Potomitan

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Mes Dits Manichéens

à Esther                              

Saint-John Kauss

Haïti Saint-Martin

Haïti, Saint-Martin. © P. Giraud

«J'ai dépassé le lieu de moi-même le lieu d'être moi.»
                                                            (Aragon)

malgré ce long silence où tu danses           malgré l'enjeu de la page
blanche où tu te caches fuyant cette terre torturée où s'épuise le désir

malgré l'incision de la langue et le manuscrit du prophète qui fait parler vestales et autres mémoires sensés du territoire           malgré l'absence entretenue et la violence où tu te perds autant dans la nuit musquée et froide d'où tu témoignes de l'ingénuité de la mélasse sous les ruines

comment parler de toi dans le chaos de la féminité et regarder vers toi l'involution du romarin autour de la terre

je dis l'amour je dis la soif de l'amitié au plus-que-parfait n'étant en faute que devant toi qui me parles souvent les yeux baissés entre autres choses

je dis la faim je dis la liberté aux prisonniers plus que jamais dans les délices effarées de la terrasse humide que tu occupes           dans les mots et dans mes rêves jumelés que tu peuples           je dis la quérulence des appels à la fraternité plus que tout hormis le fleuve qui abrite les herbes folles et les mailles de la réconciliation

 

si tu me parles de cette terre / ce pays d'où je viens / ce lopin de contrebandiers criant naufrage à qui mieux être dans l'imparfait futur et la traîtrise des vieux baisers

que dit cette pause dans les hauteurs dont tu t'enveloppes ô mon aimée ô ma douleur

que disent ces mots dans l'aube de ta bouche sinon l'écho des aquarelles autant que celui de la pierre qui s'ouvre dans les filets du marinier

que dit l'enfant qui nous observe dans la rivalité des heures malgré le doute et les angoisses de la luciole

que disent la nuit et ses défuntes noyées dans les maux dans la faim du quotidien           le ciel à dessiner contre l'affolement des fleurs et le silence anonyme des étreintes

le poème murmure son secret arraché de l'inavouable lutte contre l'ombre des dalles

le poème contemple les mémoires / complices des vœux et des psaumes de l'épousée           immaculé de ce delta de mots qui se plient aux doigts du sédentaire

le poème délie sa défaite et ses plaintes jusqu'à l'épaule / jusqu'à ce télégramme pour être libre envoyé aux prédateurs

et tel se croit poète au bout de sa nuit comme ce cierge qui brûle à demi-mot mais dans l'élargissement des larmes capitales

 

avant il y avait les mots égarés dans la bibliothèque le bonheur d'être frère
et la gloire d'élire une patrie

avant il y avait les fiancés et le train qui part la grandeur d'être poète
et la rage de bâtir un pays

avant il y avait l'amitié et l'enfance la chance de rêver
et les rumeurs de mille magies

avant il y avait le bruit d'ailes de l'oiseau les jeux de ruelle
et la bonne garde du voisin

avant il y avait les fleurs cueillies pour une fille le bonheur d'être aimé
et le quartier qui s'endort

avant il y avait les tourterelles les puits à eau les contes de fées
et les anciennes querelles

avant il y avait les chrysanthèmes du mois d'août les amours de nylon
et les songeries de jeunesse

avant il y avait les cerfs-volants de l'été les réjouissants qui font carême
et les badauds qui trichent aux cartes

avant il y avait les demoiselles qui gardent souvenance de quelques lointains baisers les maudits voyeurs
et les petits écoliers qui prennent la route

mais avant il y avait la chaleur de l'entente l'humidité recueillie du silence et les mystères de la ville qui déplaisent

 

 

 

et si belle que fût cette île qui porte couronne de morts de veuves
et d'orphelins
je parle de cette terre partisane et de quelques arpents de ciel où convergent à grands pans la liberté et tout ce qui est à recommencer
je parle de cet océan de nègres qui calculent de craie à l'ardoise
je parle d'une île impaire abandonnée comme une honte
je parle de ma terre et plus qu'un simple murmure entouré d'oiseaux
et de chants sauvages

ce que je pense de toi n'est au plus qu'un regard inachevé que l'ombre
de toi-même dans les vicissitudes du quotidien

je pense aux pas croisés devant les portes de l'enfance
je pense à l'enfant afghan qui tousse parce qu'il a soif
je pense à la femme croate qui n'a pas assez de nourriture
pour ses enfants
je pense à la femme kurde qui ne finira jamais de plier ses linges
je pense à la femme tchétchène qui partage les affiches dont nul ne connaît
l'origine
je pense au poète taliban qui reprend du service et manque à l'appel
je pense aux spéculations de rêves sans fin d'amours libérées
et d'inutiles carnages

si tu me parles de cette longue histoire qu'est la nôtre
de la ville et ses quartiers ses bidonvilles célèbres et ses putains
si tu me parles de ce poète qui passe avec un tambour sous les bras
de la ville et ses fantômes humains ses enfants abandonnés et ses mendiants
de rue
si tu me parles de cette violence organisée par ce prêtre fou et prédateur
des ténèbres
de la ville et ses fatras de chimères ses assassins et ses métèques de province
si tu me parles de ces longues et petites histoires de quartier de ces filles
de canton
de la ville qu'on prend d'assaut et de ces jeunes étudiantes amantes des mots de leur drame
si tu me parles de ces appels sans réponse à la paix de ce professeur célèbre qui part du comté
de la ville et ses remblais de vieillard ses condamnés ses révoltés
si tu me parles de ce silence de mort après le coup d'État de ces oiseaux déplumés par la peur
de la ville qui pleure à genoux de ses tragédies et de ses amours
si tu me parles de ces acteurs et comédiens qui font la fête de la joie désirée qu'on emprunte
de la ville à grand pas qui doit recommencer à vivre de ses douleurs et de ses peines
si tu me parles de Port-au-Prince et ses prisons qui donnent un sens au jour déshonoré
de cette ville et ses buveurs de Rhum ses argentiers et ses contrebandiers
à la pelle
si tu me parles de la traîtrise d'avoir faim comme les Cubains
de cette ville qui se défait dans la balance et dans ses plaintes profondes
si tu me parles de l'incomparable refus d'avoir peur la nuit
de cette ville et ses histoires de sang ses carnavals et ses moments de carême
si tu me parles de ces minutes qui me torturent de mes déceptions au bord de la mer
de cette ville qui ne dit rien de son destin de ses passants et de ses adolescentes sans lendemain
si tu me parles de Port-au-Prince et ses tombes qui ont l'air défuntes
de cette ville qui fait semblant d'aimer où l'événement se tait fragmenté
si tu me parles de mon pays où tout n'est qu'encombrement dans la misère
et la folie des fleurs qui poussent à reculons

si tu me parles là où je dis LIBERTÉ jusqu'à l'éternuement

là où tout plaisir suppose la main sur l'oreiller le cœur qui ouvre ses valvules à la coulée du désir le doigt entre les pages que tu lis les yeux comme une barque qui s'échappe           et le poème nu qui te parle n'est que murmure et jurisprudence

passe ton doigt là sur ton front et observe les rides et les méfaits du désespoir           la feuille qui tremble dans les filets des marins d'eau douce l'oiseau-mouche qui porte plainte et le calvaire des écoliers qui ont faim et font la grève

tout a dans ce pays la pitié des regards le bonheur que j'ignore la douleur du départ même si tout est à recommencer entre les voyelles qui manquent aux enseignes et les jurons que l'on se dit

il n'y aura plus jamais de grandes fleurs dans les prés
ni les anémones ni les orchidées
il n'y aura plus jamais de bruits de plume et d'ailes dans les champs
ni l'accent du guerrier dans les jardins d'elfes
il n'y aura plus jamais de prévôts qui font mine de rien ni à se cacher
au détour d'un instant
il n'y aura plus jamais de poètes maudits sur les boulevards et si peu de mots
pour dire au fond leur douleur
il n'y aura plus jamais de chansons anodines ni de palais en ruines
dans nos habits empruntés
il n'y aura plus jamais de journaux condamnés ni de journalistes assassinés
parce qu'ils disaient la vie
il n'y aura plus jamais de vacances volées aux ortolans et aux papillons
parce qu'ils jouaient aux dés
il n'y aura plus jamais de baisers capturés dans l'accomplissement
et la certitude de nos premiers battements de cœur
il n'y aura plus jamais d'arcs-en-ciel à tourner en rond et si peu
d'étoiles qui plient bagage
il n'y aura plus jamais d'orphelins et de pareils étonnements dans le partage jusqu'à l'affolement des syllabes au beau milieu des phrases
il n'y aura plus jamais de blessures à condamner après faillite des saisons
jusqu'à l'accouchement des vivaces au mât de l'hiver
il n'y aura plus jamais d'approbation aux droits d'aînesse et de royaumes prodigues
comme ce qui furent ma jeunesse et ce passé de regrets
il n'y aura plus jamais d'apologues qui feignent d'ignorer ce que j'écris
et ce que dit le poème dans sa douleur
il n'y aura plus jamais assez de mots pour aimer
car toute syllabe a un songe
et tout homme un monceau de terre ou une île sans rues à raconter

 

 

 

ne serait-ce que ces blessures en ton absence qui n'ont pour moi qu'un sens qu'un souvenir où me renaît l'enfance qui s'était tue dans la souffrance

si tu me parles davantage de l'effroi et de la peur à Bagdad de tous ces enfants mutilés au nom de la liberté           de ma douleur physique de n'être que l'ombre et l'homme qu'on lit à pieds nus

si tu me parles (peu soit-il) de vieux baisers dans le chaos de ma nuit de cette terre qui se meurt à cloche-pied dans les brouillards de l'anarchie et de l'indifférence

ce que je ferai de tes yeux vagues de nuit grâce à quoi nul ne s'échappe
aux tambours de ce peuple jadis magnifique qui chante
et faisait reculer la mer

ma haute futaie de chambres closes
mon héritage et désir de fermenter la chair
ta chair des réclusions libres de plaisir
ma carapace de vigie à surveiller la nuit
des nuits entières sous les bâillements de sentinelles
et d'autres femmes jalouses de notre amour
de nos murmures allongés en tricots fins d'étoiles

dans le silence de l'index …

Repentigny, 10 septembre 2001

boule  boule  boule

My so called manicheans

Traduction de Marcien Constant

                                                                                            To Esther

 

      “I exceeded the place of myself the place to be me.
                                                                                (Aragon)

in spite of this long silence where you dance    in spite of the stake of the blank page behind which you hide fleeing this tortured land where desire becomes exhausted
in spite of the incision of the language and the manuscript of the prophet who land his voice to vestals and other judicious memories of the territory         in spite of the nurtured absence and the violence where you lose yourself deeply as  in the cold and musky night where you testify to the ingenuity of the molasses under the ruins
how could one speak of you in the chaos of femininity and look towards you the involution of rosemary around the earth
I speak of love and tell the thirst for friendship in the pluperfect being at fault only in front of you who to me often speak with your eyes looking down among other things
I speak of hunger I speak of freedom to the prisoners more than ever in the frightened delights of the wet terrace where you settle       in the words and in my twinned dreams that you fill         I say the querulousness of the calls to fraternity more than anything except the river which shelters the insane grasses and the meshes of reconciliation
if you are speaking to me about this land  /  this country from where I come  /  this patch of smugglers shouting shipwreck to whomever is better off in the imperfect future and the treachery of the old kisses
what says that pause in the heights which you envelop yourself with O my liked O my pain
what say these words in the dawn of your mouth if not the echo of the watercolours as much as that of the stone which opens in the nets of the boatman
what says the child who observes us in the rivalry of the hours in spite of the doubt and the anxiousness of the firefly
what say the night and its defunct females drowned in the evils of daily hunger                    
to paint the sky against the panic of the flowers and the anonymous silence of the embraces
 the poem whispers its secrecy torn off from the unrevealed fight against the shades of the flagstones
the poem contemplates the memories / accessory to the wishes and the psalms of the bride      immaculate of this delta of words who yields under the fingers of the sedentary
the poem loosens its defeat and its complaints down to the shoulder /  even to this telegram to be sent free to the predators
and such a poet at the end of his night believes itself as this candle which burns with no explanation but in wide open capital tears
before there were the words lost in the library the happiness to be a brother
and glory to elect a homeland
before there were the groom and the bride and the train that leaves the station the nobility to be a poet and the rage to build a nation
before there were the friendship and the childhood the chance to dream
and the rumors of a thousand magics
before there was the noise of flying the bird the plays of the back streets
and good guard of the neighbor
before there were the flowers gathered for a girl the happiness to be liked
and the neighborhood that falls asleep
before there were the turtle-doves the wells with water the fairy tales
and the old quarrels
before there were the chrysanthemums of August the liking of the nylon
and the reveries of the youth
before there were the kites of the summer the fasting cheering crowds
and the idlers that cheat during card games
before there were the young ladies who keep memories of some distant kisses the bloody Peeping Toms
and the schoolboys who take the road
but before there was the warmth of harmony the contemplated humidity of the silence and the mysteries of the city which displease
and so beautiful that was this island which carries a crown of dead  widows
and orphans
I speak about this partisan land and a few arpents of sky where largely converge freedom and all that is to be started again
I speak about this ocean of negroes who calculate from chalk to slate
I speak about an abandoned odd island like a shame
I speak about my land and more than one simple murmur surrounded by birds
and wild songs
what I think of you is nothing but one unfinished glance than the shade of yourself in the vicissitudes of the daily life
I think of the steps crossed in front of the doors of childhood
I think of the Afghan child who coughs because he is thirsty
I think of the Croatian woman who does not have enough food
for her children
I think of the Kurdish woman who will never finish folding her linens
I think of the tchetchene woman who divides the posters which no one knows the origin
I think of the taliban poet who answer the call to service and then is missed in action
I think of the speculations of dreams without an end of released love lifes
and of useless carnages                            

if you speak to me about that long story which is ours
of the city and its districts its famous shantytowns and its whores
if you speak to me about this poet who passes with a drum in his arms
of the city and its human phantoms its abandoned children and its street beggars
if you speak to me about that violence organized by this insane and predatory priest of darkness
of the city and its “chimeres” its assassins and its wogs in the countryside
if you speak to me about these long and short neighborhood stories of these canton girls
of the city that one takes by storm and of these young female students in love with the words of their own drama
if you speak to me about the calls left without an answer to peace by that famous teacher who leaves the county
of the city and its landfill of elders its convicts its rebels
if you speak to me about this deathly hush after the coup d'etat of these featherless and frightened birds
of the city that cries on its knees of its tragedies and its loves stories
if you speak to me about these actors and comedians who have fun in the festival of the desired joy that one borrows
of the city that again must start living of its pains and its of sorrows
if you speak to me about Port-au-Prince and its jails that give a meaning to the dishonoured day
of this city and its Rum drinkers of its bankers and its smugglers
with shovels
if you speak to me about treachery to be hungry like the Cubans
of this city that is demolished in the balance and its major complaints
if you speak to me about the incomparable refusal to be afraid at night
of this city and its bloody stories its carnivals and its moments of Lent
if you speak to me about these minutes which torture me with disappointments at the seaside
of this city that does not say anything of its destiny of its passers by and its teenagers without a future
if you speak to me about Port-au-Prince and hits tombs whit their defunct look
of this city that pretends to love  where the event is kept silent and fragmented
if you speak to me about my country where all is only obstruction in misery
and the madness of the flowers that grows back in the negative direction
if you speak to me where I say FREEDOM until I sneeze
where any pleasure supposes a hand on the pillow the heart which opens its valvula with the flow of desire the finger between the pages that you read the eyes like a boat which escapes                          and the naked poem that speaks to you is only murmur and jurisprudence

walk your finger there on your face and observes the wrinkles and the misdeeds of despair the sheet which trembles in the nets of the sailors in fresh water     the hummingbird which carries its complaints and the martyrdom of the schoolboys who are hungry and on strike

all in this country the pity of anyone who dare glance the happiness which I am unaware of the pain of the departure even if all is to be started again between the vowels that are missing in the signs and the swearing in our speech

there will be never again be large flowers in the meadows
neither the anemones nor the orchids
there will be never again neither noises of the feather and wings in the fields
nor the accent of the warrior in the gardens of elves
there will be never again any provosts taking casual airs
nor hide in the space of a turning moment
there will be never again cursed poets on the boulevards and so few words
to describe their profound pain
there will be never again neither innocent songs nor palaces in ruins
in our borrowed clothes
there will be never again neither convicted newspapers nor assassinated journalists
because they spoke about life
there will be never again of holidays stolen from the ortolans and the butterflies
because they played dice
there will be never again captured kisses during achievement
and the certainty of our first palpitations
there will be never again rainbows turning round and so few
stars leaving the sky
there will be never again orphans and similar astonishments being divided until the panic of the syllables right in the middle of the sentences
there will be never again wounds to condemn after the bankruptcy of the seasons
until the rebirth of the perennials at the mast of the winter
there will be never again approval for the rights of seniority and prodigal kingdoms
as were my youth and this past of regrets
there will be never again of apologues that pretend to be unaware of what I write
and what the poem in its pain says
there will be never again enough of words for loving
because any syllable has a dream
and any man a piece of land or an island without streets to be told
may it be just these wounds in your absence which have for me only one explanation or a memory in which reappears my childhood that had been kept silent in suffering
if you spoke to me more about fear the fear in Baghdad of all these children mutilated in the name of freedom          of my physical pain for being just the shade and the man that one reads barefoot
if you spoke to me (for few they may be) about the old kisses in the chaos of my night of this dying land in the fogs of anarchy and indifference
what I will do with your eyes vague of night thanks to that no one escapes the drums of this formerly magnificent people who sung
and push back the ocean
my standing mature timber of closed rooms
my heritage and desire to ferment the flesh
your flesh of the free reclusions of pleasure
my armour of watchtower to supervise the night
entire nights under the yawns of sentinels
and other jealous women of our love
our murmurs lengthened in fine star knittings

 

in the silence of the index…

                                                     

 

                                                                       Repentigny, September 10th, 2001

boule

Viré monté