche d’if, en posa la moitié sur la poitrine de l’abbé et conserva l’autre moitié. Quelque chose, de l’ordre d’une transmission ésotérique, venait de s’accomplir.

Le lendemain, si ce n’est une poignée d’inconditionnels qui d’ailleurs se faisaient très discrets, très peu de Scrignacois suivirent le convoi de l’abbé. La messe fut célébrée par Monseigneur Duparc qui, aussi hostile qu’il fut aux idées et aux engagements de son vicaire, ne pouvait faire autrement que de célébrer l’office mortuaire d’un de ses prêtres assassiné. Pour autant, l’église n’était pas vide. Toutes les figures de proue de l’indépendantisme, les Célestin Lainé, les Olier Mordrel, les Léo Jasseron, les Taldir Jaffrenou et autres Yan Goulet et Raymond Delaporte, les uns en uniforme noirs, les autres en costumes civils, mais tous portants le brassard à triskell, se pressaient sous la voûte gothique où les répons latins le disputaient aux cantiques bretons et aux chants militants. Derrière les dignitaires du premier rang, également soucieux d’afficher leur appartenance au mouvement, les veules, les opportunistes, les feudataires de toute sorte, emplissaient les travées. Il ne manquait que Fransez Debeauvais qui, à l’heure où on enterrait l’abbé, rongé par la tuberculose, agonisait, à Colmar, dans un sanatorium de la Waffen SS.

©José Le Moigne
2013

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