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Jean-François Brierre ou
le grand barde de l'indigénisme

par Saint-John Kauss

Avril 2007

Jean-François Brierre, né à Jérémie (Haïti) le 23 septembre 1909. "Fils de Fernand Brierre et d'Henriette Desrouillère (...). Jean-F. Brierre descend d'un colon français, François Brierre, qui avait acheté aux enchères, à Saint-Domingue, une négresse dahoméenne, prénommée Rosette, soeur cadette de Marie-Cessette Dumas, qui donna le jour au général Alexandre Dumas". En 1928, il devint à dix-neuf ans directeur de l'École normale de Chatard pour instituteurs ruraux.  J.-F. Brierre fut nommé par la suite, à moins de 21 ans, Secrétaire de Légation à Paris où il suivit des cours en sciences politiques. En 1931, il débuta des études de Droit qu'il termina en 1935. En 1932, il fonda le journal La Bataille, où ses critiques virulentes contre le régime de Sténio Vincent et l'occupation yankee, lui valurent deux années de détention ferme au Pénitencier national. Jean-F. Brierre demeure, avec Etzer Vilaire, le poète le plus célèbre de Jérémie. On lui doit plus de dix-sept recueils de poésie parmi lesquels on peut citer: Chansons secrètes (1933), Black Soul (1947), La nuit (1955), La Source (1956), Découvertes (1966), Un noël pour Gorée (1980), Sculpture de proue (1983).  Jean-F. Brierre a également essayé le roman: Province (1954); et un essai sur l'Union Soviétique ancienne: Un autre Monde (1973).  Le 5 novembre 1984, il obtint le Grand Prix "Lotus" des écrivains afro-asiatiques, qui couronne son oeuvre. Jean-F. Brierre fut également enseignant et diplomate jusqu'à son exil en 1962, après neuf mois de prison avilissante sous le régime de Duvalier, père. Il a vécu la plus grande partie de son exil au Sénégal (Afrique), avec l'aide du président-poète Léopold S. Senghor, où il occupa différentes hautes fonctions de 1964 à 1986 jusqu'au lendemain de la chute de Duvalier, fils, c'est-à-dire jusqu'à son retour en Haïti. Jean-F. Brierre est décédé à Port-au-Prince dans la nuit du 24 au 25 décembre 1992, à l'âge de 83 ans.

Si Jean-F. Brierre, avec Black Soul (1947), parvenait d'un tour de force à établir une sorte de lien et de communion avec la grande poésie, quelque chose qui rappelle en tous lieux la manière homérienne, mais avec une passion toute vigoureuse de vivre la vie des poètes, l'une des préoccupations majeures du livre était le monde des esclavagistes et cannibales. Ce long poème traduit tout en long ce que Henry Miller semble à son tour "cracher sur la race blanche des conquérants de ce monde, Anglais dégénéré, Allemand borné, Français content de soi et de son confort".  En bon pirate de l'air imagé, poète de réflexion et d'action, l'oeuvre de Brierre, foncièrement d'inspiraton indigéniste ou nègre, tourne parfois à l'enchantement et annonce alors la naissance d'une poésie de l'imagination, voire de l'illusion.

Le plus beau livre de Jean-F.Brierre demeure, sans aucun doute, La Nuit (1955). Fait d'une flotte de mots vigoureux et originels, ce poème marque à jamais d'un sceau impitoyable la poésie haïtienne.C'est un véritable testament de l'apparition de l'Homme sur terre, de sa continuité, du quotidien biblique et de la démesure accusée des grands prophètes du Judaïsme. Si l'influence de la Sainte Bible est certaine à travers ce poème, il ne faut point, par ailleurs, oublier la part du Victor Hugo de La Légende des siècles (1859). Le poème à elle, sa femme, La Nuit, est d'une extrême exaltation et libère, en matière de poésie, la réflexion philosophique du poids marqué par la raison.

Avec Découvertes (1966), Jean Brierre reprend de force et de talent la somme poétique inaugurée dans La Nuit (1955).  Mais, il s'y oppose au parti-pris de la poésie de séduction, et renvoie à l'histoire. Histoire de l'Homme et de ses grandes découvertes.  De l'homme noir et de l'esclavage au Nouveau-Monde.

Astronaute de la littérature haïtienne, poète de plein vent et au grand souffle, nouveau talent iconoclaste des années cinquante, Brierre nous a laissé une oeuvre grandiose, l'une des plus belles de notre histoire littéraire. Ses textes nous ont permis de capter la vie et d'entrevoir les ressources d'une expression tout à fait naturelle, celle de l'Afrique considérée en bonne et due forme comme l'Alma mater. Constatation qui se confirme d'ailleurs par le titre de ses recueils et les sujets traités. Un Noël pour Gorée (1980) laisse entrevoir par moments le grand barde des années quarante et, d'autres fois, un poète moderne, ouvert à notre époque des grandes inventions; un livre plein de décontraction, avec l'envie d'aller plus loin et de chanter plus haut. Les poèmes "Nouveau Black Soul", "Me revoici Harlem" et "Notre Dame d'Afrique" y sont positionnés pour le maximum d'effets possible, et leur sensibilité grimpe progressivement pour que la passion des lecteurs "franchisse un degré d'intensité qui ira jusqu'à l'apothéose finale".  Avec Sculptures de proue (1983), Jean-F. Brierre réitère sa volonté d'être l'homme qui ennoblit, béatifie et immortalise; une image déjà rencontrée dans Nous garderons le dieu (1945), dans La Source (1956) et dans Aux Champs pour Occide (1960).

Victor Serge, dans Littérature et Révolution, insiste sur la condition de l'écrivain et sur "le rôle humiliant" (dénoncé par Georges Sorel) des Encyclopédistes, de Diderot, de Voltaire, au cours du XVIIIe siècle. "C'est pour d'autres raisons", écrit-il, sans doute, "qu'ils sont entrés dans l'histoire. L'ennemi de l'Église, l'auteur de Candide, le défenseur du chevalier de La Barre survit, en Voltaire, à l'adulateur de Catherine II. Mais Voltaire fut l'un et l'autre. Il fallut bien qu'il vécut."

Bon nombre de poètes haïtiens sont l'expression même de cette affirmation, et Jean-F. Brierre n'y échappe guère. La plupart de ses recueils ou de ses poèmes sont incidemment dédiés à Jacques Roumain ou Jean Price-Mars, ou Léopold Sédar Senghor, ou François Mitterand, etc. Mais la poésie de Jean-F. Brierre s'ouvre pour survivre. Elle reflète en grande partie la vie de l'homme noir et, une fois déclarée, la magie du verbe fait son entrée avec ce défoulement d'images accompagné de la forme et de l'esprit, de l'engouement et du don de soi qui fait du poète et son oeuvre l'une des plus grandes voix de l'ère contemporaine haïtienne.

À lire de Jean-François Brierre:

BRIERRE, Jean-François, Le Drapeau de Demain, poème dramatique, Imprimerie Valcin, Port-au-Prince, 1931.

  • Chansons secrètes, poèmes, Imprimerie Haïtienne, Port-au-Prince, 1933.
  • Le petit Soldat, conférence, Imprimerie Haïtienne, Port-au-Prince, 1934.
  • Nous garderons le Dieu, poèmes, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1945.
  • Gerbe pour deux Amis, poèmes (en collaboration avec Morisseau-Leroy et Roussan Camille), Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1945.
  • Vers le même ciel, sketch en vers, in Haïti-Journal, Port-au-Prince, Noël 1946.
  • Black soul, poèmes, Éditorial Lex, La Havane, 1947.
  • Belle, sketch, Panorama, Port-au-Prince, 1948.
  • Recueil de poèmes, in Haïti-Journal, Port-au-Prince, 1948.
  • Les aïeules, sketch historique, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1950.
  • Dessalines nous parle, Deschamps, Port-au-Prince, 1953.
  • Les Horizons sans ciel: Province, roman, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1954.  Nendeln, Liechtenstein, 1970.
  • Pétion et Bolivar, L'Adieu à la Marseillaise, poèmes dramatiques (français et espagnol), Éditorial Troquel, Buenos Aires, 1955.
  • La Nuit, poèmes, Imprimerie Held, Lausanne, 1955.
  • La source, poèmes, Imprimerie Held, Lausanne, 1956.
  • Images d'or, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Port-au-Prince, 1959.
  • Cantique à Trois voix pour une poupée d'ébène, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1960.
  • Aux Champs pour Occide, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1960.
  • Or, uranium, cuivre, radium, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1961.
  • Découvertes, poèmes, Présence Africaine, Paris, 1966.
  • Gorée, sketch historique, [s.n.é.], Paris, 1966.
  • Un autre monde, essai sur l'Union soviétique, L'Observateur Africain, Dakar, 1973.
  • Ten Works, essai, Kraus Reprint, Liechtenstein, 1973.
  • Images d'argile et d'or, poèmes, Nouvelles Éditions Africaines, Dakar, 1977.
  • Un Noël pour Gorée, poèmes, Silex, Paris, 1980.
  • Sculpture de proue, poèmes, Silex, Paris, 1983.

Sur le web:

Viré monté