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Olivier Bancoult: Les pieds à Maurice, le cœur aux Chagos

Michel CHUI CHUN LAM
10.8.2010

Source: L'Express

Le regard tourné vers l’avenir, Olivier Bancoult, 46 ans, se dit déterminé… à relever un défi . «Mon fils était en standard IV quand un jour il est venu me voir avec un atlas. Il m’a demandé: ‘Papa, dans quel district es-tu né?’ Et là, je lui ai dit que j’étais né dans aucun des neuf districts du pays. Que j’étais né à Peros Banhos», nous raconte le président du Groupe Réfugiés Chagos ( GRC) qui est aussi électricien.

Mais son fils a du mal à comprendre.

Où se trouve donc le lieu de naissance de son père sur la carte qu’il étudie à l’école? Il n’y figurait pas. «Mais pourquoi ne nous as- tu jamais emmenés là- bas?» Cette question sonne comme un défi pour ce père de trois enfants. Chose à laquelle il s’attelle à réussir… Olivier Bancoult est arrivé à l’île Maurice en 1968 alors qu’il n’avait que quatre ans. C’est sa soeur, blessée au pied par une charrette, qui pousse la famille à venir. «La blessure ne pouvait être soignée aux Chagos, et cela commençait même à s’empirer. Toute la famille a alors fait le voyage jusqu’à Maurice. Nous étions à huit personnes. Mais après trois mois, ma soeur décède. Nous voulions alors rentrer car nous avions encore tous nos effets personnels là- bas.»

Mais ils étaient loin de se douter que leur voyage était un aller… sans retour. En effet, lorsqu’il se rend avec sa mère au bureau de Rogers pour savoir quand ils pourront rentrer, les préposées leur annoncent que «zil inn ferme, zil pu vinn enn baz militer» . Leur île natale avait été cédée aux Anglais.

Le retour était donc interdit.

La suite n’est que galères.

Son père, qui avait trouvé du travail comme aide-chauffeur sur des camions de marchandises, est victime d’une crise cardiaque qui le handicape. Sa mère, elle, obtient un emploi de bonne à tout faire. Elle doit travailler dans plusieurs maisons pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. «L’école, par exemple, un jour on y allait, un jour pas» La famille avait alors trouvé une petite maison à Cassis. Avec ses sœurs et frères, il va vendre de l’eau au cimetière les week-ends pour aider leur mère. «Monn deza manz ziss enn papay avan al dormi», témoigne le président de GRC sur la pauvreté de son enfance.

Pour ses parents, qui sont nés et qui ont grandi sur les îles de l’archipel des Chagos, l’adaptation a été diffi cile. «Aux Chagos, ils n’utilisaient pas l’argent, par exemple. Mes parents travaillaient dans les plantations de coco. L’après-midi, tous allaient pêcher et ils plantaient pour subvenir à leurs besoins.

Ils avaient tout ce dont ils avaient besoin. À Maurice, tout était différent et pour eux, cela a été très diffi cile. Il y avait un monde de différence.» Ici, il fallait tout acheter.

Même leur façon de cuisiner subit des changements. Ils n’étaient surtout pas préparés à vivre ainsi.

«Si beaucoup de Chagossiens ne se sont pas adaptés, ce sont pour les mêmes raisons.» Ses souvenirs de son île natale sont «flous» car il était trop jeune. Mais ses parents et ses aînés de la communauté chagossienne lui ont raconté la vie sur les îles de l’archipel. On lui transmet la culture. «Mais j’étais comme saint Thomas. Il me fallait voir pour croire.» La première fois qu’Olivier Bancoult se rend sur «sa terre» , c’est en l’an 2000. Et en 2006, lors de sa deuxième visite aux Chagos, son premier rêve se réalise. Celui de «prendre [sa] mère par la main et de la ramener sur [leur] terre». Cette visite, il l’a vécue avec beaucoup d’émotion.

«Nous avons retrouvé nos vieilles casseroles, notre cuvette, notre bouloir… là où se trouvait notre maison. J’ai revu le pie lafouss sous lequel mon père organisait jadis des parties de loto tous les dimanches. Cette visite m’a aidé à situer mes souvenirs dans mon île, mais aussi les histoires que me racontaient mes parents.» Sa scolarité au primaire va se conclure par un «4 A» en 6e. Il le dit avec une certaine fi erté.

«J’étais le seul à avoir obtenu ce résultat à l’école Renganaden Seeneevassen, à Cassis. Presque tous mes petits camarades prenaient des leçons particulières, mais pas moi, faute de moyens. Le professeur, ayant compris notre problème, nous avait fait une faveur en baissant le prix pour nous. J’avais ainsi pu assister à ses classes supplémentaires.» Mais malgré ses bons résultats, Olivier Bancoult a failli ne pas aller au collège. «Ma mère ne savait pas qu’il fallait faire des démarches pour l’admission.» Ce n’est qu’en janvier, à la veille de la rentrée, qu’elle cherche un établissement. Il est alors admis au Collège London.

Le Chagossien est victime de brimades de ses camarades.

«Ti appel mwa ‘zilwa’ ou ‘kreol des zils’» , zilwa étant un terme péjoratif, voire dégradant. «Quand on vous disait cela, c’était comme si vous étiez le dernier des derniers. Parfois, on nous disait: ‘Akoz zot mem diri vinn lor ration!’ Je voudrais seulement savoir si ces gens- là étaient conscients que notre histoire est une grande souffrance. Que nous sommes les sacrifi és de l’Indépendance.»

Il poursuit sa scolarité jusqu’au School Certificate. Il aurait souhaité continuer «mais les finances ne le permettaient pas» . Cependant, tout cela n’est pas source à une quelconque rancœur. Depuis 1983, Olivier Bancoult mène «lalit». Retourner.

Mais aussi retrouver la dignité bafouée des Chagossiens. Et emmener les enfants nés à Maurice sur la terre de leurs aïeux. «Pa less nu racinn brile.»

Hier, a été célébrée la Journée internationale des populations autochtones. Nous avons ainsi choisi d’éclairer un parcours, celui d’Olivier Bancoult, électricien et président du Groupe Réfugiés Chagos. Lumière.

Michel CHUI CHUN LAM
10.8.2010

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