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Quand, lassé de tout,  Raphaël Confiant décida d'en finir, il mit ses romans dans une jarre qu'il nomma: la Jarre d'or…

 Thierry Caille

Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale
Au cimetière étrange de Lofoten.

Et grâce au maigre vent à la voix d'enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten

– Ah ! Les morts, y compris ceux de Lofoten –
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi … 

Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz,
poète lithuanien

 

 

 

La jarre d'or, Raphaël Confiant • Mercure de France
ISBN 978-2715231276 • Sept. 2010 • 18,50 €.

La jarre d'or

Le texte qui va suivre n'est pas une critique savante du dernier roman de Raphaël Confiant, la Jarre d'or. C'est l'impression personnelle que m'a laissé l'ouvrage, impression qui s'est muée en intime conviction. Mais, tout repose sur quelques hypothèses qui peuvent être vraies, être fausses. Personne ne possède la clef d'un roman et Confiant, lui-même ne la donnera pas car il n'a pas à le faire.

Il m'a semblé qu'il s'agissait d'un roman de rupture, en tout cas d'un roman à part dans son œuvre romanesque. Saisissant un fait connu qui apparaît dans d'autres ouvrages, il a voulu, derrière un roman qui se situe dans la continuité de son œuvre, exprimer son amour du livre et de l'écriture. Peut-être parce que, décidé de se représenter réellement, il a souhaité, de façon voilée, mettre en avant l'écrivain, peut-être, là encore, car il est las d'endosser les autres rôles qu'il est contraint d'assumer.

Je voudrais, en préalable, parler un peu du personnage, l'impression qu'il me laisse aujourd'hui. Avant tout, Confiant est un poète, la poésie tournoie, comme un albatros, bien souvent, bien plus qu'on ne le pense, autour de ce qu'il écrit sans qu'il se définisse comme tel. On pourrait en rester là. Puis vient toute une tralée de personnages, plus ou moins imbriqués: l'idéologue, l'homme politique, le polémiste, l'universitaire, le conteur,  l'écrivain, l'homme public et bien sûr l'homme intime. À ceci, correspondent des attitudes, des colères, des contradictions, des mensonges, des postures, des combats, des partis pris. Très sûrement, il est amoureux de la vérité et de la justice. C'est un grave défaut. Car celui qui place haut la vérité s'attire toutes les haines du monde tel un paratonnerre sur le clocher d'une église. Il faut vivre dans le semblant, pour survivre. Il le fait parfois, peut-être souvent, mais il n'en a pas défini une règle de vie, une discipline, sans doute car il ne le peut pas. Qui mesure aujourd'hui sa lassitude de transformiste? Lui seul, probablement. Car, au fil du temps, quelques déceptions, quelques désillusions ont dû poindre. Il n'en fait pas état. En outre, je n'hésite pas à dire que tous les personnages qui composent Raphaël Confiant convergent, probablement par un travail acharné, une vie de combats, de lectures et de recherches, à faire de lui «la mémoire de la Martinique, de sa culture, de son existence originale». Une vie consacrée à cette tache, à cette défaite. Mémoire, culture, existence, aujourd'hui agonisantes.

 boule

La Jarre d'or, dans la continuité de la «comédie créole» voulue par l'auteur, utilise des faits, des lieux et des personnages récurrents. L'œuvre romanesque de Raphaël Confiant se situe cependant essentiellement à la Martinique. Citons, pour les personnages, Lapin-échaudé, Grand Z'Ongles, Antilia, Bec-en-or. Pour les lieux, Grand-Anse du Lorrain doit faire allusion à son enfance, toujours présente à l'esprit mais c'est surtout le quartier des Terres-Sainville qui reste le théâtre principal de bon nombre de romans. Il figure un éden perdu et choisi volontairement par l'auteur pour son «peuple plébéien» qui reste le seul digne d'intérêt, haut en couleur, un jardin des Hespérides, sans pommes d'or, sauf l'or de la culture martiniquaise, préservée et où demeure les vestiges de l'univers magico-religieux, qui a périclité ailleurs. Pénétrer dans ce quartier, parfaitement délimité, y vivre revient à déchoir pour la société de l'En-ville mais c'est entrer dans l'univers onirique de Confiant, le seul qui a survécu à l'apocalypse. Oui car Confiant traite, avec minutie, de la Martinique qui s'achève avec la fin de l'Habitation, dans les années 1970. Tous ces romans se déroulent bien plus tôt dans le siècle. Hormis, deux incursions dans la Martinique d'aujourd'hui  «Trilogie tropicale» et «Black is black». Le premier est d'un terrible cynisme, le second est féroce et décrit l'Apocalypse selon Saint Confiant. Hélas il ne s'agit pas de romans de science-fiction mais d'une Martinique, passée au vitriol, qui est celle qu'elle est devenue, tristement, aujourd'hui. Et la justesse, l'acuité de son regard, justifie que, le pourpre au front, Raphaël Confiant ne s'intéresse qu'à cette Ys engloutie, la Martinique du temps d'antan, au goût de mangue-julie, nonchalante, bienheureuse, colorée où il trouve refuge dans le creux de sa mémoire et de sa plume et dont il a résolument voulu, par souci de témoigner d'un patrimoine enseveli sous les décombres, perpétuer le souvenir. Le personnage principal ou le narrateur a fui l'En-ville, a choisi de déchoir dans cette cour des miracles, où règne la déveine, les fiers-à-bras, les femmes qui vendent leur devant mais, parmi ce petit peuple disgracié, domine simplement une incontestable humanité et mieux une certaine folie. Ce fut le cas d'Amédée Mauville dans le Nègre et l'amiral. C'est le cas d'Augustin Valbon dans La Jarre d'or.

Il existe un autre lieu qui a son importance dans La Jarre d'or, la bibliothèque Schœlcher. Ce roman ne pouvait l'occulter. Mais là encore, dans ce noble lieu de savoir, une annexe contient des livres magiques, maudits ou interdits. De même que la jarre contient des livres magiques ou maléfiques. On perçoit tout l'attrait de Confiant pour le mystère, pour  le surnaturel, pour la malédiction. Il s'affranchit d'un réalisme populaire qu'il tiendrait d'Émile Zola pour se rapprocher d'un réalisme magique, celui de Gabriel Garcia Marquèz.

Raphaël Confiant se situe toujours à rebours du sens commun et des préoccupations naturelles. Si une Jarre d'or contient la fortune des blancs-créoles, enfouie dans des temps d'incertitude, Confiant possède la pierre philosophale pour transmuter les métaux,  mais pas le cuivre en or, non, l'or en livres et c'est l'affirmation d'une matière, d'un bien, éminemment  plus précieux, plus estimable que l'or, qu'il a en haïssance.

Je ne dirai rien sur la langue de Confiant, déjà longuement décrite, qui authentifie l'écrivain. Elle coule dans la facilité pour ce virtuose qui a fait main basse sur le français le plus ancien avant d'y ajouter tout l'apport du créole, et tant de créativité, tant de liberté qu'elle s'apparente à une improvisation, sur un thème imposé, d'un jazzman au talent inestimable, aux appogiatures inouïes. Un détail, toutefois. Dans un texte, récent, intitulé «L'absente», Confiant écrit ceci: «… Tout cet incompréhensible, m'éblouit et m'accable à la fois. J'en viens alors à me demander si l'homme n'a pas inventé le langage pour tenter de percer ce mystère. Et si chacun d'entre nous n'affectionne pas plus particulièrement tel mot ou tel assemblage de mots parce que pour lui – en dépit de l'exaspérante généralité qu'ils charrient – ils n'en sont pas venus, au déboulé du temps, à signifier davantage que pour les autres. Quels étaient cet mots-là pour toi l'Absente? Tes mots fétiches? Question rude, car, tout d'abord, tu usais à ta guise de nos deux langues, sentenciant en français et plaisantant en créole, mais aussi, quand ça te chantait, l'inverse, en opposition par conséquent à nos bienséances langagières... J'entends tes mots-fétiches. Ils résonnent en moi et m'apportent, chaque fois que je les prononce ou les entends, un peu de ta présence... Mère-langage. Mère absente et devenue langage.» Chacun sait à qui s'adressent ces propos. Les mots, quels qu'ils soient, n'ont jamais le même poids pour chacun d'entre nous. Et l'action d'un roman est soumise à cette petite musique qu'est la langue, que chacun ressent à sa manière.

«Dans mon nouveau roman, explique Confiant, j’ai détourné la mythologie en transformant la jarre bourrée de bijoux et de louis d’or en une jarre de livres. Des livres que mon héros, un apprenti-écrivain, devra découvrir pour pouvoir enfin percer le mystère de l’écriture qui le taraude depuis si longtemps. La recherche de la jarre est bien sûr une métaphore, celle de l’écrivain qui fouille en son for intérieur pour y puiser l’inspiration.» Telle est l'appréciation de Raphaël Confiant sur La Jarre d'or.  C'est la sienne!

Ce roman est, à mon sens, bien plus. C'est l'éloge du livre, l'éloge de l'écriture, presque un essai ou, plutôt, une profession de foi, l'aveu d'un amour de l'écriture. Serrons le texte au plus près pour s'en convaincre.

«Les mots ont ce pouvoir d'enchanter l'âme tout autant que les notes, tentait-il de convaincre Lisette alors qu'elle le surprenait à griffonner quelque poème sur la nappe en papier qui couvrait leur table ...» (p 84)

«Ceux qui parient sur l'écriture, ne font, sans le savoir, que philosopher sur les traces de Pascal. Soit, en effet, celle-ci vous sauve du désastre, soit elle ne résout ni ne dénoue aucun des nœuds de votre vie. Les mots allongés sur le papier sont plus dangereux que leur alter ego qui tigent de votre bouche. C'est qu'une parole peut être innocente alors qu'un signe écrit l'est toujours en connaissance de cause. C'est pourquoi les gens de jadis croyaient raide-et-dur qu'il y avaient de la maudition dans l'écriture ...» (p 117)

«Sauf que - lui  Augustin, il en prenait souvent conscience – les livres, tout comme les humains, avaient une vie, menaient une existence particulière, changeaient de domicile, avaient le pouvoir d'enchanter une journée ou au contraire de l'assombrir ...» (p 142)

«Les livres sont des personnes vivantes! murmura-t-il, abasourdi par cette découverte» (p143)

«Il comprit à cet instant-là que les créatures de papier, étaient aussi des êtres vivants. Certes pas de la même façon, que celles qui sont faites de chair et d'os, mais qu'en elles, il y avait une force, une énergie qui avaient le pouvoir d'ébranler l'être le plus obtus.» (p 144)

«L'écriture est parfois un révélateur de l'Invisible ...» (p 156)

«Écrire simple est beaucoup plus complexe qu'on ne l'imagine.» (p 164)

«Il y a ainsi des gens qui ne meurent jamais. Les grands savants, les papes, les rédacteurs de livre de grande renommée, les prophètes bien sûr. Chaque fois que nous prononçons leur nom, nous leur accordons, sans le savoir, une grappe d'années de vie supplémentaire.» (p 175)

«Mesurait-il, ce cher monsieur, tout  bibliothécaire en chef qu'il fût la relation quasi charnelle qui s'établit entre un auteur et son personnage principal ?» (p 190)

«Il était de notoriété publique que Grand Z'Ongles ...C'était de lui qu'il tirait l'essentiel de son savoir et donc de ses pouvoirs … grimoire qui, parait-il, datait du XIV ème siècle ...» (p 190)

«Tu cherches à te forger un moi d'écrivain réprouvé mais sans être prêt à aller jusqu'au bout» (p 204)

«Et, final de compte, il y avait ma vie secrète d'écrivain, d'écrivain vrai... Mes mots à moi. J'avais bien rédigé six romans – tous refusés par les éditeurs parisiens, certes – mais que je n'avais eu cesse de chérir, de retoucher, de modifier tout au long de ces années et qui étaient en quelque sorte mes compagnons de vie. Mes confesseurs. Mes consolateurs aussi … Quand la déprime me menaçait et que je m'enfermais deux ou trois jours dans ma chambre … je les sortais de la valise caraïbe où je les tenais cachés  et les lisais à mi-voix... je posais le manuscrit grand ouvert sur mon visage» (p 216)

« Je parvins … aussi à entamer un nouveau roman, un vrai celui-là, un roman signé Augustin Valbon. Ce roman je décidai de l'appeler La Jarre d'or, sans la moindre hésitation ce qui m'était inhabituel» (p 220)
«Un vrai écrivain doit pouvoir souffrir, affronter la faim, le dénantissement... Peut-être que s'il était tombé plus bas que chien galeux, aurait-il trouvé dans cette épreuve les ressources qui lui auraient permis d'accoucher enfin d'une œuvre majeure.» (p 226)

«Rassuré il l'ouvrit d'un coup sec et découvrit le prétendu secret de Grand Z'Ongles, le dictionnaire Littré en quatre volumes.» (p233)

«N'avait-il pas été ridicule en voulant rivaliser avec Balzac, Stendhal ou Zola …» (p 237)

«Et puis, Lagardère, Rocambole, Pardaillan et Rouletabille n'avaient-ils pas été les héros de son adolescence? … il réalisa tout soudain que ces êtres de papier trouvaient à s'incarner, …, dans les figures de Fils-du-Diable-en-personne, de Bec-en-or, de Waterloo Gros-Lolo, figures que dédaignaient la plupart des écrivains antillais, habitués qu'étaient ces derniers soit par l'exaltation exotisante du réel antillais (mer bleue, flamboyants, colibris et bla-bla-bla), soit par la colère de la Négritude.... Il avait le sentiment de comprendre enfin l'attirance pour les quartiers plébéiens et les êtres, souvent fantasques, qui,..., témoignaient non point de l'humaine condition, … , mais de la folie douce qui couve en chaque être humain.» (p 138)

«Tu sais que je ne suis pas un grand amateur de la chose littéraire, mais ton départ m'a donné à réfléchir … Je me suis rapproché des livres. J'avoue sans honnte y avoir découvert u monde que je ne soupçonnais même pas. Un monde extraordinaire de clairvoyance dans l'âme humaine … pardonne mes mots pompeux !... un monde qui s'interroge sur le sens de notre existence sur terre, qui nous fait rêver aussi, qui nous ouvre des perspectives … Que tu aies ambitionné de faire partie de ceux qui nous ouvrent les portes de ce monde-là était tout à fait noble ...» (p 272)

«A partir d'aujourd'hui, tu t'installes dans ta chambre et tu nous écrit un livre qui s'appellera La Jarre d'or. Considère cela comme un ordre !Et puis, foin de ce français créolisé que tu affectionnes, d'accord?» (p 273)

«Le lendemain il brûla la valise caraïbe qui contenait ses sept manuscrits.» (p 273)

Où, me direz-vous, voit-on l'éloge du livre et de l'écriture, cette profession de foi annoncée? Raphaël Confiant use d'un procédé de peinture qui est le trompe-l'œil. J'ai la conviction qu'il a entièrement transgressé sa vision de l'écriture à travers ce personnage, un peu miteux, qu'est Augustin Valbon, un raté de l'écriture, même si son intention était bonne, qui va finir par trouver le succès en écrivant des romans à l'eau de rose, puis après la rédemption paternelle, qui brûle les manuscrits non édités, pour écrire en français académique de la littérature pour adolescents. Partout le livre est associé à la malédiction. La bibliothèque Schoelcher est un enfer. Et il est dit, quelque part, qu'aux Antilles, le livre n'a existé que trente années.

Cette médiocre aventure littéraire, marque certes la difficulté d'écrire, la même qu'éprouvait Amédée Mauville, à la Cour-fruits-à-pains, avant d'aller se brûler la cervelle sur l'île de la Dominique, peut-être pour cette raison, mais elle met en relief, de façon éclatante, l'œuvre romanesque de Raphaël Confiant qui, lui, a réussi l'impossible et insensé pari, a conjuré toutes les malédictions, une œuvre qui existe au grand jour, palpable et étincelante.

Par cet artifice dans l'écriture romanesque où rien n'est dévoilé, car il ne prise guère que les perdants, Confiant met un point d'orgue à plus de vingt ans d'écriture. Et l'on peut penser, à tort ou à raison, que cette Jarre d'or, contient finalement l'œuvre de Raphaël Confiant, qu'il enterrera, selon la coutume, avant … de se brûler la cervelle.

Mais comme chacun sait que les morts ont quatre-vingt-dix pouvoirs de plus que les vivants, on peut se demander ce que nous réserve l'à-venir littéraire de Raphaël Confiant dont nul ne pourra jamais s'approprier les œuvres, pour l'éternité, gage d'immortalité pour un écrivain.

Thierry Caille

boule

 Viré monté