Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Fuir la vie

à Frantz Jules

Saint-John KAUSS

Ottawa-Gatineau, 18 décembre 2022

Photo Francesca Palli

J’ai passé ma vie à fuir les hommes                 surtout mon père dans un élan catégorique                que je voyais peu dans son habit de vert olive

Les hommes de la rue les paysans à peine arrivés en ville les bambins de prostituées les fillettes qui accueillent la racaille les porteurs durement lessivés les braconniers les écoliers pauvres les marchands de pistache les mangeurs de glace les cabotins de mers les vendeurs de pots à fleurs les animateurs de rêves à jouer le chinois haïtien et son thé les syro-libanais qui pissent l’argent des pauvres la mulâtresse qui nourrit son bonhomme de nègre
                                 
J’ai passé ma vie à m’attacher aux femmes qui m’ont tétanisé                          par manque de filles à la maison de mon père                    par oubli des avances de cousines                                  par coopération magnifique des cigognes qui flânent

Ma mère me parle toujours de ses sœurs oncles et tantes dans des moments de confidence                      une tribu qui attend l’élu de la famille en peine                     tant de filles vierges du quartier comme je les aime

Mon accent du plateau fait rire à la population des poètes du Nord                        brutal passager de la baie de mancenille

J’ai passé mes premiers mois de maladie infantile dans la ville de Plaisance                    au cimetière le plus long depuis celui de la ville de Saint-Marc 

J’ai partagé mes conquêtes                          braves dans la restauration du pays que l’on négocie à coups de monnaie courante                        à coups de trahison primaire                  à coups de pissenlit et de fougères                        

J’aurais aimé retourner à l’enfance                             pour jouer aux billes et au ballon                     revoir Nadia et les autres à mes trousses                           de chevalier arrogant                        caressant le van et les pages de mon dernier livre

*

 Viré monté