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Saint-John Kauss

et ses pages fragiles

Par

Saint-John Kauss

Saint-John KAUSS

Saint-John Kauss (John NELSON, dit) naquit à Hinche (Haïti), quelques mois à peine après la prise du pouvoir par François Duvalier. Étudia les sciences biologiques et médicales à Montréal. Au début des années quatre-vingt, il fît paraître dans Le Nouveau Monde (Port-au-Prince, Haïti) ses tout premiers poèmes, des Chants d’homme pour les nuits d’ombre. Entre 1975 et 1980, il collabora à différents revues et journaux de Port-au-Prince, dont principalement Le Nouvelliste. En 1980, il fut invité par le poète Alix Damour à coécrire et signer le premier «Manifeste du surpluréalisme». Fit des voyages de recherches littéraires au Canada et aux États-Unis, entre 1977 et 1983. En 1981, profitant d’un voyage à Montréal, il s’y établit définitivement et y étudia la biologie, la nutrition, la biochimie et les neurosciences à l’UQAM et à l’université de Montréal, jusqu’aux études postdoctorales (1993-1997) sous la supervision du nobélisable Guy Chouinard. Brillant scientifique, docteur Nelson est d’abord et principalement un homme des lettres, et nourrit un très profond respect pour la culture et le folklore haïtien. Il a écrit, publié ou s’est fait entendre par la lecture de plusieurs œuvres poétiques. Il devint plutôt célèbre en 1991 par la publication de ses «Pages Fragiles», qui lui valut le Prix de la Société des Écrivains Canadiens. Il a publié depuis plus d’une centaine d’articles critiques et au-delà d’une vingtaine de publications, notamment Chants d’homme pour les nuits d’ombre (1979), Autopsie du jour (1979), Ombres du Quercy (1981), Pages fragiles (1991), Testamentaire (1993), Territoires (1995), Territoire de l’enfance (1996), Écrivain en résidence (2004, en collaboration), Paroles d’homme libre (2005), Le manuscrit du dégel (2006), Hautes feuilles (2007), Poèmes exemplaires (2007), L'Archidoxe poétique(2008), Poésie haïtienne contemporaine (2009 et 2011), Éloge de l’Interlocuteur (2010), Florides (2012), Déluges (2013), Sans dieux et sans idoles (2013), publiés, entre autres, chez Humanitas (Montréal) et chez Joseph Ouaknine (France). Son œuvre fait actuellement l’objet d’études à Port-au-Prince (Haïti), à Montréal, à Paris, à Bucarest (Roumanie), au Luxembourg, au Mexique, en Italie, en République Dominicaine et aux États-Unis (Vermont). Cette œuvre considérable et inachevée, lui a valu plusieurs distinctions et  prix littéraires. Il est traduit en plusieurs langues. Sous le pseudonyme de Saint-John Kauss parurent plusieurs textes et ouvrages du docteur John Nelson. Ses publications se proposent de décrypter la symbolique linguistique et langagière, aussi bien décomplexer le lyrisme personnel dans la littérature en général. Jusque-là, il a inspiré bon nombre d’auteurs contemporains et modernes. L’œuvre de Saint-John Kauss est discutée par plusieurs historiens et critiques comme Dumas, Hoffmann, Ferdinand, Domond, Desroches, Sourieau, Ireland et Charles, qui approuvent la pertinence de ses thématiques et la supériorité d’une écriture surpluréelle, au-delà même d’une interprétation sociologique et philosophique de l’Oeuvre. Quant à l’identité de l’auteur, plusieurs suppositions ont été émises  concernant la vie et la personnalité cachée sous ce pseudonyme, lequel paraît être simplement une combinaison des noms Saint-Jean (son Collège des Cayes, Haïti) et Claude Lévi-Strauss (l’anthropologue français). Membre-correspondant de l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres, Saint-John Kauss ou Monsieur Littérature a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages.


POÈME DE L’AMÉRIQUE

                                                                à Mario, mort, sans un hoquet
                                                                                        de ma présence

 

voyageurs du sel
aux souvenances de femmes cadines

où s’allonge licite la résonance
de tous ces hommes-métèques
AMÉRIQUE

 

aimante terre de nuits barbares
où je retrouve mes contours indiscrets
ô Amérique l’unique
des naissances dérisoires me rendant mon image

ô terre-rosée héritière de l’amande
baronne bénie de mes belles amours
clepsydre rebelle à la femme au cœur qui sème
catégorique

terre d’étoiles lourdes comme un poing vif
ô Amérique l’unique
de l’enfance jumelle de toutes les femmes belles
terre aimante précédant les voyelles cruelles
terre d’enfants aux accents de filles inconnues

Amérique
l’unique
enfilade ovale
d’émissaires pratiques qui s’empressent habiles
ô multiples escarcelles d’allure céruléenne
où la femme hurlupée se donne à la pierre aimée
sans connaître le poids des rançons de sa couche
Amérique, immense monde de préhominiens, femme métallurgique
aux dés truqués dans le nylon des peuples
déchiffreuse de nuages aux arcades des fables
sorcière-aimée quand on médite soleils
femme de mauvaise foi aux tisons des menstrues
femmes à l’envers femme d’aquarelles
femmes en aval sans verso de mes maux
femme fausse des négations fidèles à mes aisselles
femme en équilibre hybride d’écots de casaque
ô multitude ta légende de femme éternelle
affranchie à jamais des neuvaines du soir
ô Amérique
l’unique
empruntant la pupille et l’étoile-cigale
femme d’enfants folles aux étreintes de réplique

Amérique
métal du corps
tranchant
le calme et mes yeux lourds foulant la clavicule
drôles d’étoiles mutant les cendres et le néant
plaine de terres battues et d’enfants mornes
de lunes mâles futant la joie au fond des puits
terre de femmes en liberté
d’hommes entretenus aux appétits du jour
terre de divans éclatés en filigrane du vent
d’hommes-de-guerre rêvant dans leurs conquêtes
terre des cimetières au cœur des chaos
terre sans suite près de moi à bout d’inventaires
aubaine folle de tout ce qui reste
quotidienne
ma croix d’enfants des îles
et de l’éclair
chiffonnière à deux à trois syllabes échappées
de la langue
ô multitude ton nom de femme voyante
manipulant les voyelles
hôte de peuples bavards
alchimiste des fastes néfastes des prémisses
entre les lambes du soleil

terre de semences prononcées
gobeuse de peuples mal-retenus
fileuse d’empreintes avares de mots uniques
AMÉRIQUE
aux yeux multiples de tiges laminaires
étiquette indifférente aux femmes possédées du poème
re-née
qui fut de flots et de maîtresses
dans des baisers casse-pieds n’empruntant aucun geste
terre diseuse d’échos infinitifs
aux épousailles des phrases
terre sue de filles de joie
sommées
qui furent décomptes doubles au positif du soir
porteuses d’étreintes fêlées en habitats de courtisane

telles des folles imaginées de bris de fesses
et d’accolades…

Brooklyn, décembre 1986

(Pages fragiles)

boule

 Viré monté