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REGNOR C. BERNARD (1915-1981),
le Poète-Professeur de Littérature

Saint-John Kauss

Regnor C. BERNARD, né à Jérémie (Haïti) le 18 octobre 1915, mort à Montréal (Québec) le 2 septembre 1981. En 1938, à l’âge de vingt-trois ans, il entreprit des études à l’École Normale d’Instituteurs, puis plus tard, à la Faculté de Droit. Enseignant à l’école des Frères e l’Instruction Chrétienne de sa ville natale. Sa carrière de Professeur de Lycée occupera tout le reste de sa vie. Haut fonctionnaire au Département du Travail, sous la présidence de Paul Magloire. Président du Syndicat des Professeurs. Emprisonné à deux reprises, suite aux représailles du régime de François Duvalier. Exilé en 1962. Professeur en République Démocratique du Congo. Quatre ans dans la ville de Kinshasa, la capitale. En automne 1966, il s’établit au Québec. Regnor Bernard a aussi milité dans le Journalisme. Son œuvre littéraire comprend deux recueils de poésie: Le Souvenir demeure (1940) et Nègre !!! (1945), ainsi qu’un court essai intitulé Sur les routes qui montent (1954). Il ne publiera plus rien jusqu'à sa mort en 1981. Beaucoup de poèmes épars, quelques pages de prose, ainsi qu’un lourd manuscrit de poésie, revu et corrigé, avant sa mort, intitulé « Silence au dur visage ». Le Professeur Joseph Ferdinand, dans une Conférence datée du 10 novembre 1991, «Regnor C. Bernard, l’autre versant de l’œuvre», et dans un livre intitulé Regnor C. Bernard, au naturel (CIDIHCA, Montréal, 2000), a su ressusciter l’écrivain, dresser l’inventaire de ses textes inédits et leur signification dans le contexte de l’œuvre en général.

                                          

Vertige

La mer geignait comme une enfant malade qu’on voudrait consoler
Tu n’as dit qu’un mot, un seul mot « Camarade »
et je t’ai soudain découverte et aimée
comme une terre en gésine

Tu n’es plus toi.  Et je ne suis plus ce que je suis:
peut-être un fou à chapeau de soleil qui joue à colin-maillard avec lui=même
une parturiente qui s’amuse à la marelle sur la mosaïque des nuages,
un bel épi gonflé dans les granges de l’aurore…
Et je regarde mon pied qui fleurit comme une cathédrale
multicolore dans la promesse d’un monde qui s’éveille:
et la nuit est une madone aux cuisses écartées et seins de lampadaires
et toutes les fontaines ont des chansons de sources babillardes
pour ma seule soif et la fatigue de mes yeux.
Et le vent est une tzigane et tapageuse et folle
qui gambade et danse et rit et caracole
dans la savane immense du printemps.
Et parce que le ciel a bivouaqué au puits constellé de tes yeux,
tu es soudain un vieux médecin –  Père Noël à barbe de clarté –
qui déambule dans les ruelles de la mer …

Tu as dit, tu m’as dit « Camarade », et ta main
dans ma main est une gerbe de roses rouges.

                                                 (Silence au dur visage)

Viré monté