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Le 10 mai à Bordeaux

Tony Mardaye

 

 

 

Françoise Vergès et Tony Mardaye.

Mardaye & Vergès

Le 14 janvier à 18h00 nous étions invité à l’Hôtel de Montmorin, dans les salons Delgrès du ministère de l’Outre-Mer, afin d’assister à  la  clôture du mandat ou fin de mandat  du CPME  (comité pour la mémoire de l’esclavage) ainsi qu’à la remise des prix aux différents lauréats.

Nous étions en petit comité, le secrétaire d’état Yves Jégo, des hauts fonctionnaires du ministère de la culture, quelques membres du CPME, de rares politiques, dont la sympathique Mme Jenny Marc, la souriante Mme Pau-Langevin,  passée en coup de vent, et  des personnalités dont la présence s‘imposait, donc peu de monde, une cinquantaine à peine.

En entrant dans les salons lambrissés et tapissés de tissus rouge et or, nous nous apercevons que  le buffet était dressé, les serveurs s’affairaient, une ou deux collaboratrices du secrétaire d’état s’improvisèrent en hôtesse, l’une d’elle m’apporta une chaise et l’attente fut de courte durée.

La présidente Mme Françoise Vergès prit la parole, fit le bilan du CPME, sans forcément rentrer dans les détails et les tensions ayant parcouru cette institution, son discours fut volontaire mais sobre.

À cette occasion Mme F. Vergès a émis l’idée que le 10 mai soit délocalisé à Bordeaux. Je trouvais l’idée excellente, mais peu commode: il va falloir se rendre à Bordeaux!

M. Y. Jégo  à son tour parla, remerciant les membres du CPME pour le travail accompli, puis reprit l’idée de Mme Vergès,  indiquant que le Président de République était attaché à l’institution, mais souhaitait ajouter un H au CPME, donc le CPME  deviendrait le CPMEH, au prétexte qu’il ne peut  y avoir de mémoire sans histoire ou d’histoire sans mémoire…

Il confirmait la pérennité du CMPE(H), nous  soliloquâmes nous disant: «Pourvu que cette fois, on leur alloue un budget de fonctionnement!»

Et l’idée de Bordeaux vient nous hanter, cela ne nous enchantait pas, quoique le but soit de faire connaître notre histoire «singulière», aux restes des Français, l’idée était juste, mais il faudra se rendre à Bordeaux.

Dès  les prix remis et les discours finis, une bonne moitié des participants s’éclipsèrent sans même prendre la peine  de déguster les petits fours ou les  cocktails prévus à leur attention. 

Quelques mois se sont écoulés, je reçois  mes invitations, les pose sur un coin de mon bureau.

Le jour vint où je me décide à prendre un billet de train pour me rendre à Bordeaux, ville inscrite depuis 2007 dans le patrimoine mondial de l’UNESCO, une jolie ville, j’ai dû m’y rendre deux ou trois fois par le passé, et j’avais constaté que c’était l’une des villes les plus chères de France.

Pas de TGV, ils sont tous complets, impossible de faire l’aller-retour dans la journée, je me rabats sur les vols aériens, même situation que pour le TGV, mais si on met le prix, c’est possible.  L’aller-retour est à 450 euros, je reste dubitatif, pour cette somme je m’offre une semaine à Gjerba dans un 4****, encore  une cherté des prix due à une situation quasi-monopolistique d’une compagnie aérienne.

La solution serait de partir le samedi et d’entrer le lundi, mais je ne peux me permettre de rester 3 jours à  l’extérieur, j’ai du retard, des semaines de retard dans mes activités.

J’irai en voiture, nous partons la veille, après 6h de route nous voilà à Bordeaux, déposons nos valises à l’hôtel, il fait jour, une belle lumière dorée éclaire la ville, nous longeons les abords de la Garonne, le fleuve charrie du limon, l’eau est terreuse, je m’extasie sur la largeur de la Garonne, j’ai l’impression qu’elle peut contenir dans sa largeur cinq fois la Seine.

Nous franchissons les portes de la ville, les feux sont un véritable fléau, deux voitures passent au vert, quand la troisième s’engage, le feu est à l’orange et pour la quatrième il est au rouge. C’est  d’une pénibilité!

Nous arrivons au cœur de la vieille ville,  repérons où se trouve le musée où doit se dérouler les festivités du 10 mai, puis nous visitons la ville avant d’aller nous restaurer.

Rue de Botrdeaux

Il se met à pleuvoir, plus précisément  il pleuvine, il est à peine 20h et nous remarquons que toutes les brasseries, tous les commerces de bouche ferment, la ville se désemplit les services de nettoyage sont à pieds d’œuvre.

Nous rentrons à l’hôtel, il y a un «léwoz» ^prévu dans un parc de la ville  à 21h, mais le temps est mélancolique, il tonne, il gronde, par moment une averse, puis il se remet à pleuviner, le temps n’engage pas, donc je reste à regarder la télé, un film d’action avec Mila JOJOVICH, puis le sommeil m’emporte.

Un petit déjeuner vite pris, puis c’est la douche. Les cérémonies officielles débutent à onze heures, mieux vaut y être présent 30 minutes à l’avance, afin de trouver une place de stationnement.

Les policiers commencent à barrer les rues, nous nous garons exactement à la place où nous étions la veille. Nous avançons à pied vers le musée d’Aquitaine, un groupe de gendarmes  est en faction, mon accompagnant présente les invitations, l’adjudant un jeune métis les regarde à peine et nous salue, mais un de ses subordonnés récupère les invitations, le gendarme les retourne dans tous les sens, je ne prête pas attention à l’individu, il est sans importance.

Il tente devant mon détachement d’entamer le dialogue et dit que: - Les invitations Internet c’est à 11h30, je le regarde, j’ébauche un geste afin de  sortir mon téléphone de ma poche, un autre  gendarme devinant ce que je m’apprête à faire, lui dit sèchement, ce ne sont pas des invitations Internet, elles émanent du bureau du maire, vous pouvez aller – sans un regard pour l’un ou pour l’autre j’avance, mon accompagnant récupère les invitations et me rejoint.

Nous sommes dans le hall du musée, pas de chaise pour s’asseoir, tout le monde est débout, je jette un œil, je cherche des têtes connues, à ce moment personne, si ce n’est une journaliste antillaise couvrant cette cérémonie, nous restons un long moment à discuter, il y a si peu d’Antillais que nous faisons corps, elle fait sa mire pendant que nous discutons.

Hall du musée d'Aquitaine

La foule se fait de plus en plus dense, compacte, quelques rares Antillais sont de l’assistance, les Africains bien plus nombreux, les uns comme les autres représentent des associations œuvrant sur la ville de Bordeaux ou ses environs, un homme me fait penser à Alex Descas, je n’en saurais en être sûr, nous nous saluons. Je reconnais quelques membres du CPME, un ou deux universitaires, un avocat, doit y avoir une quinzaine d’Antillais présents dans le hall du musée. Dehors, le ciel est gris, il continue à bruiner.

Alain Juppé, l’ancien Premier ministre arrive, et la visite commence, tout le monde s’entasse en bas des marches, je ne les ai pas comptées, mais la salle du musée est à l’étage, un paquet de marches à grimper, il y a un palier à mi-étage et  les marches grimpent.

J’arrive dans un vestibule où un écran géant relate des faits de l’esclavage et de la traite négrière, il agit comme un sas, je n’entends pas grand chose, le volume est trop bas,  puis nous entrons dans le musée à proprement parler.

Musée d?Aquitaine

À ma droite, un tableau et une statuette du marquis de Tourny, un grand de l’histoire de Bordeaux, mais pour qui le «Nègre ne pouvait être qu’une marchandise.» Trois activistes antillais me disent tout le mal qu’ils pensent de ce marquis, je me dis qu’il est à sa place dans ce musée, pourvu qu’il y reste. Si la «damnatio memoriæ» condamne à l’oubli, à mes yeux c’est à  la damnation éternelle que je le voue, ses pairs et lui  pour crime contre l’homme. 

Marquis de Tourny

En face de moi, un buste dont je n’ai pas retenu le nom et au-dessus un mascaron représentant une tête de Nègre. Ces mêmes Nègres ayant fait la richesse de Bordeaux et de sa région.

Mascaron d'une tête de nègre.

À ma droite, des tableaux de personnes illustres de cette ville, au centre une chaise à porteur, nous mesurons comment à l’époque ces gens étaient petits, l’homme d’aujourd’hui a dû gagner au moins 30 centimètres en hauteur.

Chaise à porteur

Sur l'un des tableaux figure une Négresse servant de nourrice à une enfant issue de la noblesse ou la bourgeoisie bordelaise, la toile est belle, le peintre a su déceler l’affection et la confiance les unissant.

À côté, dans une vitrine des clés, nous ne savons à quoi pouvaient-elles bien servir, je me garde de toute spéculation.

En bifurquant sur la droite, le clou de l’exposition, des miniatures de bateaux négriers, des tonneaux, la balance gigantesque, exposées les armes fournies aux tribus, afin que par la guerre, elles alimentent les comptoirs en «bois d’ébène.» Il est écrit que 30'000 armes à feu1 circulaient, le chiffre est sous-évalué, il ne prend pas en compte les armes que d’autres nations pourvoyaient ou celles provenant de la contrebande.

Bateaux négriers

Sont présentés un mousquet et des pistolets destinés au commerce de la traite en illustration.

La scénarisation du lieu joue entre le clair et l’obscur, des lampes mettent en valeur les objets remarquables, différentes images  sont proposées, puis nous tombons sur la reconstitution d’une habitation sise à St Domingue, tout est tracé au cardo, une urbanisation en damier, chaque  partie de l’habitation, les champs de cannes sont visualisables, ce «reflet» ne peut être transposé aux Petites Antilles, car les sols sont montagneux et leur disponibilité rare.

La maquette donne une impression de sérénité, d’harmonie, de tranquillité alors qu’en fait, l’habitation fut un lieu de bestialisation, de domestication des Nègres, un espace où l’arbitraire régnait en maître, un lieu de mort.

Maquette d'habitation

La visite du musée arrive à sa fin, sur la gauche nous nous rendons dans la dernière salle, il y a un mélange d’estampes anciennes avec des œuvres contemporaines et sur le mur des photographies de personnes Noires.

Noirs célèbres.

La visite du musée d’Aquitaine prend fin, nous accédons à une exposition permanente fort plaisante sur les tribus primitives.

Puis, nous  prenons l’escalier pour nous rendre dans hall d’entrée, une hôtesse s’excuse de nous avoir pas indiqué où se trouvait l’ascenseur, elle est excusée.

Alain  Juppé entame son discours, ne s’attardant pas trop, il est chaleureusement applaudi, puis c’est au tour du vice-président de région ou le président, nous n’en savons rien,  de discourir, et enfin Mme Alliot-Marie rend hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite négrière, son discours mériterait d’être publié.

Discours

Les politiques se font  interviewer par les journalistes dans un salon adjacent, le reste des participants est invité à se rendre à la mairie où un buffet les attend.

Les gendarmes nous demande de prendre un autre chemin, des manifestants donnent de la voix, nous demandons à un  officier ce qui se passe, il nous répond:

- À chaque fois que vient un ministre c’est la même chose, il est inutile de les exciter d'avantage en passant devant eux.

Manifestation

Le chemin proposé est trop long, nous ne suivons pas les directives de l’officier et, nous passons, nous faisons quelques photographies des manifestants, puis nous  nous rendons à la mairie, des barrières installées empêchent  le passage, il faut refaire tout un détour pour accéder, cela ne nous convient pas, un officier est appelé, il ouvre la barrière  et nous laisse passer. Sur notre gauche, des stands proposent des produits artisanaux  africains, nous notons que les Antillais sont peu présents, il en sera de même dans la mairie.

Stand

Un podium est installé, les artistes sont attendus dans la soirée, pour l’heure les ingénieurs du son règlent la sono.

Podium

Les voitures officielles arrivent devant la Mairie, nous saluons Mme Taubira, très en beauté, puis nous entrons, le buffet est différent des buffets parisiens, pas de champagne, que du vin, du bordeaux blanc, rosé ou rouge, pas de coca, pas de boissons gazeuses, de l’eau plate et du jus d’orange. Le choix est restreint, le buffet promeut les produits régionaux, peut-on les en vouloir.

Marie de Bordeaux

Beaucoup de charcuterie, sans doute fabriqué dans la région, idem pour les fromages et la viande froide, nous regardons ce buffet, presque tous les mets proposés nous est interdit, sauf la viande finement découpée, mais on à l’impression qu’elle vient à peine de décongeler, et sans sauce c’est d’une fadeur…

Nous goûtons à  deux petits fours à la crème qui s’avèrent excellents, nous n’osons en prendre trois, nous nous consolons avec un jus d’orange, et nous nous asseyons. Mme F. Verges vient  discuter avec les membres du CPMEH,  je la félicite  pour sa nomination à la présidence de cette institution et j’aborde avec elle quelques sujets nous préoccupant.

Mardaye & Vergès

Une ravissante directrice de cabinet m’apporte un jus d’orange et nous la remercions de son attention. Et nous nous apprêtons à visiter les jardins de la mairie, cette fois il crachine, finalement nous restons bien à l’abri sous un porche, un peu à l’étroit,  je fais la connaissance d’une jolie blonde, une photographe du musée, nous restons un bon moment à discuter, d’autres personnes se joignent à nous, puis j’entre, je me dirige vers un des salons de la mairie, il est occupé par deux africains habillés en tenue traditionnelle, ils donnent l’impression d’être des chefs coutumiers à moins que ce ne soient des rois vu qu’ils portent une espèce de couronne et sont interviewés par un journaliste africain.

Marie de Bordeaux

Je retrouve la journaliste de… , nous prenons tout le temps pour parler, généralement c’est en coup de vent que nous le faisons, elle ne s’attarde presque jamais, devant aller faire le montage de son reportage.

Et vint le moment de partir, les deux jeunes danseuses qui m’avaient à 17h invité à assister à leur représentation ne me verront pas, mon accompagnant a des obligations, il doit être sur Paris vers les 21h, nous partons à 15h, la journaliste fait un bout de chemin avec nous, prend  deux photos,  nous en faisons une ensemble.

Jeunes danseues

Je lui demande si elle rentre ce soir, elle m’avoue ne pas avoir trouvé de place ni sur les TGV, ni sur la compagnie en quasi-monopole sur cette ville, elle couche ce soir à l’hôtel et rentrera demain.

Nous quittons Bordeaux sous la pluie, et prenons l’autoroute, ce qui m’aigrit c'est qu'il n’y a rien à voir, en circulant sur  la nationale ou les départementales, j’aurais pu faire des photos, découvrir des villages hauts et en couleur, des villages fortifiés, voir les gens vivre, mais sur l’autoroute c’est la monotonie, à quoi bon rester éveillé, alors je m’endors.

Après le dernier péage, les embouteillages surviennent, nous quittons l’autoroute pour prendre une départementale et tout change, mais  il fait nuit, trop tard pour faire des photos.

J’arrive chez moi, me déshabille et m’installe dans la baignoire, je me demande où se dérouleront les prochaines commémorations, j’ai proposé Nantes, un autre ayant l’oreille du Président propose les Antilles, un DOM, je leur fais savoir si ce choix était entériné, il assurait l’achat du billet, j’ai oublié de leur dire que l’hôtel était aussi à leur charge.

Bien sûr je plaisantais.

Tony Mardaye

Esclaves

  1. Je ne suis plus sûr du chiffre, il se pourrait que ce soit 300 000 armes à feu en circulation.

 Viré monté