Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Chant d'amour dans le broulliard

à ma femme

«Que je vais vous aimer, vous un instant pressées,
Belles petites mains qui fermerez nos yeux!»
(Verlaine)

Saint-John Kauss

Island Woman
Island Woman par Ralph Allen. Carrie Art Collection
ce que je n’ai pas dit de toi est
que tu es belle

comme un enfant qui mime ses premiers pas
             une caresse et le cri du plaisir
            le roucoulement de l’amoureux et la joie de désir

ce que je n’ai pas dit de toi et que tu l’es
entre mes doigts comme l’haleine
tu te noies dans le silence qui dit le bonheur
comme pour parler des vagues parfums d’éponges
sans réponse

c’est d’ailleurs le seul désir des mots de ma main
            caresser ton corps
             m’enivrer de ta sueur
             qui voile les cicatrices inachevées des grands saules

c’est pourtant mon grand défaut
         de t’aimer entre pauvres mots
         qui décrivent les supercheries de la nuit
         à chaque éclat de rire
         à chaque claquement de doigt

ce que je n’ai pas dit de toi est
que tu es fière

comme une étoile qui mime la voix du soleil
              un baiser inattendu et l’écho du bonheur
              le bégaiement de l’amoureuse et la peur d’être aimé

ce que j’ai toujours dit de toi et que tu l’es
de ton sacré visage d’ange qui joue à l’orpheline
je regarde si tes yeux sont presque- parfaits
s’ils portent le nom d’aimer et de mes caravanes
s’ils sont des yeux nouveaux aux syllabes éphémères

tu souris comme une orange amère
là où il est interdit d’exprimer ce que l’on croit
tu resplendis et je maudis la nuit
qui voile vainement le soleil et d’autres sentiments

j’ai peur de tes secrets et de tes frondaisons
de tes surprises de tes rondeurs et de tes hallucinations
j’ai peur de ce moment quand le cœur s’arrête
de ce grand jour de l’orchidée et des lamentations

car il m’est donné de ne pas oublier ton visage
d’être épris de ta douceur et vivre de ton amour
d’être présent à chaque touche de ton ombre
car il ne m’est donné que de t’aimer sans fin
dans l’anonymat et dans un désordre plus-que-parfait

que pour toi mon rêve qui dépérit sans cesse
renaisse aux soudures des vertèbres
que nos bras tendus à l’infini d’une nuit
multiplient les gestes à tout vent et à tout moment

je suis cette porte ouverte à l’usage de tes maux
où décrire ta bouche et dire tes lèvres
où souligner tes pas et vaincre tes craintes
est un impitoyable soulagement à mon amour
à notre amour

tu es cette aire abandonnée où je puis croire encore
que l’amour ne trouve qu’insomnie à mes pieds
où mes rumeurs ressemblent à celles de l’adolescence
dont j’ai gardé souvenance d’étoiles dépouillées
de marins d’eau douce de poètes ivres et bohèmes

ce que j’ai déjà dit de toi est
que tu es belle
exquise et tu l’es

comme une aquarelle devinée qui mime les lignes de la main
              un regard doux et l’accent du plaisir
              l’inacceptable position et la femme sans issue

à chaque frisson que partagent les heures et la durée
de chaque rayure défunte mais légale et de nulle part
ô humanité souveraine ! ô baisers que porte le silence

j’ordonne le guet de ton amour qui ne soit que reflets
qui fait la guerre aux papillons et dérobe leurs secrets
sais-tu que je repose en toi sans le moindre souci
à te parler comme dans une plainte votive
je t’ordonne de procéder à la grande marche
et à l’intronisation de mes songes effacés de mes halliers de regrets

je me nourrissais naguère de forêts de souvenirs
de grandes fleurs d’acacias et d’étranges tendresses
c’est ce que j’ai gardé pour toi comme une étoffe vaine
tel un faux pas effacé qui gémit et ne serait que l’ombre
de mon amour pour toi

ce que j’ai déjà dit de toi ( et je le répète) est
que tu es fière

comme un enfant qui pleure son père
            une cicatrice et le cri de la douleur
            l’émergence de l’orgasme et le premier soupir

ce que j’ai toujours dit de toi et que tu l’es
douce ta main comme un brasier
je regarde si le tout n’est pas le bout du monde
si tes hanches ne recommencent pas la vie
si quelque part en toi n’est pas le paradis sur terre
si tes yeux de brocart n’ont pas changé avec le froid

tu t’abandonnes aux matins d’outre-tombe
et je me donne à t’offrir mon passé et des roses géantes
un domaine de vacances où règnent les vielles amours et les anciennes querelles
je te parle d’un pays où les femmes ressemblent à de simples doigts
je te parle de l’utilité des saules de la terre et de l’eau
je te parle de ce besoin d’amour que tout homme a voulu
je te parle de ce vilain cri dans l’échauffourée de nos corps

un coup d’amour un coup de rire comme l’éclair qui passe
tu me tritures et j’agonise avec l’espoir d’être toujours aimé
tu me digères et je chevauche sans cesse
mon pur-sang vers l’abîme

par Saint-John Kauss

Viré monté