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Remise du prix AFD
à Raphaël Confiant, le 21 avril 2010

 

Thierry Caille

 

 

 

 

 

Source de la photo: fxgpariscaraibe.com

Prix AFD

Malgré l'hostilité des dieux, enfin ceux de l'aviation civile et aussi ceux des chemins de fer, en grève, cette remise du prix de l'Agence France de Développement, a eu lieu en présence de l'écrivain Raphaël Confiant, pour son livre «L'hôtel du bon plaisir», dans les locaux de l'AFD, dans le XIIème arrondissement de Paris, le 21 avril dernier à 17h30.

L'AFD, qui fait dans le développement, dépend du ministère des Affaires Étrangères et de celui des finances et a commencé par développer des locaux plutôt somptueux. Peu importe. L'auditoire composé pour beaucoup d'étudiants, en sciences politiques et autres et de quelques autres, en cravate, qui n'étaient pas des cordes de chanvre. Enfin. Pas un martiniquais, sauf un court instant, une tête connue, Jean Bernabé. Vers 17h45, sur l'estrade, Raphaël Confiant, s'est vu remettre son prix littéraire et a parlé, doucement, de la genèse de ce livre avec quelques anecdotes pour amuser l'auditoire. Comme celle-ci, qu'il fut impossible aux américains de traduire Chamoiseau, son ami, qui écrivait dans un étrange français, comme lui. À sa gauche, un homme chemise assez ouverte, pour dévoiler une virile poitrine velue, s'est lancé dans l'hommage. Parlant même de cercles. Sauf que cet homme n'avait probablement jamais lu «Eau de Café» de Raphaël Confiant, écrit en différents cercles. Puis ce furent le débat avec l'auditoire, avec des questions, d'une simplicité primaire, auxquelles j'aurais moi-même pu répondre. Confiant fut simple et courtois, pédagogue et bref. Il lui a été demandé aussi de lire un passage de son livre. Il s'est exécuté et a lu entre autre une tirade en créole, savoureuse, qui figurait dans son texte, précisant bien la traduction en français de France, par la suite.

Tout cela était convenu. Remise du prix, bla-bla-bla, vente et dédicace, agapes littéraires, un buffet, des petits fours et du champagne. Point de rhum. Moi, je n'ai pas ouvert le bec. Que dire d'ailleurs? Raphaël me donna rendez-vous le lendemain à son hôtel. Nous sommes partis à Orly. Il devait enregistrer. Nous avons eu deux heures de discussion, environ.

Tel que je l'attendais ou le pressentais, la discussion fut très calme. Raphaël Confiant, était affable, aimable, courtois, mesuré, lointain, très lointain. Nous parlâmes un peu de politique avec indifférence. Puis, il devait embarqué, me quitter. Cette impassibilité, je savais que je l'aurais, mais j'eusse aimé une parenthèse.

Comme je lui proposais de faire une brève sur cette remise de prix et comme il se doutait que je me doutais, il me lança:

Raphaël Confiant est mort le 10 janvier 2010 …

Qualix artifex periit! aurait dit Suetone et moi-même aussi. Je pense à ce Raphaël Confiant, que nous connaissions, que nous aimions, dont nous avions peur, de ces colères, de ses textes, écrits la plume trempée dans le cyanure, l'impitoyable pourfendeur des injustices du monde, l'impitoyable avocat de toutes les causes perdues, l'exécuteur, ce pèlerin infatigable, qui, par monts et par vaux, avait porté haut la défense autant de la Martinique, de sa langue,  que celle, plus vaste, des opprimés de la terre. Et j'ai eu une indéfinissable tristesse, celle de la pensée pour  un camarade tombé au champ d'honneur. Car il s'agissait bien d'honneur, bafoué, honteusement, d'honneur humilié dans la véhémence des propos de quelques hargneux, décervelés, traîtres, dominés par la revanche et la bêtise, sans le moindre respect que méritait cet homme.

Ce qui suit est tout à fait discordant, sauf le texte. Il s'agit d'une complainte  traditionnelle des forces armées allemandes, composée en  1809 à Tübingen, ville universitaire de  Wurtemberg par Ludwig Uhland. Friedrich Silcher mit en musique ce poème en 1825, probablement aussi à Tübingen. En tant que chant, il est plus connu sous le titre Ich hatt' einen Kameraden (J'avais un camarade). Cette chanson allemande fut traduite en toutes les langues.

En voici une traduction partielle en français

Ich hatt' einen Kameraden,
Einen bessern findst du nit.
Die Trommel schlug zum Streite,
Er ging an meiner Seite
In gleichem Schritt und Tritt.
J'avais un camarade ...

Mais une balle siffle.
Qui de nous sera frappé ?
Le voilà qui tombe à terre,
Il est là dans la poussière;
Mon cœur est déchiré.
Ma main, il veut me prendre
Mais je charge mon fusil;
Adieu donc, adieu mon frère
Dans le ciel et sur la terre
         Soyons toujours unis

Et voici la version la plus sobre que j'ai pu trouver, en allemand:

Ich hatt' einen Kamaraden

La musique y est grave. Il ne me reste plus que deux choses à ajouter: Que Raphaël Confiant continue d'écrire les romans d'une Martinique ancienne ou rêvée, mais transfigurée par sa langue.

Mais pour l'heure ….

Honneur et respect, … à Raphaël Confiant !

 

Thierry Caille

 Viré monté