Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

CHAPITRE 5

du livre à paraître
"Éloges de l'interlocuteur"

 Le métier d’écrivain

Saint John KAUSS

Doit-on comprendre que l’écriture est selon vous ou pour vous un métier ou bien est-ce l’ironie qui revient?

À ses débuts, tout écrivain serait tenté d’imiter à partir d’un modèle donné. Les plus précoces, dès la fin de l’adolescence ou après les études classiques; les retardataires après les études universitaires ou vers l’âge de 40 ans. Plus tard, si les astres sont favorables, cette attitude qui débuta par une tentative, pourra se muter en «métier» selon l’individu, l’effort, le temps et l’importance accordée aux lettres et aux mots de l’écriture.

Je ne garantis rien pour les poètes aux heures libres, et je ne parle pas des écrivains non conséquents. J’opte pour les écrivains déterminés.

Pourriez-vous abandonner votre profession pour vous consacrer à l’écriture?

Si j’ai de quoi à vivre, une bourse d’écrivain par exemple, c’est affirmatif.

Aimeriez-vous pouvoir vous consacrer entièrement à l’écriture?

Surtout de nos jours, je voudrais bien. Je ne sais pas si c’est l’âge ou la maturité qui force les choses, ou si c’est à cause d’un besoin vital de romancer et d’écrire des romans ainsi que des pièces de théâtre. J’aimerais ainsi me consacrer à la marche comme moyen de support à la visitation des paysages à décrire, également à la course à pied tôt dans la matinée afin de mieux m’oxygéner. Car la marche, la course, semble-t-il, comme l’écriture sont des activités pouvant créer des états d’ivresse et de consolation. Et l’écriture n’est-elle pas un sport, un sport pour le cerveau?

Selon moi, l’exercice semble davantage nourrir l’imagination. Il doit y avoir des analogies entre la marche, la course et le rêve. Par exemple, lors d’une course, l’esprit (ou l’âme) file aussi vite que le corps au rythme de la course. Lorsqu’on rêve, l’esprit (corps astral) qui est en général désincarné, possède, selon les sciences occultes, d’étranges pouvoirs  de locomotion.

Et pourquoi Walt Whitman, le poète, parcourait à pied des kilomètres américains? Pourquoi Henry David Thoreau, fut un inlassable marcheur? Pourquoi Charles Dickens souffrait d’un état maladif qui l’obligeait à marcher toute une nuit et, ce, de façon compulsive.

Moi, j’aimerais marcher, non pas par compulsion, mais par besoin. Non pas pour y trouver refuge, un répit à la pression réelle de la réalité ou à l’intensité de l’écriture, mais pour m’y oxygéner, me ventiler afin d’écrire dans toute la latitude d’un langage nouveau.

Qu’est-ce qui inspire Saint-John Kauss?

Le souci d’une écriture nouvelle, la nostalgie du pays natal, la femme et son corps de rêve, l’espace de vivre avec les mots et dans les territoires du langage.

Les écrivains, jeunes en âge, que je fréquente discutent incessamment d’un clanisme parmi les écrivains haïtiens. Êtes-vous au courant?

Cela a toujours existé. Les poètes du groupe Samba, d’Haïti Littéraire, du clan Hounguénikon, de la Revue Indigène, du groupe Les Griots, La Ronde et de la revue Le Petit Samedi Soir, du Collectif de la revue Cahiers du Vendredi et de telles collections ou mouvements (Coll. Librairie Indigène, Régénération du Nord-Ouest d’Haïti, Collectif Paroles, Dernier Monde, Sambas Caraibéens, Société Paroles, etc.), ont toujours imposé ce genre d’écart. Peut-être par souci d’hygiène littéraire.

Il ne faut pas s’y faire. Au Québec ou en France, ce n’est pas si différent que cela. Vous n’avez qu’à foncer dans le tas, et mettre tout votre talent au service de l’Art.

Ces jeunes disent précisément que les écrivains déjà établis ne tendent pas la main, ne reconnaissent pas leurs efforts et parfois font tout pour leur fermer la porte. Y croyez-vous?

À l’époque de mes relations d’affaires avec Constantin Stoiciu (1990-2007), l’éditeur, j’ai ouvert les portes des Éditions Humanitas aux plus jeunes poètes et à certains plus âgés, comme Gary Klang, qui avaient de  la difficulté à publier. Encore de nos jours, ils me contactent très souvent, de ce fait,  par courriel. Je ne sais pas ce que font les autres écrivains établis pour ces jeunes.

Si oui, comment expliquez-vous cela?

Probablement, par esprit de protection des lettres ou par snobisme. Il faut faire ses preuves, sans aucun doute.

Personnellement, je trouve que je m’entends bien avec les écrivains. Respect et appréciation sincère pour l’œuvre de chacun, sagesse, recherche constante d’harmonie, je ne saurais expliquer pourquoi. Je m’entends bien avec Saint-John Kauss, jusqu’à présent, jusqu’à ce que je le déshabille à travers cet entretien. Êtes-vous prêt?

Me déshabiller! Je le suis déjà.

“Je le suis toujours” aurait été une meilleure réponse pour les lecteurs et lectrices, ne pensez-vous pas?

«Toujours», serait l’idéal, bien entendu. Je suis toujours aux portes de la Muse dès qu’il s’agit de Poésie.

“Fou de ce continent macabre qui dit la nuit et ses chimères”, parlez-nous un peu de Archipel des Antilles. Vous étiez en Haïti lorsque vous l’avez écrit.

J’étais lors enseignant et chercheur à l’Université Quisqueya (Haïti) quand j’ai pondu ce long poème qui fit le tour du monde francophone de par ses publications. Il a été finalement publié dans Hautes Feuilles (Humanitas, 2007, pp. 15-45), mon avant-dernier livre.

Je pensais, en l’écrivant, aux duchesses et pirates de l’époque coloniale. Je rêvais de Tainos et d’envahisseurs. Je pensais aux Amérindiens d’Amérique, aux Africains déracinés de leur terre. J’imaginais un éventuel brassage de peuples s’il n’y avait pas eu ce carnage des dieux blancs. 

Plusieurs de vos poèmes font état des problèmes sociaux que confronte Haïti avec aussi une pointe politique, où vous situez-vous par rapport à la politique en Haïti?

La vie est politique. Les relations humaines sont politiques. Écrire un poème, selon moi, est un geste vital et essentiel, qui fait appel aussi à la politique. Le poète est un politique puisqu’il suggère des fois sans imposer (poésie non engagée) ses convictions. Le fait d’écrire déjà est une forme d’engagement …envers soi-même.

Par rapport à la politique en Haïti, le pays m’obsède. C’est une obsession chez moi. Les gens au pouvoir que je ne comprends pas, n’arrivent guère à gouverner le pays. Mais pourquoi ils acceptent tel ou tel emploi? Je ne connais qu’un homme, qu’une seule goutte d’homme, qui avait refusé le pouvoir en Haïti, c’est l’écrivain Jean Claude Fignolé. Après la chute des Duvalier et consorts, il a été cherché par le grand poète martiniquais Aimé Césaire pour être Président d’Haïti. Il les a tous ignorés et s’est embarqué dans une autre aventure à la mesure de l’homme aux Abricots (Grande Anse), son village, dans le Sud-Est d’Haïti. Il en est actuellement le Maire.

Parlons d’Haïti. Aimer ce pays n’est pas une honte. Ne pas l’aimer est une honte. Le grand poète Mauricien, Edouard J. Maunick, a écrit: «Lire ma passion pour Haiti» (Présence africaine 169 : 141-147, 2004). Édouard Glissant, l’un des plus grands écrivains du XX et XXIe siècle, a publié son unique pièce de théâtre sur Monsieur Toussaint, en 1961. Aimé Césaire, en 1963, et Dereck Walcott, en 1970, ont médité sur la tragédie du monarque haïtien Henri Christophe. Encore Aimé Césaire a aussi écrit sur Toussaint Louverture, en 1962. L’écrivain martiniquais Vincent Placoly sur l’Empereur Dessalines en 1983. Tous, des antillais et insulaires mais qui ne sont pas d’Haïti. Sans oublier Européens (lire Bug-Jargal de Victor Hugo), Canadiens et Américains, des écrivains d’acabit qui fantasment sur notre île.

«Je suis pour une poésie d’homme qui brille aux flancs des cieux, forte comme une citadelle, souveraine comme tout peuple, costaud comme la vie, née du vécu et du sentir… faite de tension et de tendresse. Je suis pour une poésie gesticulant dans la réalité, qui vise les meilleurs lendemains. Je suis pour une parole-libération libératrice d’hommes. Parole humaine tendue aux carrefours de l’UNIVERSEL». Qu’est-ce qui vous a inspiré Ombres du Quercy?

Ce long poème date de 1981. Et je l’ai revu un peu dernièrement. Ce sont les aberrations (dirigeants et dictateurs) de l’époque qui me l’ont inspiré. Ce qui se passait en Haïti, en Afrique et surtout en Amérique latine.

Vous avez publié une étude sur la «Poésie Féminine Haïtienne». Étude relativement assez  courte vu que la littérature, comme dans beaucoup d’autres domaines en Haïti, est dominée par les hommes. Pensez-vous que nos écrivains ont volontairement tenu les femmes à l’écart dans le monde de la littérature?

Ce sont plutôt leurs hommes, à ce que je sache, qui les tiennent à l’écart de ces poètes qui tournent trop souvent autour de leurs maisons. Il ne faut pas oublier que dans notre culture les hommes ne s’attroupent bien souvent avec des femmes que pour les courtiser. Que faire donc ces maris, des fois des illettrés fonctionnels, contre ces hommes aux papiers peints de mots doux et d’amour fou (Aragon, Le fou d’Elsa)?

Propos recueilli par Jeanie Bogart.

Viré monté