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Saint-John Kauss et l’exil

par Modj-ta-ba SADRIA

L’exilé n’a qu’un pays, son corps et l’Etre qu’il renferme, multiple, inavouable ou encore inavoué.  Pour l’exilé, cet autodidacte de la vie, l’amour est lieu privilégié d’appréhension de la réalité. Une réalité à visages changeants, à corps fluides, qui s’enracine dans l’éphémère du désir et non dans une terre natale dont la mémoire tente sans cesse de recréer les couleurs, les rythmes, les mots. Tous ces fruits lourds du soleil d’avant la misère, d’avant la peur, d’avant l’exil, qui ont tondu l’âme de tous ses prolongements.

Univers de l’errance, de la différence, où le poète se met au monde, jour après jour, à force de mots, à force d’incantations. Univers de la solitude où l’amour est salut. Riche cosmogonie qui tient lieu de patrie.

Le poète habite son poème. Seul pays où il ne se sent pas seul, pays où rêve et liberté ne sont pas proscrits, où le bonheur s’invente comme ce soleil laissé derrière soi, un petit matin froid, il n’y a pas si longtemps. Une éternité. Un trou sombre dans la peau tendre de l’enfance. La mémoire pour tout bagage.

Cette poésie est d’abord incantation. Elle cherche à «charmer» un univers rébarbatif qui n’a d’oreilles que pour les gagnants. Ces blancs chevaliers du pillage, du troc, et du napalm, ceux qui achètent le sang des autres ou le font couler à volonté quand il y a trop de bouches à nourrir.

Comment apprivoiser cet univers défolié par les marchands et bourreaux? Où et quand s’est perdu l’homme? Où et quand s’est perdu ce bonheur d’être que chacun portait en soi? Le poète cherche la trace, s’aventure dans les dédales de la mémoire. Défie la lobotomie collective.

Il nous rappelle le bonheur des mots, de l’amour, de la vie qui est l’unique fête où l’homme ne sera jamais convié. Il nous parle d’un temps perdu où les mots de tous les jours avaient cette saveur qu’on appelle aujourd’hui Poésie.

Il nous dit l’urgence de vivre et d’être enfin à cette table où nous sommes conviés depuis toujours. Lui l’exilé, dont la terre natale est veinée de sang et de sanglots, il nous parle du seul pays qui reste à découvrir. Celui du bonheur. De la soif d’absolu.

Écoutons-le et suivons le chemin, qu’en vrai poète, il ouvre à nos pas.

Modj-ta-ba SADRIA
Montréal, 13/05/1983

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 Viré monté