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A Melon, village rustique et joyeux,
la bibliothèque du souvenir comme un défi

Jean Armoce Dugé

Campagne haïtienne, 1983. Photo © Franco & Fabio Biaggi.

Je suis de ce village (Melon) où en juillet 1986, j’ai été la deuxième personne de toute l’histoire du village à avoir son bac. Les livres, ce sont toujours quelques uns de ces rudiments scolaires inscrits au bordereau que les potaches possèdent.  Dans toute la commune (Maniche), les écoles n’ont pas de bibliothèque. Sauf, chez les sœurs de St François d’Assise, où sans les voir exposer quelque part, ces bonnes sœurs apportaient des fois dans les temps libres, surtout pour les élèves au CEP, une boite de petits bouquins pour le temps que durait cette amusante récréation que certains paresseux regardaient comme une sorte de punition. Du bon vieux temps.

J’ai laissé cet établissement appelé Ste Rose de Lima - nom de la patrone de la commune - depuis 1978. En tout cas, c’était là que j’avais découveret les livres. La lecture était obligatoire. Sans méthodologie. Rien que les livres qu’on nous exigeait d’avoir en main. Pas de compte rendu à faire. Un bon répit pour instituteur et institutrice ainsi que les joueurs de morpion. Les images et la curiosité m’aidant, le goût pour la lecture s’empara de moi pour ne point me lâcher.

Aujourd’hui, la commune de Maniche compte près de 20 écoles, dont 5 publiques. Certains établissements arrivent jusqu’au bac. D’autres en 9e année fondamentale (4e secondaire). D’autres encore jusqu’au CEP. Une bonne partie – surtout les écoles publiques - avec des classes de plus de 80 élèves, où des enfants de 12 ans sont assis à coté de jeunes adultes de 20 ans.

Loisir? Aucun. Privé d’électricité, ce sont des enfants, des jeunes qui vivent dans leur village respectif, avec la cour de l’école, la classe, la cour de leur maison, les leçons à mémoriser, l’eau à aller puiser dans la fontaine, les animaux à paître, quelques blagues et commérages à écouter ou à donner, puis, le lit pour le sommeil.

Depuis 6 à 7 ans, je réfléchissais sur la façon de procurer des livres de lecture surtout à mes élèves au lycée de Maniche, le centre-ville, le seul endroit électrifié, à qui j’enseignais le français. En effet, chaque année, mes élèves en classe de Seconde me troublaient la conscience, on dirait que j’en étais le seul coupable, en me racontant qu’ils n’ont jamais lu un bouquin toute leur vie. La seule raison, ils n’en trouvent pas.

Comme cette année, ma famille et moi, nous avons décidé d’un commun accord de laisser la ville des Cayes (la plus importante ville du département du Sud) pour nous installer à Melon, j’ai résolu de partager avec ces «sans-livres» le peu que j’ai. Ce sont des jeunes, à dire vrai, qui n’attendaient que ça: j’ai fait don, pour eux, de ma bibliothèque personnelle, et d’un fonds de livres qu’un couple français nous avait laissé, à une Fondation paysanne du village portant le nom de Fondation écho pour la promotion du développement en milieu rural.

Ce n’est pas tout. Il y a la gestion. Il y a tout le reste. Comme ma jeune femme et moi sommes retournés pour aider aussi, elle jardinière de formation, la voilà accepter d’être bénévolement bibiothécaire, espérant quelque institution viendra en aide en lui offrant une séance de formation gratuite.

Plusieurs centaines d’enfants scolarisés dans mon village vont bénéficier du service de cette modeste bibliothèque. Et puis, il faut ajouter ceux des villages avoisinants, du centre-ville de la commune, sans compter les vrais curieux: professeurs, universitaires ou professionnels de passage.

Comme activité de démarrage, à partir du samedi 10 novembre et tous les samedis, il y aura animation de lecture pour enfants et adolescents. Encore les animateurs, en attendant d’autres et sans savoir quand: ma femme et moi.

Mais quelle agréable sensation d’être avec les siens après 22 ans de vie professionnelle et de formation universitaire pour leur offrir ce qu’on a!  De tout cœur. Dans la joie.

Au milieu d’une foule de villageois illétrés, curieux de voir cette nouveauté dans le quartier et de jeunes enthousiasmés qui participaient aux animations de M. Picard, professeur de philosophie à l’Ecole normale supérieure, de Kella et Cajou (leurs noms d’artiste) deux des comédiens les plus conus du milieu intellectuel du pays et qui faisaient partie de la troupe d’Hervé Denis et en compagnie d’autres amis tel, l’assistant coordonateur de l’ACDI en Haïti, M. François Sildor, originaire d’un autre village de la commune (fond-des-Frères), ses deux frères, l’agr. Emanuel Sildor et l’ing. Pierre Sildor, le statiticien-diseur, Oswald Florestal, Me. Paula Michaud qui travaille pour la Coopération française dans le Sud, le Directeur-adjoint de la direction départementale de l’éducation, le profeseur Millord Dorval: le 1er septembre dernier, la Bibliothèque du souvenir fut inaugurée. Elle porte son nom en hommage à Jacques Roumain, pour mémoriser la commémoration de cette année de son centenaire de naissance. La salle même de la bibliothèque est appelée Salle Jacques Roumain.

Mais tout le reste est à faire. De vrais placards pour placer des livres. D’autres livres pour les jeunes et les enfants. Des activités à planifier. Donc, de l’aide d’institutions, d’amis de livres et de lecture, de confrères d’écrivains et d’éditeurs qui pourront faire don d’ouvrages ou sous d’autres formes.

Je rêve d’une chose dans tout cela: voir bientôt de jeunes écrivains submerger de mon village, trouver des lecteurs avec qui discuter, créer une vie culturelle d’envergure qui puisse drainer visiteurs du monde entier. Mais aussi, dès cet été, inviter des amis, des aventuriers aimant la vie rustique à passer des soirées au clair de lune, se détremper en pleine nature dans des rivières aux sensations de rêve, monter à cheval, faire des excursions en montagne, déguster des fruits à même l’arbre, découvrir des paysans viveurs, généreux, sympathiques et chaleureux, partager leurs repas. Voilà tout ce que Melon vous réserve, ce village paisible, rempli de jeunes où le besoin de vivre, d’aimer et d’être aimé se lit sur leur visage de signe d’espoir dans un pays trop criant de misère, trop décrié à l’extérieur, trop assoiffé de fraternité et d’amour.

De Port-au-Prince aux Cayes: 30 minutes par avion ou 3 heures de temps en voiture. Des Cayes à Melon, 40 minutes de voiture, la route étant en terre battue, cahoteuse.

Jean Armoce Dugé
76, Melon (Maniche)
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Viré monté