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Turquie

Démystifier Mustafa Kémal...

Raphaël Confiant

Il n’est bruit ces jours-ci, dans le monde occidental, que de la crainte d’un retour de la Turquie dans son giron naturel qui n’est autre que le Moyen-Orient et le monde musulman en général. L’épisode sanglant de la flottille humanitaire à destination de Gaza, commanditée par une organisation humanitaire turque, au cours de laquelle douze militants turcs ont péri suite à une agression sauvage de la marine israélienne (dans les eaux internationales), a ravivé cette crainte. Le premier ministre truc, Recip Erdogan, s’est posé en défenseur du peuple palestinien et est devenu le héros de la «rue arabe». Il a gelé les relations commerciales et les accords militaires avec l’État hébreu tout en se rapprochant de la Syrie et de l’Iran. Panique à bord en Europe et aux États-Unis!

Pour comprendre, il faut remonter à l’Empire ottoman qui s’est étendu de l’Algérie à l’ouest jusqu’en Albanie au Nord et à la Bulgarie ainsi qu’une partie du Caucase à l’Est. Gigantesque empire où cohabitaient Turcs, Egyptiens, Libanais, Algériens, Tunisiens, Grecs, Albanais, Bosniaques, Bulgares, Arméniens, Kurdes et autres. Empire muti-ethnique composé majoritairement de…chrétiens! Certes, sa direction était musulmane, mais les sultans étaient pour la plupart issus de l’union d’un musulman et d’une femme chrétienne de son harem. L’Empire ottoman était d’ailleurs si peu «islamiste» (pour employer une expression moderne) qu’en six siècles d’existence, aucun de ses sultans ne s’est rendu en pèlerinage à la Mecque (hadj), ce qui est pourtant une obligation pour tout Musulman qui se respecte!  

L’historiographie occidentale a toujours présenté l’Empire ottoman comme une sorte de monstre hybride, arriéré et dangereux et lorsque ce dernier s’est allié à l’Allemagne lors de la guerre 14-18, l’Occident s’est empressé de le dépecer, permettant ainsi l’émergence d’une bonne vingtaine d’états-nation, états arabes notamment. Un mouvement nationaliste, les «Jeunes Turcs», s’est alors développé pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être, ce qui a abouti à la proclamation de la république le 23 octobre 1923 par Mustafa Kémal et l’abolition du sultanat.

UN PRO-OCCIDENTAL ACHARNE

Mustafa Kémal, premier président d’une Turquie délestée de son empire, entreprend une politique virulemment anti-orientale et aligne son pays sur le modèle républicain français, en grand admirateur qu’il est de la Révolution de 1789:

  • il interdit le port du fez et promotionne le chapeau à l’européenne,
     
  • il décide de supprimer l’alphabet arabe avec lequel la langue turque s’était écrite pendant des siècles au profit de l’alphabet latin,
     
  • il remplace le calendrier musulman par le calendrier grégorien,
     
  • il adopte le code civil suisse en lieu et place du code civil musulman,
     
  • il interdit la polygamie etc…

On comprend dès lors que l’historiographie occidentale le porte aux nues. Mais à quel prix? Au prix d’avoir coupé la Turquie de son environnement naturel d’une part à savoir le Moyen-Orient et de son histoire de l’autre. Sans compter que cette occidentalisation à marche forcée, qu’ont poursuivie ses successeurs tout au long du XXe siècle, n’a pas réussi à transformer la Turquie en pays développé, ce qui était l’objectif de celui que les Turcs, dont il était (et est toujours) l’idole, on surnommé Ataturk ou «Père des Turcs». Comme n’importe quel pays sous-développé, elle exporte des milliers de travailleurs en Europe, en particulier en Allemagne et en France ! Et lorsque la guerre froide s’est développée entre l’Occident et le Bloc soviétique, la Turquie est devenue une sorte de commissariat de police de l’OTAN aux portes du monde slave au Nord et du monde musulman au sud. Mais il y a plus grave…

MINORITES

Copié-collé de la république française, la Turquie d’Ata Turk a déployé la même férocité envers ses minorités nationales que la France. On sait que cette dernière a écrabouillé, à compter de 1789, les Occitans, les Bretons, les Basques, les Catalans etc…La Turquie en fera de même avec ses Grecs, ses Arméniens et ses Kurdes. Fera pire pour dire la vérité! Les Grecs qui vivaient depuis des siècles dans le pays sont expulsés sans ménagement. En 1930, une énième révolte kurde est écrasée dans le sang par 70.000 soldats et ce qui reste de la population kurde est déporté en Anatolie orientale. Et tout le monde a entendu parler du génocide arménien: le tout premier du XXe siècle. 1,5 million d’Arméniens massacrés! Certains ont beau jeu de dire que ce génocide a commencé avant l’arrivée au pouvoir de Mustafa Kémal comme si l’Empire ottoman en était responsable. En fait, les pogroms arméniens ont commencé à partir du moment où l’Empire ottoman est entré en déliquescence suite à sa défaite face aux Alliés lors de la première guerre mondiale. Pendant 6 siècles, cet empire n’a ni expulsé ni écrasé ni massacré collectivement ses Grecs, ses Assyriens, ses Albanais, ses Bulgares, ses Egyptiens, ses Algériens, ses Arméniens etc…Et d’ailleurs Mustafa Kémal a toujours refusé de livrer les principaux responsables du génocide à la justice et a cherché à étouffer l’affaire au nom d’une idéologie fondée sur l’idée d’un Etat-nation turc «ethniquement homogène»!!!

L’historiographie occidentale, dans sa volonté de présenter Kémal comme l’exemple à suivre pour les pays non-européens a toujours soigneusement passé sous silence et le génocide culturel (l’occidentalisation forcée du pays) et les déportations et autres génocides physiques pratiqués à l’encontre des minorités, préférant insister sur les côtés positifs du kémalisme tels que l’instauration de la laïcité ou le droit de vote accordé aux femmes etc… 

RETOUR DU REFOULE

Si le portrait de Kémal est partout en Turquie (sur les billets de banques, dans les écoles et les administrations), si sa statue trône dans le moindre village du pays, si un véritable culte à sa personne s’est instauré tout au long du XXe siècle, il n’en demeure pas moins que sa volonté de déculturation et d’occidentalisation à outrance a largement échoué. Au fait, dans la liste présentée plus haut, nous avons oublié de dire qu’il avait interdit la musique orientale sur les radios, y imposant la musique occidentale! Tout pour plaire à l’Occident lequel ne lui a jamais rendu la pareille sauf pour s’en servir comme gendarme au Moyen-Orient. Jusqu’à aujourd’hui un Sarkozy, par exemple, refuse l’entrée de 70 millions de musulmans turcs dans la Communauté Européenne.

Mais là où Ataturk est le plus critiquable, c’est quand il n’a fait aucun effort pour développer une Communauté Turque ou plus exactement turcophone alors les pays turcophones sont presque aussi nombreux et aussi peuplés que les pays européens: Azerbaïdjan, Turkménistan, Turkestan, Ouzbékistan, Kirghizstan, Kazakhstan  etc. avec pour avantage sur l’Europe de disposer d’une langue commune. Certes, l’idéologie «pan-touraniste» (c’est-à-dire pan-turque) était présente sous Kémal, mais elle n’a jamais été vraiment activée. Kémal voulait faire de son pays un pays totalement européen (ce qui revient à transformer un cheval en zèbre!) et se tourner vers ses frères turcophones eut été, dans son esprit, retourner vers l’arriération culturelle et économique.

Aujourd’hui donc, on assiste à un retour du refoulé. L’islam revient en force (le parti du premier ministre Erdogan est d’ailleurs un parti islamiste dit «modéré») et le désir de réintégrer son environnement naturel gagne du terrain dans les élites jusque là totalement pro-européennes et méprisantes envers les Moyen-orientaux. La Turquie a compris que son destin était d’être un leader dans cette partie du monde et aussi l’un des grands pays du Sud aux côtés du Brésil, de la Chine ou de l’Afrique du Sud. Il est vrai que les multiples rejets de sa demande d’intégration à la Communauté Européenne ont aussi joué un grand rôle dans cette évolution.

Il reste à espérer qu’elle persévérera dans cette voie car un pays et un peuple ne sont grands que s’ils restent eux-mêmes et pas quand ils cherchent à falsifier ou à travestir leur identité. Ne prenons donc pas pour argent comptant les éloges que font (et les couronnes de lauriers que tressent) les ouvrages occidentaux du personnage Mustafa Kemal! Ce dernier doit être démythifié et c’est ce qui se passe en ce moment en Turquie. Une lame de fond qui part du petit peuple et remonte inexorablement vers les élites.

Raphaël Confiant
Août 2010

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