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Des écrivains pour une littérature

      (Léonard P. Joseph : Entretien sur la poésie avec Saint-John Kauss)

Décembre 1980

C'était un mardi de décembre. Il faisait très froid. La neige n'avait pas cessé de tomber à Montréal, depuis quelques jours. Il fallait donc rencontrer le poète et lui parler. Les heures et les secondes s'acheminaient vers le néant. Et dans le brouillard du matin, j'avais vite compris qu'il m'aurait fallu du temps pour délier la langue du jeune écrivain.

Léonard P. Joseph: Saint-John Kauss, quel sens accordez-vous à la Poésie... moderne?

Saint-John Kauss: L'injustifiable poésie moderne se justifie d'elle-même comme le grenier des cœurs broyés au fil des jours, la cendre des passés meurtriers et du présent générateur de révolte. C'est le noyau des passions.  Et dans un monde où tout est à l'envers (sans foi ni loi), la poésie demeure ma seule passion de vivre, une évidence dans le cadre de mes aspirations les plus justes. Elle est ma seconde nature.

Mais au fond, quel est le rôle du poète?

Le rôle du poète, c'est d'être un générateur de vie. Un messager pour l'homme. Une lumière profonde dans l'allée obscure.

Et si je vous demande depuis quand écrivez-vous?

Depuis février 1973. Alors que j'étais un bambin du Collège Saint-Jean des Cayes (Haïti), je sentais naître en moi un jour nouveau.  Et c'est ainsi, j'ai débuté sans savoir où aller et pourquoi.

Est-ce une tentative qui coûte cher?

Oui. Et je dirais même plus que la liberté.

Que représentent pour vous "Chants d'homme pour les nuits d'ombre" et "Autopsie du Jour"?

C'est à partir de ces deux premiers recueils que je suis né spirituellement. Dès lors, je ne ressentais plus la langueur de mon être en mouvement et qui devrait surgir dans la longue évolution des choses de laVie. Pour plus de précisions, je dirais que c'est surtout avec "Autopsie du Jour" que j'ai vraiment commencé à "sentir le tragique de (mon) être".

Que diriez-vous si certains critiques qualifiaient ces poèmes d'excessifs et un peu mal dirigés?

Oui ils semblent l'être. Mais comment aurait-il pu en être autrement? Ils parlent d'un obscur adolescent qui aspire à percer les profondeurs de l'Etre pour enfanter le jour. Ils parlent d'un poète du Tiers-monde aux prises avec le fracas séculaire des arbres gonflés de sève, engendrés par les paupières croissantes de l’ombre.  Ils parlent d'un être qui vient de naître, respirant à peine la lumière du jour et l'air pur de l'espace éthéré.

Après vos deux derniers bouquins livrés au public, ne pensez-vous pas que la poésie pourrait devenir une sorte de ventouse, un lien profondément efficace, qui contribuerait à empêcher l'infidélité littéraire?

Je le crois bien et tout cela ne m'ennuierait nullement.

Voulez-vous nous expliquer cette "fameuse alliance", unique en son genre, entre l'auteur des "Pages Blanches..." et vous?

Je revenais d'un voyage en Amérique du Nord; Alix Damour était lui-même de retour de la République Dominicaine;  nous ne nous connaissons même pas.  Mais à la parution de " Chants d'homme pour les nuits d'ombre", la critique s'en était tellement inspirée pour baver ses "pour" et ses "contre" qu'aux jours suivants,  l'auteur des "Pages Blanches..." jugea bon de faire ma connaissance. Il était trop tôt pour une si remarquable rencontre. Après la parution de "Autopsie du jour", j'étais, de mon côté, trop imbu de manuscrits pour ne pas solliciter l'appui d'un éditeur. Et c'est ainsi que le poète Gérard-Pricorne Janvier manifesta le désir de me passer l'adresse des Éditions Alix Damour, et ce fut le "coup de foudre". Nous jurâmes, tous deux, de faire du beau travail, propre à une littérature concrète, et l'idée du "SURPLURÉALISME" en fut la première (j'ai inventé ce nom et Alix en est ravi). Nous travaillâmes tous deux pour la bonne marche du manifeste que vous connaissez, qui liera, sans aucun doute, tous les auteurs et pour longtemps. Fameuse rencontre. Hein!

En somme, qu'est-ce que le Surpluréalisme?  Et quels sont ceux qui vous rejoignent aujourd'hui dans ce mouvement?

Le Surpluréalisme est une nouvelle école littéraire haïtienne qui veut enfanter une nouvelle écriture, un nouveau langage. Il résulte des noces parfaites de quatre grands continents de la création littéraire: Spiralisme, Pluréalisme, Surréalisme et Réalisme Merveilleux. Brassage et remue-ménage, le SURPLURÉALISME tient place à côté de l'UNIVERSALISME. Le monde est un et indivisible. Il ne s'agit point de le réduire en miettes et de faire face à une littérature comparée, pleine dans sa pureté et comparse dans les idées. Il faut un élément de cohésion qui constituera l'arme principale pour examiner la situation mondiale. Polythématique, polyformelle, polygénérique de l'oeuvre dans les couloirs de la multidimensionnalité, le Surpluréalisme touche à l'universel pour une littérature totale.  Et nous avons pas mal d'adeptes et d'aspirants. Citons Guerdy Préval, Emile Mathieu, Lesly Duteau, Pierre-Raymond Dumas, Saint-Valentin Kauss, Gérard Pricorne Janvier..., etc.

Le Surpluréalisme restera-t-il pour toujours une école littéraire ou grandira-t-il en monument de recherches continues?

Il ne s'agit pas d'une école littéraire au sens étroit du terme. Car toute école ou doctrine exige une certaine finalité. On a seulement montré du bout des doigts le chemin à suivre. Chacun peut forer, creuser le sol à coups de pioche pour l'érection d'une citadelle de recherches. Le Surpluréalisme n'impose pas de théories et aucune loi n'y est maîtresse. C'est la lutte contre l'autorité suprême, contre les "ismes" trop rigides que nous avons rencontrés le long des haies littéraires. Le Surpluréalisme, c'est la libre existence d'une écriture interdépendante.

La poésie garde-t-elle une place de choix à l'intérieur de ce nouveau parlement littéraire?

Le Surpluréalisme ne fait que poursuivre une évolution constante de la poésie - nous sommes pour une poésie du Vécu, de l'Homme ou du Solidaire, d'Impression et d'Expression (rêve / réel, réel / rêve) - et la continuer. Non pas pour faire mieux mais pour nous placer à la suite des Brierre, des Jorge Luis Borges, des Pablo Neruda ou des Phelps et tenir le flambeau. Pour cela, nous devons réussir "la gageure de préserver (nos) sources et d'y ajouter des sonorités nouvelles" pour retrouver les traces d'éléments à venir. Le Surpluréalisme devient alors une recherche.

Le Surpluréalisme s'intéresse-t-il à l'homme?

Oui et c'est essentiel. Nous nous adressons à tous les hommes, muables oscillations à la naissance du jour nouveau.

Quel adorable avenir fomentez-vous pour le Surpluréalisme?

L'avenir n'appartient qu'à l'avenir. Jusqu'à présent, nous n'avons qu'une seule prétention: c'est d'aboutir à des écrivains universels pour une littérature totale.

Il était 5h00 de l’après-midi.  Il n'y avait pas d'oiseaux. Pas de vols d'hirondelles vers le soleil. Mais la poésie était là. Tout près et le poète allait me quitter sans savoir que son adorable "lyre d’Orphée" avait défié le silence de la nuit.

Maison de l'auteur
Un mardi de décembre 1980
(Montréal, P.Q., Canada)

Viré monté