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La tunique de Poinsettia

Dominique Lancastre

 

Suite de :

La légende de l’anthurium (Conte de Noël)

La rose de porcelaine (Conte de Noël)

 

 

Photos Francesca Palli

Ce jour-là se tenait dans la savane une grande réunion des plantes, l’heure était grave et le Grand Anthurium avait fait appeler toutes les plantes, abeilles, papillons et oiseaux de la savane. Il demanda de faire venir aussi José dont la rébellion contre tous ces êtres étranges qui gonflent, qui parlent et qui écrivent commençait à l’agacer. La Rose de Porcelaine avait transmis un premier message mais José ne semblait pas avoir compris.

Dans le ciel, la lune était déjà bien haute, comme posée sur une toile de soie bleue. José n’arrivait pas à dormir et comptait les étoiles. Pourtant, sa grand-mère lui avait dit qu’il ne fallait pas compter les étoiles, car on attrapait des verrues. Encore des balivernes de vieilles personnes qui croient à ce genre de chose, pensa José. Il poursuivit son comptage jusqu’à sombrer dans un sommeil profond. Tout à coup, il sentit son corps se détacher de son lit, il volait maintenant au-dessus des rivières et des arbres sous un soleil éclatant. Il arriva à une savane qu’il sembla reconnaître. Tel un défilé militaire bien orchestré, les plantes, les abeilles, les papillons et les oiseaux se tenaient en rang serré et se dirigeaient tous dans la même direction. José reconnut alors le Grand Anthurium qui était maintenant si énorme qu’il abritait du soleil tous les êtres de la savane. À la base de sa tige, des poinsettias recouvraient tout le sol, au point qu’on avait l’impression que la terre était rouge.
 
Sur une grosse roche plate était posé un habit rouge, une sorte de tunique à manches longues en fleurs de poinsettia. José se demandait ce qu’il faisait au milieu de cette savane. Il n’avait rien à faire avec ces plantes folles qui parlent et tous ces animaux apeurés par ce qui allait être une annonce importante de la part du Grand Anthurium.

Tout autour de la savane, les arbres s’étaient penchés, prêts à écouter. Leurs branches traînaient jusqu’au sol.

Tout à coup, José sentit des pattes lui agripper chaque épaule. Il leva la tête et vit deux aigles de part et d’autre qui le faisaient voler maintenant de force en direction de la roche plate. José eut peur et de grosses gouttelettes perlèrent sur son visage. Il ne sentait plus ses jambes. Allait-il être sacrifié? Il allait être projeté contre cette roche plate et son sang jaillirait partout, se mélangeant aux fleurs des poinsettias.

José se voyait déjà mort quand tout à coup, les aigles ralentirent leurs battements d’aile et le déposèrent doucement, telle une plume dans le vent, sur la roche plate, à côté de la tunique rouge.

Le Grand Anthurium secoua toutes ses feuilles, créant une espèce de tourbillon d’air et toutes les fleurs se couchèrent au sol. C’était le signe qu’il allait prendre la parole très bientôt.

Quand les fleurs se redressèrent, les papillons et les abeilles purent enfin se poser mais sans butiner. Quand aux oiseaux de toute couleur et de toute espèce, ils trouvèrent refuge sur les branches des arbres qui traînaient jusqu’au sol.

José s’assit et regarda la tunique rouge qui était posée à côté de lui en se demandant quel était le but de tout ce tintamarre.

Le grand anthurium prit la parole:

— Je vous ai convoqué tous aujourd’hui, les volants et non volants, les rampants et non rampants, les fleuris et non fleuris, les grands arbres stériles et les grands arbres à fruit, car nous sommes tous concernés par ce qui est en train de se passer.

Le Grand Anthurium demanda aux abeilles de quitter les fleurs où elles étaient posées et d’effectuer un vol.  Les abeilles s’exécutèrent.

— Regardez comment le ciel est visible. Il fut un temps où les abeilles auraient couvert toute la savane en volant. 

 

Puis, il demanda aux papillons de voler de fleurs en fleurs.

Ensuite, il dit:

— Il fut un temps où leurs ailes se seraient touchées tant il y en avait.

Puis il demanda aux oiseaux de voler de branches en branches et il dit:

—  On les voit à peine.

Tous acclamèrent le Grand Anthurium dans un brouhaha incompréhensible.

Il secoua ses grandes feuilles et créa un tourbillon. Les oiseaux percutèrent les branches, les abeilles et les papillons se mélangèrent, et des herbes où elles étaient cachées jusque-là les sauterelles firent leur apparition avec d’autres insectes, scorpions, mille-pattes, coccinelles, araignées, et autres. Seules les guêpes n’avaient pas été conviées. Hinda, la reine des abeilles, lança:
— Elles ne servent à rien, les guêpes.

Toutes les abeilles reprirent le refrain en faisant vibrer leurs ailles:

—  À bas les guêpes, au bûcher les guêpes, vive les pesticides pour les guêpes!

—  Silence! cria le Grand Anthurium.  Je n’ai pas encore fini, reprit-il avec quelque agacement. Pesticides pour les guêpes, et nous, croyez-vous que ces ... hu... mains… en fait ces choses sur pied qui piétinent tout font la différence entre guêpes et abeilles? Non, c’est tish tish tish tish, ça pulvérise à foison.

—  Ces choses sur pied, dit une voix.

José avait tout écouté en silence et prenait la parole pour la première fois.  Alors cette chose sur pied se mit debout sur la grande roche plate:

—  Je n’ai rien demandé. Je ne veux pas être mêlé à vos histoires de pesticides, de fleurs empoisonnées, d’abeilles et de papillons qui diminuent, dit-il. Regardez, dit-il en levant les bras, où voyez-vous des ailes? Buzz,  buzzz buzzz!  je n’ai pas d’ailes!  Vous voyez bien, j’ai des bras, je ne suis pas des vôtres.

À ces mots, le Grand Anthurium se fâcha et s’adressa à Tentacule, le chef de toutes les araignées:

—  Tentacule, emparez-vous de lui!

 À peine il eut fini de donner cet ordre que toutes les araignées se jetèrent sur José. Des fils furent lancés à toute vitesse et en une fraction de seconde, José fut attaché solidement à la grosse pierre plate.

José se débattait comme il pouvait mais il ne pouvait rien contre cette armée d’araignées bien déterminée à le maîtriser.

À force de se débattre, il finit par se fatiguer.  Il se laissa faire.

Hinda, la reine des abeilles, ordonna aux travailleurs de soulever la tunique, Troispattes le mille-pattes, à qui manquaient trois pattes et qui avait pris le surnom de trois pattes au lieu de 997 pattes, souleva les bras de José pendant que Lucinda dame scorpion, avec ses pinces, le maintenait tranquille.

José recommença à se débattre.

On passa la Tunique de Poinsettia de force à José et dès qu’elle fut attachée, José se calma. Il s’assit droit sur la roche plate et demanda la raison de sa venue ici. À côté de lui se trouvaient Hinda, Troispattes et Lucinda.

Puis, le Grand Anthurium dit:

— Tu as été appelé pour nous sauver d’une grande menace et tu vas nous écouter. 

— Non, non, non! cria José, qui recommença à se débattre.

Réveillé en sursaut, le front perlé de sueur, José comprit alors que ce n’était qu’un rêve ou presque:

Sur la table de nuit de sa chambre, posée à côté de lui, se trouvait la Tunique de Poinsettia…

 *

Viré monté